Le modèle de la Seine-Saint-Denis en France pour protéger les femmes des violences
Une mort tous les deux jours et demi. 148 femmes ont été tuées l’année dernière en France sous les coups de leurs conjoints. Les violences faites aux femmes continuent de faire des ravages en France. Pas de solutions miracles pour les éradiquer. Mais des démarches innovantes existent pour offrir aux victimes un meilleur accompagnement. Exemple en Seine-Saint-Denis, département modèle en la matière.
Plus de 700 personnes à la bourse du travail de Bobigny pour la journée professionnelle consacrée aux violences faites aux femmes, mardi 19 novembre
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A Bobigny, le bâtiment historique de la bourse du travail était noir de monde, mardi 19 novembre 2013, à peine une semaine avant la journée internationale contre les violences faites aux femmes de chaque 25 novembre. Policiers, magistrats, pédiatres, pédopsychiatres, assistantes sociales, universitaires, bénévoles… Plus de 700 personnes ont assisté aux rencontres du conseil général de Seine-Saint-Denis consacrées à la protection des femmes et des enfants victimes de violences conjugales. Un succès de mobilisation mais pas vraiment une surprise. En France, ce département de la région Ile-de-France, qui regroupe les banlieues dites difficiles de la capitale, connues pour leurs émeutes urbaines et leur fort taux de pauvreté, fait office de modèle en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Non pas que les chiffres de la violence soient plus bas qu’ailleurs mais des dispositifs innovants permettent d’assurer une meilleure protection et prise en charge des femmes. Des dispositifs qui ont fait leur preuve au point d’être généralisés sur le reste du territoire français.
Modèle de téléphone d’alerte
Des dispositifs modèles
L’exemple le plus emblématique : les téléphones d’alerte qui permettent aux femmes, identifiées par la justice comme étant en situation de danger, d’appeler la police dès qu’elles sentent que les coups vont pleuvoir. Créé il y a 4 ans en Seine-Saint-Denis, ce dispositif a été étendu à trois autres départements (Bas-Rhin, Paris et Val-d’Oise) avant d’être intégré dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes préparé par la ministre française des droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem et adopté cet automne.
Il a même été remarqué par la ville de Montréal qui, pourtant, ne manque d’idées en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. « Une des maires d’arrondissement de la métropole québécoise a été estomaquée par notre mode de fonctionnement », confie Sylvie Moisson, procureure du Tribunal de Grande Instance de Bobigny. « Le téléphone d’alerte, ce n’est pas de la poudre aux yeux, insiste la magistrate. Il procure un sentiment de sécurité en indiquant à la victime que le danger dans lequel elle vit a été pris en compte par la Justice et favorise véritablement un travail d’accompagnement. »
La ministre Najat Vallaud-Belkacem aux rencontres professionnelles sur les violences faites aux femmes à Bobigny
Mieux rôdé et mieux connu par les associations de terrain qui repèrent et signalent les cas, le dispositif a pris de l’ampleur avec les années. « En 2012, j’y ai admis dix femmes de plus que l’année précédente, détaille Sylvie Moisson. Depuis 4 ans, 136 femmes ont bénéficié d’un téléphone d’alerte. Il y a eu 86 appels de danger qui ont donné lieu à 86 interventions d’urgence des services de police. Chaque fois que cela s’est avéré nécessaire, les femmes ont été escortées jusqu’à leur domicile ou jusqu’au commissariat pour porter plainte. »
Autre succès : la mise en oeuvre de l’ordonnance de protection. Existant depuis 2010, cet outil juridique permet aux femmes qui en font la demande de bénéficier d’une protection contre leur conjoint violent. A Bobigny, « 462 ordonnances ont été rendues en 3 ans, se félicite le président du Tribunal de Grande Instance, Rémi Heitz. La quasi totalité d’entre elles font interdiction au conjoint d’entrer en contact avec celle qui en a fait la demande. 296 attribuent la jouissance exclusive du logement à la victime des violences et 114 ont émis une interdiction de sortie du territoire des enfants sans l’autorisation des deux parents (pour empêcher le père de s’enfuir avec ses enfants, ndlr) ».
Mais d’où vient ce dynamisme en Seine-Saint-Denis, cette réelle préoccupation à l’égard des femmes victimes de violence ? La réponse, il faut la chercher du côté de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes. Installée voilà 11 ans à l’initiative du conseil général, cette structure est parvenue à fédérer tous les professionnels du département qui côtoient, par un biais ou l’autre, les femmes victimes de violences, qu’elles soient conjugales, viols, mutilations sexuelles féminines ou mariages forcés.
« Notre force, c’est le partenariat, résume la responsable Ernestine Ronai. On a réussi au fil des années, avec beaucoup de persévérance, à construire des protocoles réunissant les associations, les services du département, ceux de l’Etat et plus récemment les villes du département. » Résultat, cela apporte de la coordination, de la confiance et de l’efficacité. « Dès ma nomination en novembre 2009, j’ai été entrainée dans cette synergie. C’est un travail formidable qui n’existe nul par ailleurs, se réjouit Sylvie Moisson. C’est une chaine de protection et de sécurisation que nous mettons en place autour des femmes. »
Sylvie Moisson, procureure au TGI de Bobigny au côté d’Ernestine Ronai à la tête de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes.
Un travail également très méthodique. « On a réfléchi pendant deux ans avant de lancer les téléphones d’alerte. Chaque dispositif est pensé, évalué et amélioré en faisant preuve d’inventivité. » La dernière innovation en date ? Un protocole entre le TGI de Bobigny, la préfecture et l’hôpital Robert Ballanger pour assurer une meilleure prise en charge des enfants en cas de féminicides.
En effet, que fait-on des enfants lors de ces drames familiaux, quand le père vient de tuer la mère ? « En général, ils échappent au ministère public. C’est souvent une voisine ou une grand-mère qui les prend en charge, explique la procureure. Désormais, le parquet a pour obligation de faire immédiatement protéger le ou les enfants en les faisant hospitaliser en milieu adapté dans une sorte de sas de protection » pour éviter qu’ils ne développent des syndromes post-traumatiques.
Autre innovation ? L’obligation pour le CROUS (services de logements universitaires) en Seine-Saint-Denis de trouver dans l’urgence une chambre pour toute étudiante identifiée comme étant menacée d’être mariée de force. Là encore un protocole a été signé pour clarifier les règles et les responsabilités de chaque partenaire.
Du nouveau à l’échelle régionale
A l’échelle de l’Ile de France, les méthodes de Seine-Saint-Denis ont séduit les élus qui ont voté, à l'initiative du Front de gauche (qui comprend, entre autres, les communistes et le Parti de gauche) la création d’un Observatoire régional des violences faites aux femmes. Attendu pour 2012, il sera lancé officiellement ce 25 novembre 2013, au sein du Centre Hubertine Auclert. Ses missions consistent à « renforcer la connaissance et l’expertise sur les violences faites aux femmes, en Ile-de-France », à « mieux accompagner et protéger les femmes victimes de violence par la mise en réseau des actrices et des acteurs franciliens agissant sur ce champ » et « sensibiliser contre les violences faites aux femmes et identifier les outils existants ».
« Une première étude est déjà en cours et d’autres suivront, précise Djénéba Keita, élue Front de gauche à la Région et présidente du Centre Hubertine Auclert. L’objectif est de faire remonter des données du terrain, repérer tous les acteurs régionaux impliqués et faire des propositions de politiques publiques. »
Reste à régler l’épineuse question du financement. L’Observatoire a bénéficié de 200 000 euros pour son installation. Son budget 2014 devra été fixé courant décembre par le conseil régional. « Selon moi il faut un important soutien financier, indique la présidente qui néanmoins refuse de préciser la somme qu’elle espère obtenir. En période de crise, c’est un sujet tout aussi primordial que les autres car ce sont les femmes les premières frappées par la précarité. »
Dizaines de silhouettes installées à Amboise (centre de la France) en septembre 2013, celles des femmes décédées sous les coups de leurs conjoints en 2012. http://www.lanouvellerepublique.fr/