"Le piège - traite des femmes au Népal", exposition saisissante de Lizzie Sadin

Après une minutieuse enquête de terrain de trois mois, la photo-reporter Lizzie Sadin dévoile le trafic de femmes au Népal. Ses photographies, exposées à l’Hôtel de l’industrie à Paris, montrent l’esclavage et la mise en servitude de ces femmes et jeunes filles le plus souvent victimes de guet-apens, fomentés par des « amis » ou des membres de leur famille.
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Dohori
UN DOHORI À GONGABU
Quartier chaud de Katmandou - Cette chanteuse d’un dohori a reçu les avances d’un client. Les filles qui travaillent dans ces Dohoris racontent toutes la même chose : attouchements, grossièretés et insanités. Elles doivent tout accepter.
 
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme (DR)
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Plongée dans l’enfer du trafic d’êtres humains basé sur le genre. C’est l’objectif de cette exposition de la photo-reporter Lizzie Sadin, lauréate du Prix Carmignac du photojournalisme, lors du festival Visa pour l'Image 2017, à Perpignan (Sud de la France). Durant trois mois, elle a enquêté sur les deux types de trafics de femmes et de filles qui sévissent au Népal, ce pays d'Asie "le plus haut du monde".
 
Le premier est interne à cet Etat, dominé par la religion hindouiste, et concerne des femmes qui viennent des régions pauvres vers Katmandou. Le second est externe, il s’agit de femmes envoyées en Inde, vers les pays du Golfe, le Moyen-Orient, la Chine, la Corée où elles sont exploitées comme domestiques et mise en servitude. C'est ce que nous explique Lizzie Sadin, dans la vidéo ci-dessous.
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L’esclavage de ces Népalaises se répand dans quatre types de lieux : « les cabin restaurant », les dance-bar, les « dohoris » qui sont des bars chantants, et les salons de massage. 
Nepal-cabin restaurant 1
Quartier de Nakhu, Katmandou - mars 2017
Une jeune femme attend le client. Le lieu est divisé en petites cabines en bois où les filles sont seules avec leur client.
 
(c) Lizzie Sadin pour le prix Carmignac du photojournalisme. (DR)
Cabin Lizzie Sadin
Quartier de Chabahil, Katmandou - mars 2017
Amrita, 23 ans,vient d’être appelée par un client… Les filles sont à la merci de ces
hommes qui les sollicitent. Elles n’ont pas d’autre choix que d’accepter car elles n’ont pas de contrat, aucun droit... Au bout de trois refus, on leur dit : « ton travail est en danger maintenant… »
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme (DR)
« On estime qu’il existe entre 20 000 à 30 000 femmes à Katmandou (capitale du Népal) qui sont exploitées dans différents lieux. Plus de la moitié d'entre elles sont forcées à se prostituer et la moitié de ces femmes, aussi, sont des mineures », rapporte Lizzie Sadin.

Des pièges tendus par leurs proches

Ce travail très riche intitulé « le piège » révèle les vies brisées de ces femmes et jeunes filles dupées par leurs proches dans ce pays en proie à une extrême pauvreté. « Des faux amis, des parents, des cousins les livrent à des proxénètes ou leur font croire qu’elles vont gagner de l’argent en partant en Arabie Saoudite ou à Dubaï pour travailler dans le textile ou comme domestique, témoigne Lizzie Sadin.  Mais une fois sur place, elles sont exploitées. »
Piège proches Lizzie Sadin
Birgunj, district de Hetuda - mai 2017 
Une membre de l’organisation Maiti Nepal, assistée d’un officier de police, contrôle une femme qui est accompagnée de plusieurs enfants.
 
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme (DR)
Depuis le tremblement de terre qui a fait 9 000 morts, en avril 2015, le Népal est dévasté. 650 000 personnes ont été contraintes de chercher du travail dans les Etats voisins et les femmes sont les premières victimes de cette catastrophe, qui a considérablement aggravé leur vulnérabilité dans ce pays où leurs principaux droits fondamentaux sont bafoués. « La citoyenneté par exemple dépend du bon-vouloir du père ou du mari, dénonce la photographe. Les femmes ne sont pas considérées comme des personnes à part entière, elle vivent dans dans les pires conditions et 60 % à 70 %  d’entre elles sont victimes de violences. »
 

Lizzie Sadin, photo-reporter engagée 

Ce n’est pas la première fois que la photo-reporter
s’attaque à un sujet sensible, à caractère
portrait Lizzie Sadin
Lizzie Sadin, journaliste photographe
(c) Corinne Bourbotte

Comment  Lizzie Sadin a-t-elle enquêté ?

Elle mène toutes ses enquêtes avec une grande minutie. Ce qui fait dire à ses proches: « tu pourrais écrire des thèses sur les sujets que tu traites ».  C’est le sentiment que donne ce reportage soutenu par la Fondation Carmignac dans le cadre de son Prix pour le Photojournalisme. En plus des photos saisissantes, Lizzie Sadin a réalisé, avec Antoine Caquard graphiste pour Carmignac, une carte situant les lieux les plus touchés par ce trafic.
carte Lizzie Sadin
(c) Lizzie Sadin photo-reporter et Antoine Caquard, graphiste pour Carmignac
Infiltrer les réseaux de cette traite n’a pas été une mince affaire. Durant le premier mois à Katmandou, en février 2017, Lizzie Sadin ne sort pas son appareil photo de son sac. Treize kilos qu’elle traînera sur le dos alors qu’elle  multiplie les rencontres avec 25 ONG. « Les associations même françaises ont été très difficile à convaincre. » Eprouvant. Elle se dit « qu’elle n’y arrivera pas ».
Je discutais avec ces femmes, je les interrogeais et tissais des liens mais parfois j’étais persona non grata.Lizzie Sadin, photo-reporter 
Elle décide alors de partir seule dans ces "cabin restaurants" où seule la population locale s'aventure. « Une femme européenne dans les banlieues sordides de Katmandou et surtout dans le quartier très pauvre de Goncabu où aucun touriste ne met les pieds, c’est totalement incongru », raconte-t-elle. Elle entrait, accompagnée d’une traductrice, et se faisait  passer pour une universitaire, spécialisée sur la question des femmes. « J’y passais du temps à chaque fois. Je discutais avec ces femmes, je les interrogeais et tissais des liens mais parfois j’étais persona non grata, certains propriétaires des lieux ne voulaient pas de moi, avoue-t-elle.  Mais quand on me chasse par la porte, j’entre par la fenêtre. »
videur Lizzie Sadin
UN VIDEUR DEVANT UN DANCE BAR - Thamel, quartier central de Katmandou - mai 2017. Tous les dance bars ont un videur à l’entrée pour empêcher la fuite des filles.
 
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du photojournalisme (DR)

Scènes de viol en guise d'appâts

Pugnace, elle prend des clichés à la dérobée, non cadrés, sans mise au point. « Pour moi, ce sont les plus belles photos parce que j’ai saisi des choses importantes, comme ces scènes de sexe et de viol qui sont faites réellement dans ces dance-bar pour appâter le client pour exciter la clientèle, assure-t-elle. Je savais que je ne faisais rien de mal, je suis là pour témoigner et faire en sorte qu’il y ait une sensibilisation et qu’on en parle. » 
 
dance bar Lizzie Sadin
King Road Street, quartier central de Katmandou - avril 2017
Le propriétaire du dance bar simule une scène de sexe ou de viol devant les clients.
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac
Elle parvient finalement à gagner la confiance des femmes et des ONG, et même à convaincre le quartier général de Katmandou. « Après plusieurs refus des policiers, j’en ai eu assez, se rappelle-t-elle. Je leur ai dit, laissez-moi montrer comment vous arrêtez les trafiquants. »
 
Ces femmes n’ont pas du tout la conscience qu’elles son victimes d’un système global.
Lizzie Sadin, photo-reporter
Là voilà enfin, armée de son objectif, à la frontière, dans un commissariat, en train de photographier des femmes sur le départ et les arrestations de trafiquants. Sur ces photos, encore plus que d’autres, on voit combien « ces femmes n’ont pas du tout conscience qu’elles son victimes d’un système global ».

Seules les femmes revenues des pays voisins où elle ont été exploitées se reconnaissent comme victimes. D’ailleurs, après leur retour, certaines ressentent le besoin de s’engager auprès des ONG pour déjouer les trafics. Les anciennes victimes se montrent d’une efficacité redoutable.
Lizzie sadin commissariat
Bhairahawa, district de Sunauli - mai 2017
Le regard de Leha de Ki Nepal en dit long. Elle ne croit pas cette jeune femme. Toutes ses réponses sont suspectes et il semble évident qu’elle s’apprêtait à rejoindre un trafiquant qui l’attend de l’autre côté de la frontière. Il suffit qu’il
lui ait proposé un travail pour qu’elle ait envie de le suivre à tout prix. Elle a deux téléphones, mais les numéros ne répondent pas. Le trafiquant a très bien compris que si elle n’est pas arrivée, c’est que c'est la police qui appelle… Le policier continue l'enquête.
 
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
liz
Bhairahawa, district de Sunauli - mai 2017
Devant tant d’éléments et avec de forts soupçons, un officier de police est mis à contribution pour décider du sort de cette jeune femme. Elle continue d’argumenter
et essaie de convaincre le policier qui surveille la cellule des détenus. L’homme
derrière les barreaux, mis en garde à vue, porte un T- shirt sur lequel il est écrit :
« Je ne suis pas EN danger, je suis LE danger ».
 
(c) Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme

Quels espoirs pour ces Népalaises ?

Au milieu de ces sombres destins, quelques raisons d’espérer. « Des actions sont mises en oeuvres mais on est loin d’une conscientisation globale », souligne la photographe. Le juge Tek Narayan Kunwar a par exemple instauré une "fast-justice" qui facilite la procédure judiciaire pour les victimes. Le gouvernement a également pris des mesures en interdisant aux femmes le passage à partir de Katmandou vers les pays du Moyen-Orient sans un contrat en bonne et due forme. Cependant, les trafiquants ont fini par faire de l’Inde et du Sri Lanka, des pays de transit - les femmes peuvent y prendre l’avion sans contrat.
Il y a aussi l’œil témoin de Lizzie Sadin, qui a rendu à jamais visible, le sort de ces Népalaises. 
 
Pratique :
> Le Piège, traite des Femmes au Népal de Lizzie Sadin
Du 19 octobre au 12 novembre 2017
Hôtel de l’Industrie
4, place Saint-Germain-des-Prés
75006 Paris
Entrée libre et gratuite
Suivez Lynda Zerouk sur Twitter @lylyzerouk