Le président Donald Trump et ses 18 guerriers blancs en croisade contre le droit à l'avortement

A peine installé à la Maison-Blanche, Donald Trump signait un décret interdisant le financement public d'ONG internationales qui soutiennent l'interruption volontaire de grossesse. Dans le bureau ovale, au moment de la signature, aucune femme, mais une dizaine d'hommes, membres de son équipe, tous en guerre depuis des années contre le droit à l'avortement.
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Trump contre l'IVG 1er décret
Très fier, le président Donald Trump montre aux photographes, entouré de ses principaux conseillers ou membres de son équipe, l'un des premiers décrets qu'il a choisi de signer : l'interdiction pour les association de défense de l'IVG de recevoir des fonds étrangers aux Etats-Unis
AP Photo/Evan Vucci
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La date sonne comme une provocation et une réponse à ses détractrices : au lendemain du 44e anniversaire de « Roe c. Wade », l’arrêt emblématique de la Cour suprême qui a légalisé l’avortement en 1973 aux États-Unis, et au surlendemain des manifestations monstres qui ont réuni des millions d’Américaines et de citoyennes partout dans le monde, le président sonne la charge contre le droit à l'avortement, entouré des croisés anti IVG qui peuplent son équipe. Au premier rang desquels le vice-président Mike Pence, un catholique irlandais passé à l'évangélisme le plus fervent des "Born again" (ceux qui sont nés à nouveau), ou encore le texan, Rick Perry, par ailleurs très climato-sceptique et devenu Secrétaire d'Etat à l'Energie. Le premier, qui a de la constance dans les idées, avait déjà proposé, dans l'Etat d'Indiana dont il est gouverneur, de procéder à un enterrement après un avortement ou même une fausse couche. Le deuxième a presque réussi à bannir le droit à l'avortement du Texas, malgré les rappels à l'ordre de la Cour suprême, en imposant des normes sanitaires aux établissements pratiquant les IVG, impossibles à satisfaire.

Un gage donné aux "pro-vie", aux anti-impôts et à "l'Amérique d'abord"

Parfois appelée "politique de Mexico", car annoncée sous la présidence du président républicain Ronald Reagan à l'occasion de la conférence internationale des Nations unies sur la population de 1984 à Mexico, la politique remise en vigueur par Donald Trump prévoit que les fonds fédéraux d'aide internationale ne peuvent être alloués à des ONG étrangères qui pratiquent l'avortement ou militent pour rendre l'avortement légal. Ces restrictions avaient été annulées par le président démocrate Bill Clinton, puis remises en place par le républicain George W. Bush avant d'être annulées à nouveau par le président démocrate Barack Obama.

Cela faisant, Donald Trump satisfait plusieurs des lobbies les plus puissants sur  lesquels il s'est appuyé pour son élection : les tenants de l'"America First", pour lesquels tout doit d'abord se jouer entre les frontières de la Fédération, les partisans d'une défiscalisation et d'une réduction d'impôts massives, et les pro-life, pro-vie, anti IVG. "Le président a très clairement énoncé qu'il était un président pro life. Il veut agir pour tous les Américains, y compris ceux qui ne sont pas encore nés", justifie le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer. "Réinstaurer la politique de Mexico", ajoute-t-il, "fait également sens du point de vue des contribuables".

"Il s'agit d'une étape cruciale sur la voie pour rendre sa grandeur à l'Amérique", se félicite Tony Perkins, président de l'organisation conservatrice Family Research Council, en reprenant le slogan du milliardaire. M. Perkins a remercié le nouveau président d'avoir tenu "sa promesse de campagne de ne plus obliger les contribuables à payer pour des avortements".

Même si ce décret n'a pas, en apparence, d'impact direct sur les organisations nationales telles le Planning Familial américain (Planned Parenthood), puisqu'il touche les ONG qui agissent à l'extérieur des Etats-Unis, il est un signe évident très négatif à destination des défenseurs du droit à l'avortement. La plus grande structure qui appuie le contrôle des naissances via la contraception, et qui se bat pour la défense du droit à l'IVG, en sécurité et accessible aux plus pauvres aux Etats-Unis, ne s'y trompe pas, et a immédiatement lancé la contre-offensive : "Nous ne laisserons pas sans réponse les attaques lancées contre notre santé, nos droits et nos communautés. Signez la pétition pour dire que vous vous tenez aux côtés du Planning Familial !"
 


 "Les femmes les plus vulnérables dans le monde vont souffrir de cette politique, qui va saper des années d'efforts en faveur de la santé des femmes", s'inquiète Cecile Richards, la présidente de Planned Parenthood. "Cela va provoquer des fermetures de cliniques dans le monde entier, avec pour corollaire une augmentation des grossesses non désirées et des avortements dangereux", prévient-elle en appelant à mener  "combat". Plus que jamais...

Le fait que le gouvernement de M. Trump et les républicains du Congrès mettent à profit leur première semaine aux commandes de l'Etat pour s'attaquer à la santé des femmes en dit long sur leurs priorités
Steny Hoyer, réprésentant, démocrate, du Maryland

L’institut Guttmacher qui  fournit des statistiques sur le contrôle des naissances et l'avortement aux États-Unis et dans le monde depuis 50 ans rappelle les bienfaits de cette politique américaine d’aide à la planification ses naissances dans le monde, une première fois interrompue sous la  présidence du républicain et ancien acteur Ronald Reagan : « Depuis plus de 45 ans, les États-Unis - par l'intermédiaire de son Agence pour le développement international (USAID) - se sont imposés comme le chef de file mondial pour l'amélioration de l'accès des femmes à la contraception dans les pays les plus pauvres du monde. L'autonomisation des femmes via le contrôle de leur fertilité apporte des bénéfices non seulement à elles-mêmes, mais aussi à leurs enfants et à leur famille. Cela signifie moins de grossesses non désirées, souvent à haut risque, et moins d'avortements, dont la plupart dans le monde en développement sont exécutés dans des conditions dangereuses. Un meilleur espacement des naissances favorise aussi la santé des mères, de leurs bébés et familles, et leur octroie de meilleurs revenus, pour elles-mêmes et la société toute entière ». Ce qui entraîne, indirectement, moins de tentative d’émigration à destination des pays riches, comme les Etats-Unis, un effet qui devrait pourtant plaire à Mr Trump, si hostile aux migrants. Et moins d'avortements. CQFD

Un effet boomerang contre le droit à l'avortement aux Etats-Unis

Le décret signé par Donald Trump "représente une agression à l'encontre de la santé des femmes", a de son côté jugé l'ACLU, la grande association américaine de défense des libertés. "Le fait que le gouvernement de M. Trump et les républicains du Congrès mettent à profit leur première semaine aux commandes de l'Etat pour s'attaquer à la santé des femmes en dit long sur leurs priorités", a dénoncé pour sa part le parlementaire démocrate Steny Hoyer. Elle ouvre en tout cas la boîte de Pandore aux décisions les plus saugrenues, à l'encontre du Droit fédéral, de gouverneurs pro-vie en vue d'empêcher ce qu'ils considèrent comme un crime, confortés dans leur toute puissance par un président qui attaque dès le premier jour de son mandat.

Presqu'encore plus que la décision elle-même, ce qui a choqué les opposants au nouveau président, c'est le cadre dans lequel elle a été prise : avec derrière un Donald Trump, assis et occupé à signer ses premières initiatives, comme un rideau opaque, une brochette d'une dizaine d'hommes, blancs, debout, couvant des yeux leur nouveau héros. "Aussi longtemps que vous vivrez, vous ne verrez jamais la photo de sept femmes  signant une loi qui dit ce que les hommes doivent faire avec leurs organes reproductifs… ", épingle Martin Belam, du Guardian britannique, face à cette image, tout à la fois terrifiante et éclairante.


Une semaine avant l'investiture du nouveau président, le New York Times faisait le compte : jamais depuis Ronald Reagan, c'est à dire depuis près de 30 ans, une administration américaine n'avait compté aussi peu de femmes et de personnes issues des minorités. Cinq sur 23, pas une de plus, et à des postes subalternes : quatre femmes, dont trois "blanches" - l'une à l'Education, l'autre aux PME (petites entreprises),  la troisième ambassadrice auprès des Nations Unies - et une d'origine asiatique -aux Transports ; un homme, afro-américain, au secrétariat d'Etat à la Ville.

Les hommes blancs de Donald Trump
La place des hommes (blancs) de Donald Trump, comparée à celle de ses prédécesseurs, avec dans l'ordre protocolaire de son cabinet, de gauche à droite : Mike Pence, vice président ; Rex W Tillerson, secrétaire d’Etat (Affaires étrangères), Steven Mnuchin, Trésor ; James N Mattis, Défense ; Jeff Sessions, Attorney général (Justice) ; James Mattis, Intérieur, etc, etc…
New York Times, capture d'écran

Le Backlash,  retour en arrière, en marche...

Les partisans du magnat de l'immobilier revêtu des habits présidentiels sont, pour leur part, enchantés d'un président qui met aussi vite ses paroles en actes.
Comme les associations "Pro Life", qui militent contre l'avortement, et qui ont aussitôt félicité Donald Trump pour son initiative. Désormais galvanisés par l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, les opposants américains à l'IVG comptent engranger d'autres victoires sous sa présidence. Ils n'ont pour certains pas attendu : depuis l'élection du 8 novembre 2016, ils ont déjà adopté dans certains Etats républicains des mesures anti-IVG draconiennes, qui flirtent parfois avec les libertés constitutionnelles. Comme au Texas, qui a voulu mettre en oeuvre les fameux enterrements de foetus préconisés par Mike Pence (en attente d'autorisation). Une illégalité dont ils se moquent éperdument depuis que Donald Trump s'est engagé à nommer très prochainement à la Cour suprême un juge farouchement opposé à l'IVG, et qui fera basculer la juridiction supérieure en faveur des "pro-life". A terme, explique encore M. Trump, auréolé de son frais décret, le nouveau rapport de force qu'il compte ainsi instaurer pourrait déboucher "automatiquement" sur l'annulation de l'arrêt "Roe V.  Wade".

Le fameux backlash des « petits » hommes blancs contre les droits des femmes aux Etats-Unis, identifié par la féministe américaine Susan Faludi  dans son livre « La guerre non déclaré contre les femmes aux Etats-Unis », paru en 1991, et rappelé par la correspondante du Monde aux Etats-Unis dans une enquête sur l'électorat de Donald Trump, le confirment : voici bien venu le temps de "la revanche des hommes blancs en colère".