"
Pour ses 39 ans et dans la perspective de fêter ses 40 ans en 2018, le FIFF maintient son cap historique, surfe sur la vague de l’égalité" écrit la toujours enthousiaste Jackie Buet qui cofonda en 1979 le
Festival International de Films de Femmes de Créteil et qui le dirige toujours avec autant de questions. Même si la vague de l'égalité est loin d'avoir submergé le septième art en France et ailleurs.
Comme le rappelle l'historienne du cinéma
Brigitte Rollet dans un petit livre percutant paru bien à propos en ce début du mois de mars 2017 : "
En 2015, Hollywood a été dénoncé par certains comme l’industrie la plus misogyne des États-Unis et les enquêtes officielles pour sexisme se succèdent. En 2014, l’ONU-femme conclut une étude sur l’impact du cinéma en affirmant qu’il perpétue la discrimination contre les femmes. La même année, le premier rapport du CNC sur la place des femmes dans les métiers de l’audiovisuel démontrait, chiffres et statistiques à l’appui, les écarts énormes de salaires, budgets et soutiens. Les résultats publiés en 2016 de l’enquête d’EWA (European Women’s Audiovisual network) sur les réalisatrices dans 7 pays d’Europe, dont la France, illustrent à la fois la dimension internationale du phénomène mais également les spécificités nationales et surtout les initiatives récentes pour y remédier."
Une étude, publiée à la fin du mois de février 2017 par le CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée), et menée entre 2006 à 2015, rappelle que le salaire moyen d'une réalisatrice française est inférieur de 42% à celui de son homologue masculin. Rappelons qu'en France, l'écart salariale entre femmes et hommes à métier et compétences égaux est de 26% en moyenne (23% en Europe).
Concernant la production, les femmes sont payées en moyenne 38% de moins que leurs homologues masculins. Les budgets accordés aux réalisatrices sont aussi inférieurs : 3,5 millions d'euros en moyenne contre 4,7 millions pour les hommes. La répartition des professions du cinéma montre clairement une division femmes/hommes: 96% des scriptes, 88,4% des costumiers et 74% des coiffeurs-maquilleurs sont des femmes.
A l'inverse, elles ne représentent que 21% des réalisateurs de longs métrages agréés, alors que la parité existe à la sortie des écoles de réalisation.
Maïmouna Doucouré, Cesar 2017 du meilleur court-métrage avec "
Maman(s)", aux côtés d'Alice Diop pour "
Vers la tendresse", raconte ainsi ses hésitations à se lancer dans la profession : "
Longtemps, je me suis auto-inhibée, de façon inconsciente, parce que je ne voyais pas, dans le paysage audiovisuel français, des gens qui me ressemblent".
D'autres visions du monde
Jackie Buet nous promet encore que "
cette année la compétition nous entraînera, motion et émotion mêlées, dans des eaux tumultueuses. Les réalisatrices découvertes nous apportent des nouvelles du monde, celles qui ne franchissent pas toujours les murs d’interdits mais se faufilent dans les failles. Avec elles, nous ne laisserons pas plus longtemps les images brûler nos rétines et retrouverons la vue."
Une profession de foi qui s'incarne parfaitement avec le film d'ouverture, et en avant première,
"A mon âge je me cache encore pour fumer",
premier essai cinématographique de l'épatante dramaturge Rayhana, et produit par Costa et Michèle Ray Gavras.
J’utilise le langage des hommes pour les attaquer
Rayhana
Le film est une adaptation de ce qui fut d'abord une excellente et délicieuse pièce de théâtre, acclamée en France et en Algérie - Rayhana a grandi à Bab El Oued, quartier populaire d'Alger. Un huis clos, tendre, drôle, tendu parfois, dans un Hamam, entre huit femmes - jeunes ou âgées, croyantes ou pas, émancipées ou contraintes - qui parlent d’amour, des hommes, de religion, du plaisir, de guerre. Sans tabous.
A l'hebdomadaire Jeune Afrique,
Rayhana confiait : "
Le titre résume l’absurdité de l’interdiction faite aux femmes, même pour quelque chose d’aussi insignifiant qu’une cigarette. Si les femmes sont mal vues quand elles fument, ce n’est pas parce que l’on s’inquiète pour leur santé, mais parce qu’elles passent pour des putains. J’utilise le langage des hommes pour les attaquer. On m’a traitée de pute. J’assume ce que je dis, alors, s’ils me voient ainsi, j’en suis fière."
Un focus est porté pour cette édition 2017 sur les photographes et les directrices de la photo parce que "
leurs regards construisent d’autres visions du monde", dit encore la directrice du festival. Un festival qui s'étend, et c'est une autre de ses originalités, de la banlieue vers la capitale "
en s’associant aux salles indépendantes parisiennes et en réalisant pour la première fois, un partenariat avec la Cinémathèque française".