Fil d'Ariane
La promotion du dernier long métrage dans lequel Anissa Daoud joue, "Les frontières du ciel" de Fares Naanaa, relance le débat autour du corps féminin et de son image. Le film, qui sort en salle le 30 novembre en Tunisie, était en compétition dans la catégorie de « La première œuvre » aux Journées cinématographiques de Carthage.
Projeté devant les festivaliers, ovationné, le 24 novembre 2015, au moment même où un nouvel attentat ensanglantait la capitale tunisiennes, Anissa Daoud a réagi sur sa page Facebook : "Hier le public courageux et déterminé des JCC nous a fait un énorme cadeau en restant dans la salle malgré la peur et l'horreur en cours au dehors. Ils sont restés pour voir un film qui parle d'amour, d'espoir et de désir de vie en dépit de la douleur. (.../...) Merci à eux de nous avoir permis de faire notre métier et de résister ainsi avec nos outils, parfois dérisoires, à la barbarie et à l'absurdité de la haine aveugle."
Le film raconte l'histoire d'un couple à la dérive. Comment se reconstruit-on, seul, mais aussi avec l'autre, quand on vit un drame ? La bande annonce est explicite : il y a une scène d'amour dans le long métrage. Et Anissa Daoud s’est retrouvée confrontée à des questions sur la nudité, qui "ne sont pas posées quand il s’agit d’un acteur".
Des questions qui ne sont pas posées quand il s’agit d’un acteur
Est-ce qu'il faut être arriviste et prête à tout pour réussir ? C'est en substance ce qui est demandé sans cesse à l'actrice, fatiguée de se retrouver face à ce type de jugements. Comme l'a été Loubna Abidar, vedette du marocain Much Loved et qui a fini par jeter l'éponge en quittant son pays, le Maroc.
A relire dans Terriennes
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Le personnage qu'elle y interprète est pourtant fort et lui tient à coeur : " Cette femme n'est pas dans l'hystérie dans laquelle on cantonne les femmes méditerranéennes. Elle m'évoque beaucoup nos femmes, toujours dignes, qui assurent et prennent sur elle", explique l'actrice.
Anissa se décrit comme féministe, dans ce que la notion implique d'humaniste. Cette notion est pour elle un outil de lutte pour l'égalité. Elle rêve de la disparition du ministère de la Femme, qu'elle voudrait voir, à terme, remplacé par un ministère de l'Egalité.
La jeune femme, sympathisante de plusieurs associations, raconte avoir grandi dans une famille où la femme avait une place importante, avec des parents et grands-parents à la recherche de justesse et d'égalité. "Les histoires que j'ai entendues, sur la vie de ma grand-mère, veuve très jeune avec des enfants à charge, racontent sa rage de se faire respecter, de se battre, d'avoir des enfants qui ne manquent de rien..."
C'est sans doute parce qu'elle a grandi avec un héritage familial de valeurs fortes, que la réalité de la rue la dérange.
Il y a des injonctions à être, femme mais aussi homme
"Alors que la Tunisie s'enorgueillit d'être à la pointe sur les droits des femmes, que Bourguiba comme Ben Ali ont fait une partie de leur communication là dessus, dans les faits la situation est plus compliquée", déplore-t-elle. Les lois sont "hors norme" mais la pratique est différente.
Elle regrette de voir un recul des combats pour les droits des femmes, la population ayant l'impression que les acquis sont pérennes et associant souvent négativement le féminisme à l'ancien régime. Et surtout elle dénonce le refus de diversité qui imprègne la société tunisienne : "il y a des injonctions à être, femme mais aussi homme, il y aurait une manière d'être et pas une autre."
En 2010, Anissa Daoud interrogeait déjà les idées reçues en prenant part à "Hobb story" (Histoire d’amour), une fiction documentaire théâtrale et musicale sur l'amour, l'intimité et la sexualité. Initiée par le metteur en scène Lotfi Achour, l'oeuvre parle du fossé entre "la manière de se vivre dans l'intimité et la manière dont on se raconte". Elle s'appuie sur des lettres, des interviews, des discussions sur des forums, des minutes de procès. "A la fin, cela dessine en pointillé le portrait d'une société auto-clivée."
Lady Leila une femme qui a des attributs d'homme
Suite à la révolution, toujours avec Lotfi Achour, elle coécrit une version revisitée de Macbeth "Macbeth : Leila and Ben A bloody story". "Notre Lady Leila, qui est une hybridation entre Leila Ben Ali et Lady Macbeth, est un animal politique, quelqu'un qui assume ses désirs et ses choix et son aspect chef de clan." La comédienne y incarne Lady Leila.
Pour Anissa c’est d’ailleurs le comportement libéré de la femme du dictateur qui lui est reproché : "Elle a agit comme un homme, a eu les attributs virils du pouvoir et ne s’est pas excusé de ses envies et de ses choix."
Leila aurait outrepassé le conseil perpétuellement soufflé à l'oreille des filles "comporte toi bien."
Elle vient pourtant de produire deux documentaires pour le compte de La Ligue des Électrices Tunisiennes, une association féministe. Le premier est centré sur l'association, alors que le second, "Notre femme, en politique et dans la société", dresse un bilan critique de la situation des droits des femmes et du féminisme en Tunisie.
Il tire son nom du livre de Tahar Haddad, syndicaliste tunisien, "Notre femme dans la Charia et la société", livre qui posait les jalons de l’égalité en Tunisie. Bourguiba s'en est inspiré pour mettre en place une série de lois progressistes.
Si Anissa Daoud a été contactée pour réaliser ces documentaires, elle souligne la difficulté de travailler comme réalisatrice et productrice, une réalité qui fait écho à celle du statut d’actrice, pour elle.
"Finalement on veut une vitrine : des comédiennes libres pour incarner ce qu'on met dans le rôle, mais qui ne réfléchissent pas. Tout comme on veut des femmes politiques pour faire joli dans la galerie mais on ne veut pas qu'elles prennent trop de place, qu'elles se positionnent ou qu'elles créent des lobbies féminins ", conclut-elle.
Après les attentats de Paris...
Le 22 novembre, dans l'émission Maghreb Orient Express, #MOE, sur TV5MONDE, depuis Tunis, Anissa Daoud réagissait aux tueries de perpétrées Paris lors des attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts. C'était avant le nouvel acte de terreur à Tunis. Anissa Daoud disait alors : "Les Tunisiens qui font face souvent au terrorisme sont particulièrement touchés par ce qui s'est passé à Paris, et pas seulement parce qu'il y avait des Tunisiens parmi les victimes. On n'est pas prêts à se laisser terroriser."