Fil d'Ariane
« Le digital est une chance pour les femmes ! » Telle une formule magique, cette phrase n’a cessé de résonner dans le palais Brongniart à Paris le 13 mars dernier, lors de la Journée de la femme digitale. Les premières à l’asséner et à y croire dur comme fer sont les deux organisatrices et fondatrices de l’événement : Delphine Remy-Boutang et Catherine Barba, des business-women du numérique au parcours exemplaire.
Entrée à IBM en 1999 pour s’occuper du marketing et communication, Delphine Remy-Boutang est celle qui a lancé le géant américain de l'informatique sur les réseaux sociaux. Un tremplin qui l'a amenée à créer quelques années plus tard une agence de communication digitale à Londres. Catherine Barba, elle, découvre le web, les mails et Amazone dès les années 1990 et fréquente très tôt les pionniers de l’Internet en France. Depuis, elle a multiplié les 'starts-up' et est devenue experte du commerce en ligne.
En janvier 2015, Newsweek titrait « Ce que la Silicon Valley pense des femmes ? ». Et le magazine américain n'y allait pas de main morte : « Dans une communauté comme la Silicon Valley, où des investissements à six ou sept chiffres sont habituellement lancés sur des idées qui parfois réussissent, mais le plus souvent explosent en vol telles des météorites, ces deux personnes n’ont guère récolté plus que de l’argent de poche — environ 400 000$, alors qu’il leur manquait encore 525 000$ en mise de départ. Il y avait pourtant un élément qui faisait défaut à ces deux personnes, et qui est presque une condition sine qua non du lancement d’une start-up dans la Silicon Valley : elles n’avaient pas de pénis ».
Le magazine ose aussi rapporter des cas de harcèlement, d’éviction des femmes, de faits de violence… faisant un portrait des plus inquiétants de ce microcosme des nouvelles technologies.
En France, pas de scandale monté en épingle. Mais les hommes du secteur le reconnaissent, comme l'explique Sylvain Orebi, fondateur du groupe Orientis et intervenant sur BFM Buisness Radio : « ils ont peur que les femmes viennent piquer leur place ». « La mixité peut être perçu comme une menace. Il y a sorte de résistance passive des hommes », résume Marie-Christine Maheas, qui a co-écrit Mixité, quand les hommes s’engagent.
Mais au-delà d'une culture qui peut s'avérer plus ou moins misogyne (mais l'est-elle vraiment plus qu'ailleurs ?), il y a de vrais blocages sociologiques.
Peu d'étudiantes dans les filières scientifiques
Tout commence à l'université. Aux Etats-Unis comme en France, on constate un déficit criant d'étudiantes dans les filières scientifiques. Dans l'hexagone, autant de filles que de garçons obtiennent un bac scientifique. Mais, par la suite, si elles représentent 60 % des étudiants en médecine, elles ne sont plus que 30 % dans les classes préparatoires scientifiques et 27,8 % dans les écoles d’ingénieurs, avec de grandes disparités : plus nombreuses en chimie, elles sont souvent moins de 10 % dans les écoles d’informatique. Pourtant, ces choix d’orientation n’ont rien d’une fatalité. En Inde, en Corée du Sud ou encore en Indonésie, c’est l’inverse : les filles sont plus nombreuses que les garçons dans les filières techniques.
Conclusion, « il faut se mobiliser pour expliquer qu’on peut passer une après-midi à faire du code informatique même quand on est une fille. Les activités dites de geek ne sont pas réservées aux garçons », milite Virginie Fauvel en charge du digital à Alliance France et membre du Conseil national du Numérique en France. Mais « les femmes peuvent aussi entrer dans le numérique sans compétences informatiques en faisant valoir leur capacité d’observation, d’écoute et de dialogue, nuance Françoise Mercadel-Delassales, directrice des ressources et de l’innovation du groupe Société générale. Dans ce secteur, on a aussi besoin de professionnels qui sentent les tendances et anticipent les besoins pour créer de nouveaux services numériques. »
Mais autre hic, pour celles qui accèdent au secteur, la parité salariale n’est pas au rendez-vous. Dans la Silicon Valley, selon un rapport publié en février 2015 et évoqué par Hillary Clinton, les hommes ayant une licence gagnent presque 61% de plus que les femmes titulaires du même diplôme. Soit une différence de 35 000 dollars (31 000 euros) en moyenne ! En France, un effort a été fait dans ce domaine. L’écart salarial n’est que de 5% alors qu’il est de 24% à l’échelle nationale. Mais cela ne suffit pas pour attirer la force féminine.
La réussite de la mixité à HP France
« La mixité est un combat, reconnaît le président de Hewlett-Packard France Gérald Karsenti. On en parle beaucoup mais on ne progresse pas beaucoup. » Alors dans cette multinationale de l' informatique, des mesures musclées ont été prises : application de quotas. « Au début, j’étais plutôt contre. Je trouvais ça dégradant. Mais c’est la seule méthode efficace que j’ai trouvée », reconnaît Gérald Karsenti. Méthode qui a été appliquée du haut vers le bas. « J’ai d’abord imposé 50% de femmes au sein du Comité directeur, raconte le président. Ca n’a pas été facile mais on y est arrivé. Puis j’ai imposé un management de la parité en définissant des objectifs de féminisation à atteindre par étape. » Résultat : l’équilibre est atteint depuis deux ans. Mieux encore, « depuis deux ans, HP France fait désormais partie des cinq meilleures entreprises 'pays' du groupe HP. Je n’ai aucun moyen de prouver le lien de cause à effet, mais c’est arrivé quand la mixité des équipes a été réalisée », souligne Gérald Karsenti.
En réalité, cette coïncidence n’est pas l’effet du hasard. La mixité des équipes améliore les performances de l’entreprise. Beaucoup d’études l’ont déjà démontré depuis longtemps, comme celle du cabinet Mc Kinsey en 2007 « Women Matter, la mixité, levier de performance de l’entreprise ».
ONU-Femmes investit les nouvelles technologies
Cette disparité professionnelle dans le secteur du numérique n'a pas échappé aux organisations internationales engagées dans l'éducation des filles et l'autonomisation des femmes. En partenariat avec l’UNESCO, ONU-Femmes soutient l’apprentissage des nouvelles technologies auprès des filles. Du 23 au 27 février 2015, l'agence onusienne a participé à la Semaine de l’apprentissage mobile consacrée aux nouvelles technologies et leur appropriation par les filles et les femmes.