Le Panthéon accueille Joséphine Baker

Joséphine Baker rejoint les "Grands hommes" et devient la 6ème femme, première artiste et première femme noire, à y reposer. Danseuse, meneuse de revue, mais aussi militante contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, engagée dans l'armée française pendant la Seconde Guerre mondiale, cette femme à la personnalité volontiers provocatrice et ambiguë a porté bien des luttes. 
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©AP photo
Joséphine Baker, le 1er janvier 1970, lors d'un entretien avec des journalistes à Roquebrune dans le sud de la France.
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Figure de la résistance, de la paix, de l'émancipation des femmes de l'entre-deux-guerres et de la lutte antiraciste, Joséphine Baker entre au Panthéon ce 30 novembre. Ainsi en a décidé le président français Emmanuel Macron il y a trois mois - un choix chargé de symboles pour les femmes et la diaspora d'origine africaine.

Pour Jennifer Guesdon, membre du collectif "Osez Joséphine" qui avait milité pour la panthéonisation de l'artiste franco-américaine, cette grande première est le résultat du "parcours d’une femme exceptionnelle, universaliste et engagée. C’est un modèle de courage et de détermination pour les génération à venir".

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Pour l'essayiste Laurent Kupferman, initiateur de la pétition "Osez Joséphine", qui a recueilli près de 38 000 signatures, l'intronisation de Joséphine Baker au Panthéon est la consécration d'"une profonde et grande humaniste, un modèle de courage" :

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Le choix de l'artiste franco-américaine Joséphine Baker au Panthéon peut aussi susciter des interrogations, explique Maboula Soumahoro, chercheuse sur les diasporas africaines aux Etats-Unis, lors d'un entretien avec Terriennes :

Pour la chercheuse franco-ivoirienne, d'autres femmes noires françaises seraient aussi légitimes pour postuler au statut d'héroïnes noires de la République, comme elle l'explique au micro de Terriennes :
 
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Joséphine Baker danse The Conga sur la scène du Winter Garden Theater à New York, février 1936.
©AP Photo

La femme engagée

Certain-e-s n'auront sans doute gardé d'elle que l'image d'une danseuse aux pieds et seins nus, ceinturée de bananes, la peau brillante et pailletée, et au déhanché suggestif. Une image perçue comme "exotique" en son temps, celle d'une femme noire hypersexualisée, incarnation d'un fantasme colonial qui, aujourd'hui, ne passerait pas...

Et surtout, Joséphine Baker a revêtu bien d'autres costumes dans le vestiaire de sa vie, en marge de sa carrière d'artiste. 
 
Je n’ai pas la prétention d’être jolie. J’ai les genoux pointus et les seins comme un garçon de dix-sept ans. Mais si mon visage est maigre et laid, si les dents me sortent de la bouche, mes yeux sont beaux et mon corps intelligent. Joséphine Baker, Marseille-Matin, 1931

Militante des droits civiques

D'origine métissée afro-américaine et amérindienne des Appalaches, née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 dans un quartier pauvre de Saint-Louis, dans le Missouri, abandonnée par son père et peu aimée par sa mère, Joséphine Baker a été bien plus que cela : une femme qui s'est faite toute seule, à la personnalité généreuse, complexe et au destin unique, voire icônique. Chanteuse, danseuse, actrice et meneuse de revue, ce qu'on sait moins, c'est qu'elle fut aussi une militante engagée dans la lutte contre le ségrégationnisme face aux cagoulés du Klux Klux Klan, marchant aux côtés de Martin Luther King lors de la Marche vers Washington pour le travail et la liberté en 1963. Elle prendra même la parole à la tribune pour rendre hommage à Rosa Parks et Daisy Bates.

Une lutte entamée dès les années 1950 lorsqu'elle écrit des articles pour soutenir le mouvement afro-américain des droits civiques, et intervient publiquement pour condamner le verdict d'un procès acquittant deux hommes blancs jugés pour le meurtre d'une femme noire, Emmet Till. A son retour d'exil, lors d'une tournée aux Etats-Unis, elle militera pour qu'un public noir et blanc assiste à ses spectacles. Interdite d'entrée dans un hôtel newyorkais, elle se battra et fera scandale, une journée qui deviendra ensuite le "Baker day", un jour symbole de lutte contre la ségrégation.

Son deuxième pays, la France

josephine folies bergères
Affiche du spectacle de Joséphine Baker aux Folies Bergères.
©capture d ecran/ twitter

Après des débuts d'habilleuse, elle fait ses premiers pas de danse sur scène à Broadway, notamment dans la comédie musicale Shuffle Along, premier spectacle intégralement interprété par des artistes noirs à New York.

Son premier rendez-vous avec la France se produit en 1925. Joséphine Baker embarque pour Paris pour participer à la Revue nègre, un spectacle véhiculant bien des clichés sur les Noirs. Sur scène, affublée de son désormais célèbre pagne à bananes, accumulant les grimaces et faisant rouler ses yeux, elle s'accompagne de son léopard, Chiquita, qui a la mauvaise habitude de s’échapper dans la fosse, ce qui, on l'imagine, a le don d'apeurer le public et de faire sensation. La même année, elle se lance dans la chanson et le cinéma. Sa célèbre chanson J’ai deux amours rencontre le succès en 1931.
 
C'est la France qui m'a fait ce que je suis. Je lui garderai une reconnaissance éternelle.
Joséphine Baker
Devenue le sex-symbol des années folles, elle entame une tournée en Europe et fait scandale partout où elle va, surtout dans les pays où l'église catholique se dit choquée par la nudité et "l'obscénité" de ses chorégraphies. Elle devient également la cible d'attaques racistes d'un certain public qui la boycotte. En 1934, elle chante l’opéra de Jacques Offenbach La créole. Ce sont les Folies Bergère qui la consacrent reine du music-hall. 

Son premier amour, son pays, elle le retrouve en 1936. Mais ce retour aux Etats-Unis se solde par un échec cinglant. Sa tournée n'attire pas les foules, elle y subit de nombreuses critiques et se sent rejetée. Elle se réfugie et se console alors auprès de son deuxième amour, Paris, et s'y marie.

Espionne pour l'armée française

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Joséphine Baker, lieutenant dans l'armée de l'air française. 
©capture twitter
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignements de l’armée française, le fameux deuxième bureau, recrute Joséphine Baker. Voyageant souvent pour ses spectacles, elle peut, sans se faire remarquer, récolter des informations. "Les douaniers lui demandaient des autographes au lieu de vérifier ce qu'elle transportait comme documents," raconte Laurent Kupferman, initiateur de la pétition "Osez Joséphine au Panthéon". Engagée au sein de la Croix-Rouge, la légende rapporte qu'elle faisait passer des messages secrets cachés dans ses partitions, écrits à l'encre invisible. Plus tard, elle ira chanter pour soutenir les troupes françaises engagées sur le front d'Afrique du Nord. 

Pour saluer cet engagement, le général de Gaulle lui remet la Légion d'honneur, elle est aussi décorée de la Croix de guerre et de la Médaille de la résistance.
 

Des tas d'amours et une famille arc-en-ciel

Joséphine Baker a été mariée quatre fois. Son premier mariage remonte à 1920, elle n'avait alors que 13 ans, une union de courte durée, tout comme la seconde, avec Willie Baker, dont elle gardera le nom. Avec son troisième mari, français, elle obtient sa nationalité française. Son quatrième et dernier mari est le chef d'orchestre Jo Bouillon. C'est avec lui qu'elle a achète le domaine des Milandes, en Dordogne. On lui prête aussi de nombreuses aventures, avec Simenon, Hemingway, Colette ou Frida Kahlo...

Suite à une fausse couche durant la guerre, elle subit une ablation de l'utérus. Puisqu'elle ne peut devenir maman, elle va chercher à accomplir un rêve : celui d'adopter des enfants de toutes les origines. Sa tribu "arc-en-ciel", comme elle l'appelle elle-même, sera composée de 12 enfants, deux filles et dix garçons. Un idéal de fraternité universelle, une manière selon elle de lutter contre le racisme. 
 
Ce qui est sûr, c’est qu’elle dérange toujours ceux qui combattent ses idéaux.
Akio Bouillon, fils de Joséphine Baker
"Normalement, les enfants découvrent leurs cadets à la maternité. Moi, je les rencontrais à la gare de Souillac  ! La famille était un véritable projet pour maman. Elle voulait créer des oppositions  : le juif et le musulman, le chrétien et l’animiste, etc. ", confie son fils Akio Bouillon lors d'un entretien au magazine people France Dimanche. "Pour éviter des attirances charnelles plus tard, maman et papa avaient décidé de se cantonner à un sexe - raconte l'un de ses autres fils, Brian- pour Marianne, puis Stellina, elle a transgressé la règle."  Tous deux s'accordent à dire qu'elle avait "un sacré caractère". Si les enfants vivaient en pension la semaine, leurs week-ends et vacances semblent dignes d'un film hollywoodien durant lesquels ils cotoyaient Tito, Fidel Castro ou Jackie Kennedy. "Ce qui est sûr, c’est qu’elle dérange toujours ceux qui combattent ses idéaux.", écrivent-ils encore. 
En 1969, elle finit par payer cher ses nombreuses largesses et son train de vie dispendieux. Elle perd le chateau et connaît la ruine. Elle et sa tribu sont alors accueillis quelques temps et grâcieusement à l'hôtel Scribe, près de l'Olympia. Dans un couloir du 2e étage, baptisé "étage Joséphine Baker", trône une grande fresque de la star. A la fin de sa vie, elle trouve avec sa famille asile dans une villa prêtée par une amie chère, Grâce de Monaco.
 
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Joséphine Baker et son mari, en 1956, entourés de leurs enfants. De gauche à droite : Luis, Jean-Claude, Jeannot, Jarry, Moses et Akio.
©AP Photo/Pierre Godot
Pendant les années 1970, Joséphine reprend du service à l'Olympia, et aussi à Londres et ailleurs en Europe, mais le temps a passé et l'époque a changé. Le succès n'est pas à la hauteur de celui qu'elle avait connu. En avril 1975, au lendemain d'un spectacle, Joséphine Baker est victime d’une attaque cérébrale. Transportée à l’hôpital, elle y meurt deux jours plus tard, le 12 avril, à l'âge de 69 ans. Elle aura droit à des funérailles quasi nationales en présence de nombreux ministres et officiels mais surtout d'une immense foule. Elle repose désormais aux côtés de son mari au cimetière de Monaco. 

"Osez Joséphine au Panthéon"

Baker tombe
Joséphine Baker repose aux côtés de son époux Jo Bouillon, au cimetière de Monaco. 
©DR
"Nous pensons que Joséphine Baker, 1906-1975, a sa place au Panthéon",  lisait-on sur le site de la pétition Osez Joséphine au Panthéon, adressée au président français Emmanuel Macron. A l'origine de ce projet, l'essayiste Laurent Kupferman. "Sa panthéonisation serait un puissant symbole d’unité nationale, d’émancipation et d’universalisme à la française", expliquait-il sur France Inter"C'est toujours compliqué de regarder le passé avec les lunettes du présent et même si nous n'étions pas dans la tête de Joséphine Baker, je ne crois pas qu'elle ait voulu faire la promotion de la vision tribale africaine d'une femme. D'ailleurs, quand on la voit danser sur les images, c'est plus une forme de charleston fou qu'une danse tout à fait tribale. On est loin de l'exposition coloniale", répondait-il quand on l'interrogeait sur l'image et les clichés réducteurs voire racistes de ses premiers spectacles. 
 

Une initiative relayée par la Licra, et son président Mario Stasi, et soutenue par plusieurs personnalités, dont Stéphane Bern, Nicoletta, Pierre Souchon,  Rachel Khan, Marie-Paule Belle... L' idée avait déjà été initiée en 2013 par l'écrivain et philosophe Régis debray qui avait écrit une tribune dans le Monde.

Maman était profondément reconnaissante à la France d'avoir pu accéder à une certaine notoriété et surtout à une liberté d'opinion. Ça a servi de socle pour promouvoir ce droit à la différence.
Akio Bouillon, fils de Joséphine Baker

"L'intérêt c'est de rassembler des artistes, des politiques et des anonymes surtout. Quoi qu'il arrive, ce sera de toute manière une réussite pour célébrer la mémoire de ma mère", expliquait Brian Bouillon-Baker sur France 3 Aquitaine. "Maman était profondément reconnaissante à la France d'avoir pu accéder à une certaine notoriété et surtout à une liberté d'opinion. Ça a servi de socle pour promouvoir ce droit à la différence", évoque de son côté son frère, Akio. 

Joséphine Baker a écrit plusieurs ouvrages dont Mon Sang dans tes veines, réflexion sur l’injustice de la discrimination raciale. "Ils ont tous une race différente, mais pourtant ils ont tous le même sang et s'aiment profondément", disait-elle lorsqu'on l'interrogeait sur ses enfants, comme le rappelle Angélique de St-Exupéry, propriétaire actuelle du Château des Milandes, et conservatrice du musée qui s'y trouve. Un musée consacré à "la plus parisienne des Américaines, la plus sulfureuse des danseuses de music hall, la plus grimaçante des icônes", comme la décrit France musique... 

 
Jusqu'à Joséphine Baker, seules cinq femmes sont devenues des "Grands hommes, la Patrie reconnaissante" et reposent dans la crypte parmi 75 hommes : Simone Veil, Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève De Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion.
 
Plusieurs comités militent pour que d'autres femmes les rejoignent et rétablissent, un peu, l'équilibre, comme l'avocate et défenseure du droit à l'avortement Gisèle Halimi, la résistante Lucie Aubrac ou encore l'écrivaine et militante féministe de la Révolution Olympe De Gouge. Selon une enquête réalisée sur Internet en 2013, quelques autres figures majeures sont aussi pressenties : Louise Michel, Simone de Beauvoir, George Sand ou encore Sœur Emmanuelle. 
 


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Olympe de Gouges