Le Parlement canadien miné par le sexisme ? Et la France aussi...

La lettre a fait grand bruit la semaine dernière sur la colline parlementaire à Ottawa et ailleurs au Canada : une députée conservatrice Michelle Rempel a publié un texte intitulé « Confrontez votre propre sexisme » dans lequel elle interpelle ses collègues masculins sur la culture machiste qui perdure entre les murs du Parlement canadien. La France n'est pas à l'abri de ces pratiques d'un autre âge, en témoignent les révélations d'un livre sur un ministre en exercice.
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Parlement d'Ottawa
Le flamboyant immeuble du Parlement canadien. Sa forme quelque peu phallique influencerait-elle les élus ?
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Toujours et encore ce vieux réflexe de condescendance et de mépris…


Michelle Rempel est membre du Parti conservateur et députée de la province de l’Alberta, cette province de l’ouest canadien. Dans une lettre qu’elle a rendue publique dans le non moins conservateur quotidien National Post, le 18 avril 2016 et qui n'en finit pas de faire des vagues depuis, elle explique qu’elle subit régulièrement depuis 2011 des insultes sexistes ainsi que du harcèlement. Elle fait notamment référence à un commentaire formulé récemment à son endroit par l’un des ministres du gouvernement Trudeau sans vouloir toutefois le nommer publiquement. Et elle demande à ses collègues masculins de réfléchir à ce machisme latent et de confronter leurs préjugés envers les femmes.

Le sexisme quotidien auquel je fais face, inclut l'adjectif "chienne" lorsque je n'approuve pas automatiquement ou que je refuse de capituler sur un sujet
Michelle Rempel, députée

L'élue sait manier l'ironie et la fermeté : "Je suis privilégiée cependant. Je ne l'ai pas eu à surmonter les obstacles que beaucoup d'autres femmes sont confrontées. J'ai un partenaire romantique qui ne se sent pas émasculé par mon succès, et m’encourage avec enthousiasme à poursuivre mes aspirations. J’ai travaillé pour et avec les employeurs qui se comportaient pareillement. Je suis dans une position d'autorité. Je n'ai pas eu à élever des enfants comme une femme célibataire et sans aide. Je suis « cisgenre » (conforme à mon sexe, ndlr), normale, et blanche. Mon indice de masse corporelle ne dépasse pas 25. Je ne suis pas une migrante Je ne suis jamais retrouvée dans une relation abusive. J’ai été assez chanceuse avoir eu un emploi stable tout au long de la majeure partie de ma vie professionnelle. Je pourrais continuer, ainsi et ainsi de suite.
Le sexisme ordinaire que je ressens est énervant. Il me met en colère, et il me fait rouler des yeux. Parfois, quand il est vraiment très méchant, il me fait sortir de moi-même. Je le nomme. J’en parle. Cela dit, je ne l'ai jamais perdu un emploi à cause de cela. Je n’ai même jamais connu la violence à cause de cela. Je ne l'ai jamais eu à se soucier de nourrir ma famille à cause de cela.
Alors, qui suis-je pour dire aux autres femmes comment elles doivent lutter contre le sexisme au quotidien ?
Tandis que je salue les efforts de nombreuses femmes à aider d’autres femmes à faire face au sexisme au moment même où il se produit, nous devons renverser la table. La responsabilité de la lutte contre le sexisme au quotidien ne se trouve pas avec ceux qui vivent avec ; elle se trouve avec vous tous
."

Une lettre saluée par de nombreuses autres députées, tout partis politiques confondus. Car il semble bien que Mme Rempel ne soit pas la seule à faire les frais de ces petites remarques assassines et commentaires mesquins sortis tout droit de la bouche de certains messieurs. Comme le montre le reportage ci-dessous de Radio Canada...
 

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Laurin Liu a été députée de 2011 à 2015 d'une circonscription au Nord de Montréal.e Elle n'appartient pas à la même formation que Michelle Rempel, mais est membre du Nouveau Parti démocrate, le plus à gauche des grands partis au Canada. Cela n'empêche pas cette féministe de soutenir son adversaire dans ce combat-là. « Michelle Rempel vise juste. Les femmes ne devraient pas à avoir à combatte le sexisme tous les jours au travail. Cela le rend le travail toujours plus épuisant » a-t-elle tweeté le jour même de la parution de la lettre.
 

Certaines députées et ministres, issues d’autres domaines que la politique, veulent cependant relativiser. Elles ont fait remarquer que le milieu de la colline parlementaire est moins sexiste que d’autres domaines professionnels comme celui du droit ou de l’ingénierie. Et comme le dit si bien le proverbe, quand on se compare on se console, il est vrai que le machisme teinte davantage certains Parlements ailleurs dans le monde. Soit… mais on est encore loin d’éradiquer le phénomène dans l’hémicycle canadien, ce que reconnaît le Premier ministre Justin Trudeau, qui s’affirme d’ailleurs féministe sans aucune hésitation : « C’est un défi dans des lieux de travail à travers le pays, a-t-il déclaré, on a fait des améliorations ici mais il y a encore énormément de travail à faire et on fait partie de la solution ». La ministre de la Condition féminine Patty Hajdu a renchéri : « Il est temps d’avoir une conversation sur les auteurs de sexisme et le fait qu’ils doivent comprendre que leur comportement n’est pas le bienvenu, n’est pas acceptable, et que cela ne sera pas toléré dans nos milieux de travail ». Et elle a félicité sa collègue députée et pourtant adversaire, pour sa plume, par un tweet enthousiaste : "Un grand texte. Michelle Rempel place la responsabilité pour en finir avec le sexisme, entre les mains de ceux qui le perpétuent."
 

Une autre polémique plus inattendue a surgi derrière cette affaire : le féminisme peut-il être de droite ? La députée conservatrice a été attaquée sur les réseaux sociaux. Même si certain-es saluaient sa démarche offensive contre le sexisme en politique, on lui "interdisait" de se proclamer féministe parce que selon ces internautes, le féminisme n'est vrai que lorsqu'il s'accompagne d'une approche sociale. "Il y a une approche de gauche du féminisme. Cela ne veut pas dire que le féminisme est de gauche" a répondu sèchement Michelle Rempel.
 

Un code de conduite adopté en 2014


En décembre 2014, le Parlement canadien s’est doté d’un code de conduite dans la foulée d’une histoire de harcèlement sexuel impliquant deux députés libéraux auprès de deux députées du Parti Nouveau Démocratique – les dits députés avaient été mis à la porte du caucus du Parti libéral du Canada illico presto par Justin Trudeau, qui n’était pas encore premier ministre à l’époque -. Ce code prévoit plusieurs dispositions pour prévenir ces pratiques et encourager les femmes qui en sont victimes à porter plainte. Mais ce n’est pas juste un code de déontologie qui peut changer des réflexes issus d’une culture machiste visiblement indécrottable chez plusieurs hommes. Il faudra des années et des années pour faire évoluer des mentalités encore solidement ancrées dans certains cerveaux masculins et l’une des solutions pour ce faire, c’est d’augmenter la présence des femmes sur les strapontins du Parlement canadien. Car si JustinTrudeau présente une parité louable hommes-femmes au sein de son cabinet, moins du tiers des députés canadiens sont des femmes ( 88 sur 338 ). Plus de femmes en politique = moins de sexisme…L’équation est simple, la mettre en pratique l’est moins…

En France, une polémique aussi : élastique or not élastique ?


Michel Sapin, le ministre des Finances et des Comptes publics, au sein du gouvernement français semble rester serein malgré les accusations parues dans "L'Elysée Off", un livre des journalistes Stéphanie Marteau et Aziz Zemouri. Les auteurs racontent comment le ministre a été pris la main dans les fesses d'une journaliste, lors du Forum de Davos en janvier 2015 :  voyant une journaliste penchée pour ramasser un stylo, il "ne peut retenir sa main en murmurant: 'Ah, mais qu'est-ce que vous me montrez là?' et (...) fait claquer l'élastique de la culotte de la reporter en pantalon taille basse". Le ministre se défend aujourd'hui des ces "accusations calomnieuses" avec des arguments un peu courts : "C'était une blague potache et la journaliste a pris la mouche. Il ne comprend pas et est très étonné de la tournure qu'a pris l'affaire", dit son cabinet. Une attitude dénoncée par Osez le féminisme qui demande sa démission. La France reste marquée par les frasques brutales d'un autre ministre et ancien patron du FMI, Dominique Strauss Kahn...
 


Cette affaire a été surnommée sur les réseaux sociaux français "Culotte papers", en référence aux fameux Panama papers. Mais cette scène est aujourd'hui contestée dans son déroulé exacte par celles-là mêmes qui l'avaient rapportée en mai 2015. Le collectif "Bas les pattes", dans une tribune de 40 journalistes femmes dénonçant le sexisme en politique, avait relaté l'échange sans nommer le ministre et sans parler d'élastique. L'une des membres de ce collectif, journaliste à Mediapart et s'exprimant "au nom" de "Bas les pattes" auprès de Metronews mardi 26 avril 2015, apporte quelques précisions. Michel Sapin aurait en réalité "touché le bas du dos" de la journaliste. Ce vaut déjà son pesant de cacahuètes si vous nous permettez l'expression...


Le 22 avril 2016, dans une tribune bis, les mêmes journalistes de "Bas les pattes" ont donc tenu à modérer la version des faits rapportée dans le livre L'Élysée Off, même si elles qualifiaient le geste du ministre de "harcèlement sexuel" : " Notre collectif composé de journalistes a fait le choix de dénoncer ces pratiques inacceptables sans divulguer le nom de leurs auteurs. Cette décision nous semblait le meilleur moyen pour que notre démarche - un combat de principes - ait plus d’impact. Facile et tentant, un coup de projecteur sur un homme politique dédouane du même coup tous les autres et fausse le rapport de forces.
Nous invitons nos confrères et consoeurs qui souhaitent s’emparer du sujet grave que constitue le harcèlement sexuel à le faire via des enquêtes basées sur des faits recoupés.
", écrivent-elles, un peu donneuses de leçons tout de même. Toucher le bas du dos d'une femme pliée en deux est-il tellement moins grave que faire claquer son élastique ?
En tous les cas, des deux côtés de l'Atlantique : #yaduboulot