Une Turquie, ou plutôt deux ? La crise qui secoue ce pays depuis quelques mois, opposant un gouvernement islamo-conservateur à une partie de la population souhaitant un état moderne, fondé sur des valeurs universelles, trouve son pendant dans le statut des femmes.
D'un côté, celles de l'élite, de l'autre, celles qui sont cantonnées à la maison. Les premières appartiennent à une communauté principalement basée à Istanbul, qui détient une part essentielle du pouvoir économique grâce à ses conglomérats industriels et ses banques. Ces femmes, souvent elles-mêmes filles et épouses de grands industriels, exercent, pour 26% d'entre elles, des fonctions à hautes responsabilités. Et 12% sont PDG, selon les données des fédérations patronales. Ces chiffres, dans un pays qui accorda le droit de vote aux femmes (1934) bien avant la France par exemple, ont de quoi faire rêver les Européennes, qui ne sont que 13,7% à siéger dans un conseil d'administration et seulement une poignée à diriger une grande entreprise.
Quant aux deuxièmes, elles ont du mal à simplement travailler. En effet, seules 26% des Turques participent actuellement au marché de l'emploi (contre 62,4% en Europe, selon l'OCDE). Pis, cette participation est en recul, puisqu'elle s'élevait à 35% il y a dix ans. Enfin, selon
l'étude annuelle du Forum économique mondial sur les disparités hommes/femmes, la Turquie se classe 124ème sur 135 pays étudiés... Tradition de domination masculine, manque d'éducation et de représentation sont autant d'éléments qui expliquent ce classement.
Pionnières et modèlesCharge donc aux
Güler Sabanci (PDG du
conglomérat familial Sabanci - finances, énergies, constructions, etc -, et listée par Forbes en 2012 comme l'une des 100 femmes les plus puissantes au monde) et autres d'agir. Pour promouvoir le travail féminin en général, et être un jour rejointes par de nouvelles femmes puissantes, dans d'autres entreprises, plus modestes. En dehors des très grandes, la proportion d'administratrices dans les sociétés turques tombe en effet à 10%.
C'est ce qu'elles font, avec, dans l'entreprise où elles travaillent, des dispositifs visant à promouvoir l'égalité salariale et l'égalité des chances, la lutte contre la discrimination et l'équilibre vie de famille/vie professionnelle. De plus, si les filles sont de plus en plus nombreuses à aller à l'université en Turquie, ces femmes d'affaires ont, entre autres, lancé ou rejoint, dans la tradition d'engagement social et culturel de ces grandes familles industrielles stambouliotes, des ONG offrant des bourses d'études à des jeunes filles sans moyens et octroyant des micro-crédits pour le démarrage d'affaires “de femmes”. De quoi espérer l'émergence, à terme, d'une masse critique de femmes actives.
Mais déjà, toutes se liguent entre elles contre l'une des ambitions de l'actuel gouvernement. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan a beau répéter à l'envi qu'une femme doit avoir « au moins trois enfants », le taux de fertilité, de 4,3% en 1970, est tombé à 1,9% en 2010.
Quant aux manifestant-e-s du parc Gezi, ils/elles ont eux-aussi répondu, il y a quelques mois, à cette injonction, en demandant à Erdogan, par banderoles interposées : “Voudriez-vous vraiment trois enfants comme nous ?”...