Le procès des viols de Mazan vu d'Espagne

Alors que l'on attend le verdict du procès des viols de Mazan, retour sur l'onde de choc provoquée par cette affaire hors des frontières françaises. Le procès a été particulièrement suivi en Espagne, l'un des pays européen phare en matière de lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales.  

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Manifestation 8 mars Madrid

Manifestation organisée à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes à Barcelone, en Espagne, le vendredi 8 mars 2024.  

©AP Photo/Emilio Morenatti
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Ana Orantes, morte brûlée vive en 1997 par son ex-mari qu'elle avait dénoncé à la télévision, procès du viol collectif de la "Manada" (la Meute) en 2016, ou encore scandale du "baiser forcé" du président de la Fédération de football Luis Rubiales à la joueuse Jenni Hermoso en 2023...  Toutes ces affaires ont fait que les Espagnol.e.s sont particulièrement sensibilisé.es. à la cause des violences subies par les femmes. 

Le drame subi par Gisèle Pelicot, droguée, violée par son mari, et livrée à des dizaines d'inconnus recrutés sur internet, ne pouvait qu'éveiller un peu plus les consciences dans une Espagne qui, depuis une vingtaine d'année, a adopté une législation très pointue sur les violences sexistes ou le consentement. Les féminicides y sont aussi largement couverts par la presse. 

Malheureusement, je crois que sans cas horribles, les sociétés ne se réveillent pas, à cause du silence, de l'éducation, de la peur. Monica Ricou, docteure en droit

"Cette affaire a eu une résonance importante en Espagne, parce qu'il y a ici une grande sensibilité au thème des violences contre les femmes", résume pour l'AFP Marina Subirats, sociologue et ancienne directrice de l'Institut des Femmes. "Malheureusement, je crois que sans ces cas horribles, les sociétés ne se réveillent pas, à cause du silence, de l'éducation, de la peur", regrette de son côté Monica Ricou, docteure en droit, spécialisée en droit du travail et dans les questions de genre à l'université ouverte de Catalogne.

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[traduction : Les médias français s'étonnent qu'autant de journalistes espagnols suivent le procès Pélicot. A la télévision espagnole RTVE, il y a une grande sensibilité aux violences sexuelles et pour moi, Gisèle est un exemple de dignité et de courage]

Gisèle Pelicot, icône féministe

A Madrid, comme dans d'autres villes à l'étranger, le portrait de la septuagénaire a été brandi et son nom scandé lors de manifestations le 25 novembre, pour la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. En 2024, 41 femmes ont été tuées en Espagne par leur compagnon, ex-compagnon ou par un proche. Leurs noms ont été égrenés lors de la manifestation sur la Gran via et des fleurs violettes déposées en fin de cortège en hommage à chacune d'elle.

Au début, on ne parlait que de Dominique Pelicot, le monstre, le violeur... Et maintenant, on parle de Gisèle. Raquel Villaécija, journaliste El Mundo

"J'ai ressenti que c'était quelque chose d'important à suivre", résume la correspondante en France du quotidien El Mundo Raquel Villaécija, évoquant le procès Pelicot, qu'elle a suivi très régulièrement à Avignon et dont le verdict est attendu en fin de semaine. Et au fil des audiences, "ça a beaucoup changé : au début, on ne parlait que de Dominique Pelicot, le monstre, le violeur... Et maintenant, on parle de Gisèle", poursuit la journaliste, évoquant une femme devenue "une icône féministe presque partout".

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[traduction : Jeudi 19, rassemblement de soutien à Madrid pour Gisèle #Pelicot, devenue une icône de courage en France et à l'étranger. Les juges délibèrent sur la condamnation de son mari et de 50 autres accusés pour viol par soumission chimique.]

Violence cachée

Après les affaires de "la Manada", de Luis Rubiales, mais aussi le cas Iñigo Errijón - une figure de l'extrême gauche espagnole accusée d'agressions sexuelles en octobre dernier -, le procès français a permis de lever le voile sur une autre forme de violence sexiste, estime Isabel Valdés, journaliste chargée des questions de genre au quotidien El País. "Nous comprenons la violence dans la rue, nous comprenons la violence sexuelle provenant du pouvoir, mais la violence dans le domaine privé de la maison..., c'est la violence la plus cachée de toutes", pointe-t-elle.

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[Le cri des féministes après la condamnation par la justice les violeurs de la meute à 15 ans. Nous regrettons les souffrances de la victime pendant ce long processus. Pour que les violeur ne restent pas impunis. Nous continuerons à nous battre !]

"La Meute"

En 2016 : cinq hommes avaient été arrêtés pour le viol en réunion d’une jeune femme de 18 ans lors des fêtes de San Fermín à Pampelune, un viol qu’ils avaient filmé.

Les faits ont d'abord été qualifiés d'abus sexuels et non de viol, la cour estimant que la violence et l’intimidation, éléments nécessaires à ce qu’une agression sexuelle soit qualifiée de viol, n’avaient pas été démontrées.

En 2019, la Cour suprême espagnole avait finalement requalifié les faits en viol. Ce qui a abouti à l'adoption de la loi "Solo si es si", (seul un oui est un oui). Une personne peut désormais être condamnée pour violences sexuelles même s’il n’y a pas eu de menace ou de violence à proprement parler, dès lors que le consentement n'a pas été formulé explicitement. 

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Culture du viol à l'Espagnole

Une violence cachée, voire ignorée pendant des années : le réalisateur Paco León s'est ainsi excusé sur son compte Instagram pour sa comédie Kiki : l'amour en fête, sorti en 2016 et dépeignant notamment un couple dont le mari drogue sa femme pour avoir des relations sexuelles avec elle.

Je pense que nous devons tous nous regarder en face, car je crois que ce ne sont pas seulement les monstres qui droguent les femmes, mais que nous participons tous à cette culture du viol. Paco León, réalisateur

"Il y a six, huit ans, on n'avait pas, je n'avais pas, cette sensibilité sur le sujet. Et je pense que nous devons tous nous regarder en face, car je crois que ce ne sont pas seulement les monstres qui droguent les femmes, mais que nous participons tous à cette culture du viol", a-t-il déclaré.

Pour que la honte change de camp

Pour Isabel Valdés, contrairement à d'autres affaires récentes, le procès Pelicot n'aura pas de conséquence directe en Espagne, où les violences au sein du couple ou du foyer sont déjà prises en compte. "Mais ce cas va effectivement laisser une trace, car tout s'additionne et la somme... de toutes les femmes qui dénoncent et de tous les cas que nous connaissons aide à démontrer ce que signifie cette violence et combien de femmes elle affecte", estime-t-elle.

Gisèle Pelicot, attente du verdict

Gisele Pelicot pose à côté de ses photos alors qu'elle quitte le palais de justice d'Avignon, dans le sud de la France, le lundi 9 décembre 2024. (

©AP Photo/Lewis Joly

"La révolution ne se fait pas en un jour, mais je pense que Gisèle Pelicot a réussi à faire en sorte que les femmes qui ont subi des agressions sexuelles ou des viols, les victimes, aient un peu moins honte", avance Raquel Villaécija.

Pour conclure, citons ces mots d'un journaliste d'El Pais, repris dans Le Courrier International, "le dégoût que nous éprouvons collectivement à son égard (Dominique Pelicot) ne doit pas nous détourner de la honte et de la culpabilité que doit partager la société pour que les choses changent".

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