Fil d'Ariane
C’est un événement rarissime. L’humoriste Zouc, 65 ans, qui a disparu de la scène publique depuis plus de vingt ans, gravement atteinte dans sa santé, a fait une furtive apparition mardi, au Noirmont, à la Nef, l’ancienne église transformée en espace d’art contemporain. Elle a répondu à l’invitation du gouvernement jurassien, qui lui a remis son prix le plus prestigieux, délivré une fois seulement par législature, celui des arts, des lettres et des sciences. Un chèque de 15 000 francs pour « célébrer la Zouc », a dit le président du Conseil d’Etat Michel Thentz.
Tout de noir vêtue, mais avec un pantalon et non plus l’ample robe qu’elle portait sur scène, Zouc est désormais une femme fluette et fragile. Elle est amaigrie, elle a le souffle court, parle peu. Elle n’a pas voulu donner d’interview. Elle a susurré d’une voix faible qu’elle passait un «moment très agréable. C’est toujours très fort quand un travail est primé.» Et c’est à peu près tout.
Il est grand temps de la célébrer
Les cheveux mieux arrangés que lorsqu’elle singeait sur scène ses congénères, elle a livré quelques mimiques caractéristiques, de grands sourires gênés et des silences dont elle usait avec bonheur sur scène. Plus que le verbe, l’attitude et l’authenticité comptent chez Zouc. Peut-être est-elle diminuée physiquement, mais elle n’a rien perdu de sa capacité à transmettre des émotions. « C’était très puissant », confirme la ministre de la Culture, Elisabeth Baume-Schneider.
Zouc est sans conteste l’artiste jurassienne la plus éminente, même vingt ans après son retrait. Pourquoi l’honorer en 2015? « Parce qu’elle est notre plus grande auteure-humoriste-comédienne et il est grand temps de la célébrer », justifie le président Michel Thentz.
La Une du Quotidien Jurassien de ce mercredi. "Merci pour ce moment ma foi très agréable" #Zouc #LQJ pic.twitter.com/bgCDMbVIMG
— Raffi Kouyoumdjian (@rklqj) 2 Septembre 2015
Le Jura tient aussi à braquer les phares sur la création théâtrale – Zouc l’a révolutionnée dans les années 1970 –, lui qui ambitionne de construire le Créa à Delémont, un espace d’expression des arts de la scène, avec deux salles de spectacle.
Le Jura salue le génie de Zouc parce qu’elle vient «de là». Née à Saint-Imier en 1950, elle a passé sa jeunesse à Saignelégier, avant de monter à Paris à 20 ans. Une adolescence tourmentée, rebelle, qui l’a conduite durant dix-huit mois à « l’asile des fous », à l’âge de 16 ans et demi. C’est à la clinique psychiatrique et dans son environnement familial et villageois qu’elle a puisé la matière de ses sketches. Des tranches de vie grinçantes, saignantes, un humour souvent aussi noir que sa robe et ses cheveux tirés.
Elle a ainsi fait rire et pleurer avec un style à nul autre pareil. Et rempli des salles parisiennes comme le Bataclan ou Bobino avec ses spectacles L’Alboum, R’Alboum, Zouc à l’école des femmes et Zouc au Bataclan. Les producteurs ont tenté de lui faire retirer du spectacle les sketches qui amènent le spectateur à l’asile, elle s’y est farouchement opposée.
Elle reçoit, en 1988, le Molière du meilleur spectacle comique. Elle tient également quelques rôles au cinéma. Zouc se retire de la scène au début des années 1990, atteinte dans sa santé. Elle subit en 1997 une opération pour un cancer du sternum, est victime d’une infection nosocomiale. Les staphylocoques dorés multirésistants lui font vivre un calvaire depuis lors, avec une répétition des interventions chirurgicales et une nécessaire assistance respiratoire et médicamenteuse.
La géniale Zouc, qui fait toujours référence sur les scènes francophones, est ainsi redevenue Isabelle von Allmen, de son vrai nom, éloignée du public et des médias, établie à La Chaux-de-Fonds avec son compagnon Michel Rauch.
Zouc a fait une réapparition exceptionnelle pour recevoir le prix jurassien. Peut-être parce qu’elle sait que son authenticité, son accent et son imprégnation de la culture de son pays ont fait école. « Même si la plupart des jeunes créateurs et comédiens jurassiens ne l’ont pas connue sur scène, Zouc a marqué leur conscience. Et plus globalement la conscience collective jurassienne, explique la nouvelle cheffe du service de la culture, Christine Salvadé. Il était grand temps de la remercier pour sa contribution majeure au rayonnement du Jura. »