Le Parlement européen vote pour l'égalité femmes/hommes dans les médias. Mais sans contrainte...

Lors de sa plénière d'avril 2018 à Strasbourg, le Parlement européen a adopté un texte sur l'égalité des genres dans le secteur des médias. Pour sa rapporteuse, Michaela Šojdrová (PPE), ce texte vise avant tout à rappeler les règles existantes en la matière pour les faire enfin appliquer pleinement.  Au sein des 28 États membres de l'Union européenne, l'écart entre les femmes et les hommes reste large.
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Michaela Sojdrova
Michaela Sojdrova à Strasbourg le 19 avril 2018, députée européenne tchèque (PPE) membre de la Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen, rapporteuse du texte consacré à l’égalité des genres dans le secteur des médias au sein de l'UE
(c) Bénédicte Weiss
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Je suis très heureuse que l'amendement demandant une nouvelle agence contre le sexisme ait été refusé. Nous avons voté contre.” Ce 19 avril 2018, au surlendemain de l'adoption de son rapport consacré à l’égalité des genres dans le secteur des médias au sein de l'UE, Michaela Šojdrová, députée européenne tchèque (PPE - Parti populaire européen, soit les Démocrates-Chrétiens, droite) membre de la Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen, est satisfaite.

Pour l'égalité femmes/hommes mais sans contrainte

Pour cause, elle ne souhaitait pas que ce texte mène à la création de nouveaux outils réglementaires en matière d'égalité femmes-hommes, mais qu'il rappelle les normes déjà en place et incite à davantage les mettre en œuvre. Elle estime qu'avec ce rapport et “pour la première fois”, la situation des femmes dans les médias, qu'il s'agisse de journalisme, de cinéma ou de publicité, a été décrite dans sa globalité. Un pas timide donc, mais un pas quand même.
Pour ce faire, les auteur.e.s ont auditionné des femmes, journalistes, directrices de médias, expertes… et des hommes, pour les interroger sur leur perception de l'égalité des genres et des rôle et place des femmes dans ce secteur.

À la longue liste de statistiques montrant la différence de situation et de traitement entre les genres féminin et masculin peut encore s'ajouter le troisième rapport annuel du Conseil supérieur de l'audiovisuel français consacré à cette question, en mars 2018 : malgré une “légère hausse” des femmes sur les antennes hexagonales en 2017, elles restent sous-représentées à la télévision aux heures de fortes audiences, avec un taux de présence de 29 % sur la tranche 18h-20h contre 42 % au global…

Une situation d'inégalité partagée en Europe

À l'échelle de l'Union européenne, la situation n'est pas meilleure. Selon Marlène Coulomb-Gully, professeure à l'université Toulouse 2 spécialiste de la communication et des médias, ayant notamment travaillé sur le Global Media Monitoring Project, étude portant sur la représentation des femmes dans les médias d’information depuis 1995 à l'échelle mondiale, les ségrégations verticales (plafonds de verre et collant) et horizontales (spécialisations thématiques, « care » pour les femmes, sujets régaliens pour les hommes) persistent et sont globalement partagées par les 28 États membres. Seuls les médias d'Europe du Nord et de l'ex-Union soviétique tireraient leur épingle du jeu : du fait d'une antériorité en matière d'égalité dans le premier cas et, pour le second, parce que le métier de journaliste était peu prisé des hommes avant la chute de l'URSS : censure forte, salaire bas, peu de perspectives d'évolution… “Quand les médias ont été privatisés, les femmes se sont alors trouvées en assez bonne position pour conserver ces postes”, commente Marlène Coulomb-Gully.

Les exemples de luttes pour l'égalité sont nombreux en Europe : à la BBC en Grande-Bretagne, démission de Carrie Gracie pour protester contre les inégalités salariales ; aux Échos, en France, grève des signatures contre l'absence de femmes dans la hiérarchie du journal, en Allemagne, campagne numérique contre le “sexisme” de Bild… sans oublier le déclenchement du mouvement #Metoo suite aux témoignages et aux accusations de viol de la part d'actrices notamment européennes contre le réalisateur Harvey Weinstein. Et comme ailleurs, en Europe, les femmes restent largement cantonnées aux secteurs de la santé et du social, tandis que les domaines régaliens restent l'apanage des hommes.

Il y a 40 % de femmes dans les médias en Europe. Certains diront que ce n'est pas mal. Mais, de la gestion de services jusqu'à la position de cheffe, on ne trouve qu'un tiers de femmes.
Michaela Šojdrová, députée européenne

Il y a 40 % de femmes dans les médias en Europe. Certains diront que ce n'est pas mal. Et 68 % de femmes parmi les diplômé.e.s en journalisme et en communication… Mais, de la gestion de services jusqu'à la position de cheffe, on ne trouve qu'un tiers de femmes. Quant aux expertes interrogées elles sont environ 17 % et seuls 20 % de films sont tournés par des femmes. Une grande différence d'écart de salaires existe aussi, elle est d'environ 17 %”, égrène Michaela Šojdrová.

Alors, insiste-t-elle, il est nécessaire de rappeler les bases législatives existant en Europe et de les “mettre en œuvre”. À commencer, tout simplement, par le fait que “l’égalité entre les hommes et les femmes constitue un principe fondamental de l’UE”. S'y ajoute deux directives : l'une sur les services de médias audiovisuels, en cours de révision, et une autre relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

Imiter les exemples vertueux

Pour tenter d'inverser la tendance, la députée invite à imiter les exemples vertueux, comme Expertalia, site internet belge mettant en avant des expert.e.s femmes et/ou issus de la diversité. Rappelons aussi l'initiative des Expertes, en France. Mais qui y a recours ? Pauline Chabbert, coordinatrice du projet des Expertes, précise qu'une enquête devrait prochainement être lancée pour savoir si les hommes journalistes consultent autant ce site que leurs consœurs. Elle précise aussi que le site pourrait être lancé outre-Rhin.

Des associations de femmes journalistes existent aussi dans différents pays, en Allemagne, en Italie, en France… Citant entre autres une radio catholique tchèque aménageant les conditions de travail des femmes de retour de congé maternité, ou les règlements intérieurs de médias audiovisuels allemands, Michaela Šojdrová note que certains médias, “surtout de service public”, ont une approche favorable aux femmes. Marlène Coulomb-Gully pense elle aussi que les médias publics sont “moins défavorables” car assujettis à davantage de contraintes en matière d'égalité. “Une autre conséquence de cela est que, dans la mesure où la presse écrite relève massivement d'entreprises privées, celle-ci se trouve plus inégalitaire pour les femmes que l'audiovisuel, davantage public”, ajoute-t-elle.

Le renforcement des femmes dans les médias n'est pas seulement une question pour les femmes, mais pour toute la société
Michaela Šojdrová

Mais pour Michaela Šojdrová, l'une des priorités reste de percer le plafond de verre afin que plus de femmes accèdent aux postes à hautes responsabilités. Selon elle, cela serait la clé de nombreux problèmes : elles comprendraient mieux la situation de leurs collègues féminines, équilibreraient davantage les sources d'information, prendraient plus en compte l'égalité des genres dans les contenus diffusés… “Le renforcement des femmes dans les médias n'est pas seulement une question pour les femmes, mais pour toute la société”, ajoute la députée.

Son initiative a été fort bien accueillie par la plupart des élues du Parlement européen, et même saluée par des députées qui ne sont pas de son bord, comme la Française du Front de gauche Marie-Christine Vergiat : 

Et encore, par une collègue slovaque, la socialiste Monika Smolková qui a immortalisé ce moment de gloire : 


Améliorer la place des femmes dans les médias européens permettrait donc de leur assurer une meilleure place partout ? Les questions d'inégalités se retrouvent dans tous les corps de métier, mais aussi hors de la sphère professionnelle. Pour Pauline Chabbert, directrice associée du Groupe Egaé (spécialisé dans la formation à l'égalité professionnelle entre les sexes), l'égalité des genres dans les médias est bien “l'un des leviers” nécessaires, avec le levier individuel, l'égalité professionnelle et les politiques publiques.

Mais, rappelle Marlène Coulomb-Gully, sans “la prise de conscience et les revendications des femmes pour accéder à l'égalité”, beaucoup de politiques mises en place par les États, notamment sous l'impulsion de l'Union européenne, resteront lettre morte.