Le roller derby : sport féminin et féministe

Le roller derby est un sport de contact et de vitesse qui se joue sur piste plate entre deux équipes de 15 derbystes. Sur la piste se succèdent des phases courtes de jeu de moins 2 minutes – les jams. L'attaquante doit franchir les lignes de défense de l'équipe adverse pour marquer des points. "Pour taper, arrêter, envoyer valser, mettre dans le vent, esquiver, prendre de l'accélération, on utilise les épaules, les hanches, les fesses, le dos, vraiment tout qui est au-dessus du coude et au-dessus du genou," explique Barbara Papamiltiadou, derbyste et comédienne, qui joue dans le spectacle Derby.

De fait, le roller derby exige d'excellentes conditions physiques. Bardée d'équipements de protection, la derbyste a quelque chose d'une guerrière. C'est un sport très difficile à pratiquer, reconnaît Emmanuelle Hiron, metteuse en scène du spectacle Derby, mais qui, aussi, valorise la différence et la vulnérabilité, à qui il doit sa dimension "fantasque". Il demande aussi d'assumer ses fragilités : "Il n'est pas question de se cacher. Il est question de se découvrir. Et d'assumer qui on est. Et en aucun cas de se planquer derrière une image de soi, mais de se révéler à soi. On a le droit d'aller mal, d’être fragile, même si c’est peut-être l’idée inverse de celle que l’on se fait de ce sport."

Un sport féministe

Le roller derby est un sport de femmes et un sport féministe. A l'origine, au tout début du XXIe siècle, un groupe de Texanes a voulu se réapproprier le patinage sur piste pour le transformer en sport qui leur appartenait. Dix ans plus tard, le roller derby est reconnu comme un sport à part entière.

Quand on parle de derby, c'est forcément une équipe féminine. Amandine Etelage

Un sport par et pour les femmes, qui ne renie pas sa dimension militante : "Déjà parce que quand on parle de derby, c'est forcément une équipe féminine, souligne la danseuse et derbyste Amandine Etelage. En foot, par exemple, quand on dit que l'équipe de France joue, c'est par défaut l'équipe masculine, et on précise si c'est l'équipe féminine." Au derby, c'est le féminin qui est la norme, remarque-t-elle : "Il y a l'équipe de France et l'équipe de France masculine."

Identités

Au fil de ses vingt-cinq ans d'existence, le roller derby s'est ouvert aux minorités : "Le derby embrasse les valeurs féministes, queer, transféministes et décoloniales, souligne Barbara Papamiltiadou. C'est le sport le plus inclusif que je connaisse, avec une forte portée politique et des valeurs très ancrées. Faire du roller derby sans se rallier à ses valeurs serait trahir sa portée politique." Aujourd'hui, le roller derby revendique l'inclusivité comme valeur première. "C'est un sport qui n'est pas codifié. Qui que tu sois, avec ta corporalité, ton identité, ton passé, tu peux trouver ta place", affirme Emmanuelle Hiron. 

Un sport qui est collectif, mais aussi la composition de plein d'individualités et qui font la richesse du groupe et du sport. Emmanuelle Hiron

A l'inverse des voix qui se sont élevées lors des Jeux olympiques de Paris pour préconiser des catégories spécifiques pour les personnes transgenre, le roller derby revendique l’inverse : "Une femme trans est une femme et jouera au derby avec les femmes", explique la metteuse en scène, qui avance l'exemple bien concret d'un joueur de longue date qui, après sa transition, a été intégré à l'équipe féminine : "Sa légitimité n'a jamais été questionnée, car, selon les valeurs du roller, cela aurait été vécu comme une violence". 

Dans le même esprit, le roller derby refuse les tests hormonaux avant les compétitions, en dépit des problèmes que cela pourrait lui attirer en championnat auprès de la Fédération. "Les personnes en transition, donc en traitement, pourraient être sujettes aux tests. Or nous considérons que les personnes en transition sont plutôt fragilisées. Et puis jamais quelqu'un ne fera une transition pour optimiser ses performances sportives," dit Emmanuelle Hiron. 

Dans une action en justice déposée le 11 mars 2024, les Long Island Roller Rebels, une ligue féminine de roller derby, demande à la plus haute cour de New York de déclarer illégal et discriminatoire un arrêté du comté de Nassau interdisant aux équipes sportives féminines ayant des athlètes transgenres d'utiliser les installations publiques.

AP Photo/Jeenah Moon

Derby : de l'intime au collectif

Avec le spectacle Derby, la metteuse en scène Emmanuelle Hiron a voulu représenter le roller derby à la fois dans la forme et dans le fond, "ne pas montrer seulement un match, mais d'en faire une représentation artistique, avec des interprètes qui excellent en roller pour pouvoir évoluer sur une scène très petite par rapport à une piste de roller derby." Elle tenait aussi à valoriser, et exploiter, la pratique de chacune et leur identité, conformément à l'esprit du roller derby : "Un sport qui est collectif, mais aussi la composition de plein d'individualités et qui font la richesse du groupe et du sport. Certaines viennent du roller derby, certaines viennent de la danse contemporaine, d'autres du cirque ou du cinéma. Chacune a insufflé sa partition, son univers."

Au final, Derby est une création collective pluridisciplinaire, une oeuvre sincère et esthétique, un OVNI − une oeuvre visuelle non identifiée − pour sa créatrice : "Une première partie, plus intime, donne à comprendre le fond de ce que ce sport raconte, On les regarde évoluer dans l'espace entre elles avant d'arriver peu à peu à l'explosion du match." 

Des mots qui font écho au ressenti de la comédienne Barbara Papamiltiadou : "C'est un spectacle dans lequel il faut entrer pour arriver jusqu'au bout sans s'arrêter une seconde, sans sortir. Parce que tout ce que l'on construit au fur et à mesure permet d'arriver à l'état dont on a besoin à la fin pour la simulation de match. Une simulation assez fantasmée, qui va plus loin que ce qu'on se ressent pendant un match." Elle insiste sur la mise en condition, essentielle pour entrer dans ces changements de tempo : "On passe à travers des moments de gros contacts, mais aussi des moments aussi de dilatation, plus tranquille. C'est une préparation à la fois individuelle et collective pour habituer le corps à tous ces changements d'énergie," explique-t-elle. 

Patiner pour être libre

Derby veut raconter l'histoire d'un collectif de filles qui patinent ensemble pour être libres, raconter comment elles grandissent à travers ce collectif et s'émanciper des contraintes de la domination patriarcale. Amandine Etelage s'est lancée dans l'aventure après des années de danse par besoin "de revenir à quelque chose de plus physique, de revenir au corps et à l'essentiel, le sol, les muscles, les cuisses, les abdos." Sur scène, quand elle enfile son costume de derbyste, elle peux être elle-même sans la pression sociale : "Tu es dans un groupe où l'on t'autorise à être vraiment toi. Un toi augmenté, confie-t-elle. Ma propre identité, mais en plus, plus, plus." Elle se rêve en super-héroïne, "avec des compétences encore plus folles que celles que j'ai déjà et le droit aussi de partir dans l'autodérision."

Des Scélérates de La Teste-de-Buch aux Piranhas de Chateauroux en passant par les Marto-Killeuses d'Uzès, le roller derby compte aujourd'hui des dizaines de ligues en France, dont cinq rien qu'à Paris. C'est un sport qui est reconnu par la Fédération française, ainsi qu'à l'international. Toulouse et Nantes, sont les deux premières équipes françaises à participer au Championnat du monde aux Etats-Unis, en novembre 2024. Compétition finalement remportée par l'équipe hôte de Portland.

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