Le statut de la Première dame, Brigitte Macron, en questions

Emploi familial pour certains, opportunité de défendre des causes pour d’autres. L’officialisation du rôle de la première dame, Brigitte Macron, fait débat en France. Alors que le président Emmanuel Macron voulait d’un « statut », c'est plutôt une « charte » qui devrait être dévoilée par l’Elysée dans les prochains jours. Que révèle cette polémique sur la place de la conjointe ou du conjoint du chef d'Etat ? 
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Brigitte Macron derrière Emmanuel Macron
Le président Emmanuel Macron, souhaite que "la Première dame ou le Premier homme" ait un statut officiel aux côtés du chef de l'Etat.
©Julien de Rosa/Pool Photo via AP
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Pendant sa campagne, le candidat Emmanuel Macron plaidait pour que soit institué un « statut de la première dame ou du premier homme ». « Je pense que c'est important de le clarifier sinon on use retrouve dans des pratiques d'entre-deux, de dissimulation, qui sont impossibles à vivre pour l'intéressé et qui sont une forme d'hypocrisie. Donc rémunéré par la République non. Avoir un rôle, un vrai statut, une vraie capacité à faire, oui », avait-il déclaré. Un rôle politique et pas seulement public ? 

Le futur président n’imaginait pas sa présidence sans son épouse présente à ses côtés. « Elle aura un rôle, elle ne sera pas cachée parce qu'elle partage ma vie, que son avis est important », avait-il insisté.

A retrouver dans Terriennes, le portrait de l'épouse du président Macron :

> Brigitte Macron, là où elle doit être : à côté. Jamais loin

Depuis son élection, Brigitte Macron est déjà apparue avec lui dans diverses circonstances officielles assurant son rôle traditionnellement protocolaire (réceptions de chefs d’Etat, 14 Juillet, hommages…) Et plus récemment, c’est même elle seule qui a accueilli les artistes Bono et Rihanna sur le perron de l’Elysée, venus rencontrer le président. 

Débat à l’Assemblée

C’est donc dans le cadre de l'étude du projet de loi sur la moralisation de la vie publique que le sujet du "statut" de la première dame s’est invité dans les discussions à l’Assemblée nationale. Le 27 juillet, cette chambre a voté la loi interdisant les emplois familiaux pour les ministres, les parlementaires et les élus locaux. Cette loi est la conséquence de la révélation de l’emploi, par François Fillon, candidat LR (droite) à la présidence de la République, de ses enfants et de son épouse quand il était député. 

L’opposition s’est insurgée face à une telle proposition sur la place des conjoint-es du chef d'Etat, élu au suffrage universel en France. Les députés de la France insoumise ont même présenté un amendement stipulant qu’aucun financement ne soit réservé à la conjointe ou au conjoint du chef de l’Etat. 

Une pétition largement relayée

Entre temps, une pétition a été lancée par l’artiste-peintre-auteur français Thierry-Paul Valette, activiste pétitionnaire, sur le site change.org contre un « statut » pour la première dame.
L’auteur de cette pétition y voit en fait l’emploi par le président d’un membre de sa famille, interdit désormais par la loi à tout le personnel politique français. 

« Il n'y a aucune raison pour que l'épouse du chef de l’Etat puisse obtenir un budget sur les fonds publics. Brigitte Macron dispose à l'heure actuelle d'une équipe de deux à trois collaborateurs, ainsi que de deux secrétaires et deux agents de sécurité et cela est suffisant.
Si cette question doit être tranchée elle devra se faire dans le cadre d'un référendum et non du fait d'un seul homme. 
»

Comme d’autres premières dames avant elle, Brigitte Macron bénéficie, en effet, d’un bureau, d’un cabinet, d’un chauffeur et d’un service de protection. 

Mais Emmanuel Macron ne demandait pas à ce que le ou la conjoint-e soit rémunéré-e mais qu’un statut encadre ses activités. Pour beaucoup cela revenait à les graver dans le marbre. Finalement, il n’y aura pas de changement de la Constitution. 

L’Elysée a laissé entendre que le rôle de la première dame serait clarifié dans les prochains jours dans un texte, une « charte » selon les informations de nos confrères de BFMTV. 

Une clarification confirmée par le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner :

Si le ou la conjoint-e n'a pas de rôle officiellement défini, il y a cependant des fonds et des moyens, humains et financiers, qui lui sont déjà alloués. 

Paradoxe français

Dans le rapport de la Cour des comptes de 2014, un paragraphe était d'ailleurs consacré aux dépenses liées à l’ex-première dame, compagne de François Hollande prédécesseur d'Emmanuel Macron, la journaliste politique Valérie Trierweiler : 

dépenses pour trierweiler
Extrait du rapport de la Cour des comptes de 2014 spécifiant les dépenses faites pour l'ex-première dame. 
©Cour des comptes.

Des coups nettement réduits depuis sa séparation d’avec le président. La comédienne Julie Gayet, sa "remplaçante", ne bénéficiant que d'un service de sécurité. 

On se souvient aussi de la polémique autour des 410 000 euros utilisés sur des fonds publics pour créer un site internet dévolu à Carla Bruni, épouse du président Nicolas Sarkozy (2007 - 2012).

Dans un autre registre, l'ex-première dame et l'ex-épouse du président Sarkozy, Cécilia Attias, avait endossé un rôle politique voire diplomatique en aidant à la libération d'infirmières bulgares enfermées dans les geôles libyennes pendant huit ans. Elles étaient accusées d'avoir inoculé le virus du sida à des centaines d'enfants à l'hôpital de Benghazi. Le rôle donné à ce moment-là à Cécilia Attias ainsi que les termes de l'accord lié à cette libération avait suscité une vive polémique en 2007. 

Faut-il donc allouer à la première dame un budget officiel ? Une équipe étendue ? Un rôle politique et pas seulement public ? La polémique alimente les médias et les réseaux sociaux : 

Pourquoi ce rôle de première dame fait-il autant débat en France , alors que dans un autre régime présidentiel, celui des Etats-Unis, il est défini et encadré ? Nous avons posé la question à Armelle Le Bras-Chopard, politologue et auteure du livre "Première dame second rôle" (Editions Seuil).

Là où le problème se pose c’est quand elle veut avoir un rôle politique alors qu’elle n’est ni haut fonctionnaire, ni nommée, ni élue. On se trouve dans un imbroglio entre le public et le privé.

Armelle Le Bras-Chopard, politologue

Terriennes : Pourquoi assiste-t-on à toute cette polémique autour de la clarification du rôle de la première dame ou du premier homme ? 

Armelle Le Bras-Chopard : On ne sait pas ce qu’il y aurait dans ce statut et maintenant ce qu’il va y avoir dans cette charte sur son activité publique, non politique. Les Français savent qu’être épouse, c’est une situation de droit privé. On comprend mal comment cette situation de droit privé, entraîne des droits et éventuellement des obligations qui seraient institutionnels. 
 

Livre Première dame second rôle
Le Seuil, Paris, 128 pages, octobre 2009 - 14,20 €

Jusqu’à présent, rien n’est écrit. La femme du président est nourrie, logée, c’est sa femme, c’est comme ça. Lors des dîners officiels, la femme du président a une place d’honneur. C’est une tradition, ce n’est pas très gênant honnêtement. Si elle veut accompagner son mari comme toute épouse, elle l’accompagne. On parle toujours de l’influence de la première dame mais ce n’est pas ça le problème, tant que cela reste une relation privée. Le rôle du président entraîne de fait son épouse sous les feux des projecteurs.

Là où le problème se pose c’est quand elle veut avoir un rôle politique alors qu’elle n’est ni haut fonctionnaire, ni nommée, ni élue. On se trouve dans un imbroglio entre le public et le privé.

Si c’est pour créer une fondation comme l’a fait Bernadette Chirac pour les pièces jaunes, très bien puisque c’est une fondation privée. Mais si ça doit être financé sur le budget de la présidence, ça pose problème. Dans quelle mesure on doit mettre des fonds publics pour l’activité de la femme du président ? Pour le reste de ses activités, il faudrait qu’elle reste en retrait et qu’elle ait ses propres activités non financées par l’Etat, les contribuables. 
 

Le rôle de la première dame est protocolaire, mais elle pourrait refuser de l'assumer. 

Armelle Le Bras-Chopard, politologue

Terriennes : Officialiser le rôle de la première dame ne peut-il pas permettre de la mettre davantage en lumière ou de renforcer le traditionnalisme de son rôle ? 

Armelle Le Bras-Chopard : Le rôle de la première dame est avant tout protocolaire. Mais elle pourrait très bien, comme le mari d’Angela Merkel, refuser de l’assumer. Danielle Mitterrand (épouse du président François Mitterrand, 1981 - 1995, ndlr) était assez libre. Elle assumait son rôle mais elle avait conservé sa liberté et elle n’habitait d’ailleurs pas à l’Elysée.

Les fonds publics sont déjà engagés auprès de la première dame avec son service du courrier. Pour moi, c’est quelque chose de complètement archaïque parce que ce sont des demandes personnelles qui lui sont adressées pour qu’elle serve d’intermédiaire auprès du président de la République ou de telle ou telle administration. 

On n’a pas eu de première dame officielle après le départ de Valérie Trierweiler et ce n’est pas ça qui a "plombé" le mandat de François Hollande. Il y a sans doute d’autres raisons. 

On en revient à un président qui est marié et une femme qui ne travaille pas (...) type d'un ménage bourgeois du XIXe siècle. 

Armelle Le Bras-Chopard, politologue.

Le couple formé par Brigitte et Emmanuel Macron reste en réalité très traditionnel. On en revient à un président qui est marié et une femme qui ne travaille pas même si elle a auparavant exercé un métier (en tant qu'enseignante, elle est aujourd'hui à la retraite, ndlr). On est exactement dans la lignée de tous les couples présidentiels de notre République. 

La femme est typique d'un ménage bourgeois du XIXème siècle. Une femme au foyer qui aide et accompagne son mari, qui est au service de son mari, et non rémunérée. On est dans une espèce de cliché qui ne correspond absolument pas aux moeurs actuelles où la femme est beaucoup plus autonome, et a une profession. 

C’était le cas de Cherry Blair (l'épouse du Premier ministre britannique Tony Blair, ndlr) qui a poursuivi son travail d’avocate. Evidemment, elle a fini par plaider contre l’Etat dans l’une de ses affaires. Cela pose la seule question qui vaille, comme Valérie Trierweiler l’avait posée d’une autre façon en tant que journaliste politique : celui du conflit d’intérêt.

Et ailleurs ?

Contrairement à ce qui a été souvent affirmé, aux Etats-Unis, autre régime présidentiel, le rôle de "First Lady" - première dame (terme cependant consacré) -, n'est pas défini dans la Constitution. Cette première dame dispose d’une équipe d’une quinzaine de collaborateurs comptant entre autres un chef de cabinet, un attaché de presse et un conseiller spécial, le tout financé par un budget fédéral. La first lady n'est pas forcément l'épouse. Ainsi avec Donald Trump, c'est plutôt sa fille Ivanka qui occupe cette fonction, son épouse n'apparaissant que dans les voyages ou réceptions officiels... 

> Relire notre article : Melania et Ivanka Trump, deux "premières dames" à la Maison Blanche

L'Allemagne ou le Royaume Uni étant des régimes parlementaires, doté d'une présidence honorifique et sans pouvoir pour le premier, d'une famille royale pour le deuxième, il est logique qu'aucune règle n'entoure le rôle des conjoints des Premiers ministres, souvent quasi inexistant. A Londres, par exemple, les épouses de Tony Blair ou de Gordon Brown ont continué à exercer leur activité professionnelle. Et qui connaît le visage du discret compagnon de la chancelière Angela Merkel ?
La question se pose donc principalement dans des pays où le président est élu au suffrage universel, ce qui lui confère une sorte de statut monarchique. On se souvient ainsi du rôle central et très contesté joué par Evita Peron en Argentine aux côtés de son mari Juan Peron...
 

First Ladies
36 "premières dames" réunies au Metropolitan Museum of Art de New York, le 22 septembre 2008
© White House