Fil d'Ariane
Ils travaillaient ensemble, sur une même table, le soir après avoir couché les enfants. Un bel exemple de parité conjugalo-professionnelle. Mais faut-il s'en étonner dans la précurseure Suède ?
Née le 25 septembre 1935 à Stockholm, Maj Sjöwall étudie le graphisme et le journalisme. D'abord traductrice, directrice artistique et journaliste, elle unit rapidement son sort à Per Wahlöö. Leur légende veut qu'ils écrivent, chaque soir tard dans la nuit, un chapitre chacun. Comment tout a commencé ? Par le meurtre d'une femme, comme il se doit dans bien des polars qui se respectent... Le couple fait une excursion sur les canaux entre Stockholm et Göteborg, quand Maj a une idée : "Il y avait une Américaine sur le bateau, belle, aux cheveux noirs, toujours seule. J'ai attrapé Per en la regardant. 'Pourquoi ne commençons-nous pas le livre en tuant cette femme?'".
Lui, né en août 1926, était un journaliste travaillant pour différentes parutions et cultivant l'éclectisme : sport , cinéma, infos générales dont, bien sûr, les enquêtes criminelles... On le retrouve dans les années 1950 en Espagne, d'où il sera expulsé en 57 par le régime franquiste : trop critique selon le régime.
Per Wahlöö en tirera un roman Le camion paru en Suède 1962. Un roman et une morale. Willi Möhr, un peintre marginal, fuyant l'Allemagne de l'Est, s'est installé dans un village de pêcheurs. Il y cohabite avec un couple d'artistes scandinaves. Lorsque ces derniers ne reviennent pas d'une partie de pêche, Möhr, persuadé qu'ils ont été assassinés, sort de sa passivité morale pour mener l'enquête. Le camion marque à la fois la naissance de la conscience morale comme signature de Wahlöö et l'acte de naissance du polar politique à la suédoise. D'aucuns parleront même de "polars marxiste".
Ann-Marie Skarp, directrice des éditions Piratforlaget et éditrice de leurs romans voit dans le couple bien plus que de simples auteurs de polars : "Ces dix romans avec pour héros Martin Beck sont désormais des classiques. Ils ont inspiré, j'ose le dire, tous les auteurs de romans policiers vivants. En incorporant les descriptions sociales et le travail policier authentique dans le scénario, May et Per ont changé tout un genre."
Nous voulions trouver un style qui soit ni le mien, ni le sien, mais un style qui serait bon pour nos livres.
Maj Sjöwall
Nous avons beaucoup travaillé le style, expliquait-elle au quotidien britannique The Guardian en 2009. Nous voulions trouver un style qui soit ni le mien, ni le sien, mais un style qui serait bon pour nos livres. Et le style bon pour leurs livres, c'est une critique en règle du modèle suédois, faussement idyllique, qui commence à montrer sa trame inégalitaire et défaillante. Leur projet : révéler "comment les sociaux-démocrates poussaient le pays dans une direction de plus en plus bourgeoise et de droite".
Maj Sjöwall, who, together with Per Wahlöö wrote socially critical novels about Martin Beck, is dead
— Alice Marianne (@_Emmet_Emmet) April 29, 2020
One of the series that most inspired me.
They changed the genre. Whoever is writing crime fiction after these novels is inspired by them in one way or another.
–Henning Mankell pic.twitter.com/vM7OWezSRX
Celui qui en révèle les failles est le commissaire Martin Beck, un jeune policier consciencieux et un rien besogneux, ce qui en fait un personnage atypique, ne lâchant rien, bourru à la manière d'un Maigret scandinave. Mais à l'inverse de Maigret, aucune femme soumise dans sa vie, pas de petits plats ni d'écharpe amoureusement tricotée. Que diable, on est dans la très paritaire Suède ! Le mariage Beck, gangréné par le mal tapi dans la société suédoise, s'étiole à petit feu. Les aventures de Martin Beck sont la grande oeuvre du couple, dix livres qui sont, en fait, les trois cents chapitres d’un seul roman, "le roman d’un crime" selon Maj Sjöwall.
Les éditions Rivages, qui ont réédité à partir de 2008 les dix romans mettant en scène Beck ont eu une jolie idée. Ils ont demandé à autant d'auteurs de préfacer chaque roman. Le premier à le faire est un autre suédois, Henning Mankell, qui préface Roseanna, premier opus de la série. Selon l'éditeur, avec son commissaire Wallander, il s'inscrit dans la continuité de Sjöwall et Wahlöö. Benjamin Guérif qui a supervisé la réedition de la série chez Rivages : "On peut dire qu’avec ces préfaces, les auteurs choisis payent leurs dettes envers Sjöwall et Wahlöö. Tous, qu’ils soient anglo-saxons ou scandinaves, reconnaissent qu’ils ont été influencés par leurs romans policiers."
Le dernier membre de ce duo qui a ausculté la Suède dans ce qu'elle a de moins modèle disparaît 25 ans après son acolyte. Il n'est que temps d'apprendre à prononcer leur très germanique patronyme. Pour parler de Sjöwall et Wahlöö, n'hésitez plus : dites "Cheuval et Va-leu".
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