Après avoir récompensé en 2010 la grande romancière russe Ludmila Oulitskaïa, le prix Simone de Beauvoir qui,depuis 2008, promeut la liberté des femmes dans le monde, a été attribué à l'Association tunisienne des femmes démocrates, vendredi 23 décembre 2011. C'est un jury international, composé de 25 membres (issus du monde artistique et littéraire) et présidé par la journaliste Josyane Savigneau qui a fait ce choix. « Nous sommes très fières, c'est la reconnaissance de notre combat. Simone de Beauvoir est un symbole fort pour nous », réagit au téléphone Saïda Rached, secrétaire générale de l'association. Militant pour l'égalité entre les sexes, la démocratie, la laïcité et la justice sociale, l'Association tunisienne des femmes démocrates est issue du mouvement féministe des années 70. Elle s'est créée au début des années 80 mais n'a obtenu une reconnaissance légale qu'en 1989. L'association a subi de plein fouet la répression et la censure exercées par le régime de Ben Ali.
REPRESSION ET CENSURE SOUS BEN ALI
« Le verrouillage était total, se souvient Saïda Rached. On n'avait accès ni à la télé ni aux journaux ni aux places publiques. Même dans les lieux privés, il était difficile pour nous de nous exprimer. Par exemple, on nous a interdit d'organiser des réceptions dans un hôtel. Considérées comme des femmes de gauche, nous avons été harcelées, suivies, interpellées. Mais nous étions tellement attachées aux droits des femmes que nous étions prêtes à tout. Nous n'avons jamais abandonné. » Cherchant à contre-carrer la propagande du régime, les femmes démocrates ont réussi à publier deux rapports (dont le dernier en 2010) sur la situation réelle des femmes en Tunisie. « Que ce soit sur le plan de la santé, du travail ou de la participation politique, nous avons montré que l'avancée des droits des femmes n'était pas aussi brillante que le prétendait le gouvernement de Ben Ali. » Quand la révolution a éclaté, il y a un an, les militantes ont battu le pavé et ont joué un rôle actif dans la période délicate de la transition démocratique. « Nous avons été présentes dans toutes les commissions telles que Enquête et Vérité, Réforme du code électorale. Nous avons bataillé dur pour obtenir la parité, précise la secrétaire générale. Même si la loi dans son état actuel reste insuffisante, nous ne regrettons pas d'avoir imposé des quotas de femmes sur les listes électorales. Si nous n'avions rien fait, il n'y aurait même pas eu 5% de femmes dans l'assemblée constituante.»
FACE AU DANGER ISLAMISTE Depuis la victoire du parti islamiste Ennahda, les femmes démocrates sont sur le qui-vive : « Ils font énormément de promesses mais on connaît le projet de société qu'ils défendent et qui est loin d'être favorable à l'émancipation des femmes. Aujourd'hui on attend des actes. Leurs partenaires politiques les ont avertis : "Les droits des femmes, c'est la ligne rouge à ne pas dépasser." Nous sommes descendues deux fois dans la rue depuis leur élection. Nous n'hésiterons pas à le refaire.» Pour l'instant, les acquis des Tunisiennes n'ont pas été attaqués de manière frontale. Mais « il y a de changements importants dans les comportements, précise Saïda Rached. On commence à voiler les petites filles de 7, 8 ans. Le niqab a fait son apparition, ce qui avant nous paraissait inimaginable ! A l'université, des femmes réclament le droit de passer des examens en portant le voile intégral. Une première étape pour ensuite exiger des cours non-mixtes. Il faut rester vigilant. Le prix Simone de Beauvoir peut nous aider dans notre combat.»