Le Mexique se déchire autour d'une Diane chasseresse, vengeresse des femmes tuées
Au Mexique, le bras meurtrier de Diana Cazadora (Diane chasseresse) prétend venger les « féminicides » qui hantent Ciudad Juarez, cette ville proche des Etats-Unis, si meurtrière pour ses citoyens, mais surtout pour ses citoyennes. Pour les médias c’est du pain béni, mais cette affaire détourne l’attention d’une réalité moins spectaculaire et pourtant plus tragique.
La fontaine de la Diane Chasseresse a` Mexico - wikicommons
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Début septembre 2013, la vengeresse prend langue avec la presse locale de Juarez avec un drôle de message : « Mes collègues et moi-même avons souffert en silence, mais nous ne pouvons plus nous taire. Nous avons été sexuellement agressées par des chauffeurs qui travaillaient la nuit sur la route des maquilas [usines textiles étrangères qui emploient de la main d’œuvre bon marché dans les villes frontalières au nord du Mexique, ndlr]. Et même si beaucoup sont au courant de ce que nous avons enduré, personne ne prend notre défense […]. Ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que nous sommes faibles. Je suis un instrument de vengeance.»
Scénario catastrophe à la mexicaine
Dans cette lettre, la mystérieuse justicière confesse le meurtre par balle de deux chauffeurs. Elle dit agir au nom des femmes de Juarez victimes de crimes et violences sexuelles et laisse entendre que d’autres hommes connaîtront le même sort que les camionneurs. La profession tremble. Au commencement, cette histoire s’affiche comme une curiosité locale, un simple fait divers, dans une ville habituée au pire. La presse nationale s’en empare, puis vient la presse internationale. Car tous les ingrédients d’une BD à rebondissements, remixée à la sauce mexicaine, y sont : le mystère, la violence et la vengeance avec une pincée de patriotisme et de symbolique. Le choix du pseudonyme de la tueuse n’est pas un hasard. La « Diana Cazadora » est une des statues les plus fameuses du Mexique, et se dresse au cœur de la capitale. Elle représente la déesse romaine de la chasse, Diane, qui tient un arc et une flèche. L’incarnation féminine de la lumière, dit-on.
Cette redresseuse des torts infligés aux femmes sait titiller l’imaginaire collectif à l’image de la culture mexicaine - qui vénère la Sainte mort et les catcheurs masqués. Des centaines de messages de soutien ont afflué et même une page Facebook a été créée à son nom. Elle nie en être l’administratrice. « Si ce gouvernement incompétent n’est pas capable de lutter contre ceux qui tuent, violent et enlèvent des femmes, alors il est temps que la justice se fasse autrement. Diana l’héroïne de Juarez », peut-on lire sur cette page.
Portrait robot réalisé par la police du Chihuahua
Crime passionnel ou cause collective ?
Selon le parquet de l’Etat de Chihuahua où se trouve la ville de Juarez, l’action de cette Diane chasseresse tient plus d’une vendetta personnelle ou de crimes passionnels que de faire justice soi-même. Mais certains Mexicains, excédés par la violence et les meurtres impunis, veulent en faire une héroïne. Et encouragent la tueuse dont on ne connaît que quelques détails : elle mesurerait 1 mètre 65, aurait passé la cinquantaine et serait coiffée d’une perruque blonde. Un portrait robot esquissé par la police ne permet pas d’en savoir plus.
Mais c’en est assez pour ses adeptes, qui critiquent les efforts de la police de l’attraper. « Le gouvernement corrompu mexicain va s’employer à trouver une pauvre femme qui a tué deux hommes alors qu’il est incapable de trouver les coupables de meurtres de femmes à Juarez », écrit un des nombreux fans de Diana Cazadora.
« J’ai peur que la police ne fabrique de fausses coupables »
« L’affaire de Diana Cazadora est digne d’intérêt mais aussi très préoccupante. Certes les autorités du Chihuahua ont démontré à maintes reprises à quel point elles sont dépassées concernant la prévention et la lutte contre la violence faite aux femmes. Mais faire une telle publicité à ce personnage, c’est cautionner en partie l’irrespect de la loi, c’est aussi dire une fois de plus que l’Etat a échoué et que tout le monde peut avoir recours à la loi du Talion. Ce qui ne fait que contribuer au climat de violence », analyse Maître Edith López Hernández.
Elle fait partie de l’équipe qui a plaidé dans le dossier González, du nom de Claudia González, 20 ans, trouvée morte, aux côtés d’autres jeunes femmes, violée et torturée dans un champ de coton en 2001 à Juarez. En 2009, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a qualifié la mort de ces jeunes femmes du terme de « féminicide », et par la même occasion de « crime de genre ». La Cour a également condamné le Mexique pour avoir piétiné les droits fondamentaux des victimes et ne pas avoir mené une enquête satisfaisante. Une première. Cette avocate ne cesse de se battre pour élucider les féminicides qui sévissent dans la ville depuis plus de vingt ans.
« Je crains que l’enquête pour trouver cette femme ne devienne une chasse aux sorcières digne de l’inquisition. La police va mettre plus de ressources à la trouver qu’à investiguer sur la disparition et les meurtres des femmes et cela afin d’éviter que l’Etat n’apparaisse comme complètement dépassé. J’ai peur que la police ne commence à fabriquer de fausses coupables pour mettre fin au tapage médiatique que cette Diane chasseresse a suscité sans avoir mené une enquête solide. Ce qui ne serait pas une première à Juarez car cela fait partie des méthodes de la police », explique l’avocate.
Un tintamarre assourdissant pour les victimes
Elle estime aussi que tout ce tintamarre détourne l’attention, au détriment des victimes de féminicides : « Aujourd’hui, il est très difficile que les médias rendent vraiment compte des violences faites aux femmes. Pour trouver des articles dessus, il faut aller voir du côté des ‘faits divers‘ où on ne rend pas justice aux victimes. On montre leurs cadavres avec des photos racoleuses qu’on accompagne de commentaires truffés de clichés, où on atténue en plus la culpabilité de l’auteur, ou pire, on suggère que c’est la faute de la victime. Rares sont les médias qui en parlent dignement. La couverture de l’affaire de Diana occulte les vrais problèmes ».
Pour l’instant, la chasseuse n’a pas fait de nouvelles victimes et la police ne semble pas disposer de pistes solides. Mais dans pays à la justice kafkaïenne, tout rebondissement est possible. La nouvelle héroïne populaire a fait savoir, toujours par médias interposés, qu’elle est en danger : « J’ai la sensation que quelqu’un me suit depuis quelques jours. Je crains pour ma vie ».
A suivre...
La police sur les lieux de l'un des meurtres vengeurs de la Diana Cazadora, à Ciudad Juarez - AFP