Au coeur d'une vive polémique suscitée par son projet de destruction, le Pavillon des Sources à Paris, sauvé de la destruction in extremis, sera déplacé mais préservé. Ce lieu où a travaillé Marie Curie, ainsi que sa fille Irène Joliot-Curie - toutes deux Prix Nobel - sera classé monument historique.
Un projet de nouveau bâtiment, qui prévoit de détruire le Pavillon des sources (le laboratoire de Marie Curie) et son jardin à Paris a été suspendu temporairement. De nombreuses personnalités demandent qu'il soit classé monument historique.
Un lieu de mémoire pour la science au féminin sauvé de la destruction : le Pavillon des sources sera finalement déplacé de quelques mètres pour être collé au musée de l'Institut Curie, dans le 5e arrondissement de Paris.
L'ancien laboratoire de Marie Curie sera "déplacé, pierre par pierre, de quelques mètres, et collé au musée existant" de l'Institut Curie, a déclaré ce mercredi 31 janvier la ministre de la Culture, Rachida Dati, sur l'antenne de France Inter.
Les premiers coups de pioche et de pelleteuses étaient prévus lundi 8 janvier 2024. Le site du Pavillon des Sources, petit bâtiment de pierres et de briques de deux étages appartient à un ensemble de trois autres qui constituent l'Institut Curie (ex-Institut du radium) dans le quartier Latin, fondé par Marie Curie, double Prix Nobel et première femme à recevoir ce prestigieux titre.
Dans un message publié sur X (ex-Twitter), Rima Abdul Malak, alors ministre de Culture, annonce l'arrêt des travaux de démolition du Pavillon des Sources. En suspendant la démolition de ce bâtiment, la ministre choisit ainsi de mettre en pause une polémique devenue politique, et sauve in extremis le bâtiment, objet de toutes les passions depuis des mois.
"J'ai échangé avec Thierry Philip, président de l'Institut Curie. Nous sommes convenus qu'il suspende la démolition du Pavillon des Sources pour se donner le temps d'examiner, avec les parties prenantes et ma collègue @sretailleau (Sylvie Retailleau, reconduite dans ses fonctions de ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche au sein du nouveau gouvernement), toute alternative possible", écrivait la ministre, juste avant le remaniement ministériel annoncé au fil de la semaine du 8 janvier 2024.
Vue du projet de bâtiment Claudius Regaud, à l'Institut Curie, à Paris.
Défenseurs de la science et du patrimoine considèrent que la destruction du petit bâtiment historique représenterait une atteinte grave à la mémoire de Marie Curie. L'Institut Curie veut construire sur le site, situé sur la montagne Sainte-Geneviève et à deux pas du Panthéon, un bâtiment de cinq étages, soit environ 2000 m2 de surface, pour abriter "le premier centre de chimie biologique sur le cancer en Europe".
"Nous avons échangé avec sérénité sur le débat complexe autour d'un projet scientifique indispensable, qui doit rester sur la montagne Sainte-Geneviève, et sur l'enjeu mémoriel qui suscite aujourd'hui de l'émotion", a indiqué le président de l'Institut Curie dans un communiqué transmis à l'AFP, confirmant que des travaux de "décontamination prévus le 8 janvier" étaient "suspendus pendant ce temps de réflexion".
Selon ce responsable, le Pavillon des Sources n'est pas un ancien laboratoire de Marie Curie mais un ancien lieu de stockage de déchets radioactifs aujourd'hui vide. Il souligne que le Pavillon Curie, son laboratoire, n'est en revanche pas menacé.
Marc Joliot, l'arrière-petit-fils de la prix Nobel de chimie a assuré, dans une interview pour franceinfo, être favorable au projet de démolition, à la faveur de la construction d'un centre de chimie biologique sur le cancer. "On doit le faire et on va le faire parce que c'est extrêmement important", ajoute dans cet entretien l'actuel directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
La destruction du Pavillon des Sources était imminente après l'avis favorable des Architectes des bâtiments de France et en dépit des mises en garde de la Commission du Vieux Paris, une instance consultative de la mairie ayant réprouvé "le caractère massif et disproportionné" du projet.
Sauf que le musée Curie lui-même indique sur son site internet que la scientifique y a "formé une équipe destinée à la fabrication des ampoules d'émanation du radium", utilisées dans les "hôpitaux militaires pour aseptiser les blessures de guerre" de 1914-18. "Il s'agissait d'une partie essentielle du laboratoire historique de Marie Curie", insiste Baptiste Gianeselli, qui milite contre le projet, photos, textes et témoignages à l'appui.
Parmi les défenseurs du Pavillon des Sources, le célèbre animateur Stéphane Bern, chargé par l'Elysée en 2017 d'une mission pour le patrimoine. Selon lui, sa destruction "serait une faute grave", en raison de "sa dimension mémorielle et symbolique donc patrimoniale".
La militante et présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, elle aussi a pris la parole sur France Inter pour défendre ce lieu "emblématique de l'apport des femmes à la science puisqu'il a vu plusieurs femmes en leur temps parmi les plus grandes scientifiques que la France ait connues".
C'est époustouflant, unique, c'est notre matrinoine ! Anne-Cécile Mailfert, président Fondation des femmes
Et d'ajouter les noms de "Marguerite Perey qui isola le francium en ces lieux, première femme reçue à l'Académie des sciences et bien sûr Irène Jolliot-Curie, la fille de Marie, également Prix Nobel. C'est époustouflant, unique, c'est notre matrinoine !".
Menée notamment par l'historienne féministe Claudine Monteil, une action
a pris de l'ampleur au cours de ces dernières semaines, qui a permis la suspension de la démolition de ce lieu mémoriel. Mais la bataille n'est pas gagnée pour autant, et "il faut, pour préserver le Pavillon des sources (le
laboratoire de Marie Curie), et l'inscrire dans notre matrimoine, le
faire classer monument historique", estiment ses défenseur.e.s.
Une tribune rédigée par plusieurs personnalités, autrices et historien.ne.s - dont Sylvia Duverger, Juliette de Causans, Cécile Berly, entre autres - est en préparation. "Seul un classement Monument historique de l’ensemble de l’Institut Radium comportant notamment le Pavillon Curie, le Pavillon des Sources et son jardin, permettrait de les sauver définitivement. Ce classement de l’ensemble de l’Institut du radium ayant déjà été demandé par Eve Curie, la fille de Marie Curie", est-il rappelé.