Fil d'Ariane
Bobby Fischer on women in a 1963 Canadian Broadcast Corporation interview: "They're terrible chess players... I guess they're just not so smart... I don't think they should mess into intellectual affairs, they should keep strictly to the home" https://t.co/0xyEJ3IPrF
— chess24.com (@chess24com) March 1, 2018
Preuve encore que les choses bougent même en interne : en janvier 2021, la Fédération internationale des échecs FIDE a choisi de désigner à la tête de sa direction Dana Reizniece-Ozola, grand-maître féminin international, députée et ancienne ministre lettonne des Finances. Agée de 39 ans, l'ex-ministre a toujours déclaré que sa passion pour les échecs l'avait aidée à surmonter le stress lié à la politique. "J'ai décidé d'abandonner mon mandat parlementaire pour pouvoir consacrer tout mon temps et toute mon énergie au travail à la FIDE", a-t-elle écrit sur sa page Facebook. Cette élue avait fait la "une" de la presse internationale en 2016 après avoir battu la championne du monde, la Chinoise Hou Yifan, pendant l'Olympiade d'échecs à Bakou, en Azerbaïdjan. Membre du gouvernement à l'époque, elle avait dû se faire remplacer à une réunion des ministres de l'UE pour pouvoir continuer le tournoi.
En France, en 2018, la Fédération nationale comptait 20% de licenciées féminines.
Terriennes : Certains estiment que, si le monde des échecs a toujours été très masculin, ce n’est pas à cause des hommes, mais parce que, visiblement, les femmes s’y intéressent moins, enfin jusqu'à présent du moins. Vous êtes d'accord avec ça ?
Sophie Milliet : Pas tout à fait ! Si on regarde les statistiques au niveau des jeunes, des moins de 12 ans, il y a autant d'intérêt chez les filles que chez les garçons. Cela change un peu plus tard. Les filles ont tendance à arrêter au moment de l'adolescence lorsque leurs études prennent un peu plus de place et qu'elles commencent à se couper de leurs activités secondaires. Les échecs, si on veut vraiment "performer", cela demande pas mal de temps, beaucoup de travail. Pour devenir professionnel-le, ça demande beaucoup d'investissement et il y a peu de places. On est assez peu de femmes en France à pouvoir en vivre professionnellement. Les joueuses sont aussi entraineures et donnent des cours. Je crois être parmi une des seules en France à être joueuse à 100% et à vivre totalement des échecs.
Terriennes : Grâce à l'énorme succès de la série Le Jeu de la Dame, les échecs sont revenus à la mode. Jouer aux échecs, c'est devenu "Girl power" ? Ou du moins un bon moyen d'empouvoirement, comme le défendent certaines féministes?
Sophie Milliet : C'est un sport intellectuel à la base, c'est aussi une discipline où l'on est à égalité avec les hommes. Il n'y a pas de différence de force physique, chacun-e peut battre tout le monde ! Je pense que cela peut être attrayant. En général, les joueurs d'échecs ont pas mal d'égo (rires) donc sur ce point-là ça peut être intéressant ! Il y a des préjugés que la série a fait tomber. Les échecs seraient réservés à une certaine élite, bien sûr que non, ils sont à la portée de tous et de toutes. Ils sont tout à fait accessibles. On développe beaucoup la pratique des échecs dans les quartiers dits sensibles, et cela a beaucoup de succès. Par rapport à l'estime de soi, des jeunes qui ne pensaient pas être capables de jouer y arrivent et obtiennent de bonnes performances, cela peut les aider en effet sur le plan de la confiance en soi.
Terriennes : Le jeu d’échecs a depuis toujours été perçu comme masculin, à l’image des sciences. Ce stéréotype explique pourquoi les parents vont offrir un jeu d’échecs à leur fils plutôt qu’à leur fille, c'est toujours vrai aujourd'hui ?
Sophie Milliet : Le jeu d'échecs est un combat, c'est vrai, et donc c'est la guerre, il faut battre son adversaire, il faut mater le roi adverse. Cet aspect guerrier alimente l'idée que ce jeu est plus destiné aux garçons qu'aux filles. En fait, il est réellement autant accessible aux filles qu'aux garçons.
Terriennes : Venons-en à votre propre expérience en tant que femme, championne. Avez-vous dû affronter des situations sexistes durant vos tournois ?
Sophie Milliet : C'est un peu arrivé à toutes les filles qui participent à des tournois de se retrouver face à un joueur qui ne supporte pas d'avoir perdu contre une femme et qui lance une petite réflexion, ou même qui va refuser de lui serrer la main à la fin de la partie. Bon, ce sont malgré tout des attitudes qui sont assez rares. Bien sûr, ça m'est arrivé à moi aussi qu'un joueur prenne mal le fait que je le batte ! Ado, on peut entendre aussi qu'un garçon va se faire "charrier" parce qu'il s'est fait battre par une fille. Mais ça évolue, et ça devient de plus en plus rare. Bon, c'est vrai que le monde des échecs, ça reste une grande majorité d'hommes, c'est encore plus vrai dans les tournois open, c'est courant qu'il n'y ait que 5 ou 10% de filles.
Terriennes : Votre histoire avec les échecs, d'où vient-elle ? Vous souvenez-vous de votre première partie ?
Sophie Milliet : C'est assez banal en fait ! Je voyais mon père jouer avec mon frère qui est plus âgé que moi, et j'ai voulu m'y mettre. A partir de 4 ans, on a commencé à m'apprendre les règles de base, et puis ensuite à l'école, il y avait des cours d'échecs. L'animateur m'a ensuite orientée vers un club et j'ai commencé la compétition à l'âge de 7 ans. A 12 ans, je me suis entraînée un peu plus sérieusement et j'ai obtenu mon premier titre à 15 ans. Il y a des compétitions officielles avec une section féminine et une section mixte. Moi, j'ai joué uniquement les sections pour les filles, mais après dans les grands tournois, j'ai joué avec des hommes.
Terriennes : Vous qui participez à des ateliers dans des écoles, des lycées, des clubs, qu'est-ce que vous y observez en terme de parité ?
Sophie Milliet : Dans ma région, à Montpellier, au collège et au lycée, il y a à peu près 45% ou 55% de filles. C'est après, au niveau de la compétition, qu'on retrouve moins de filles. C'est plutôt très équilibré chez les jeunes.
Terriennes : une dernière question sous forme de boutade... Sur l'échiquier, c'est le Roi qui gagne toujours, est-ce que ce jeu n'est pas sexiste à la base !?
Sophie Milliet : (Rires !) C'est vrai que le but du jeu, c'est de mater le Roi. Même si parfois, la Dame doit se sacrifier pour mater le Roi adverse, concrètement au niveau des pièces, c'est la Dame, la pièce la plus forte !
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