"The Invisible War" (La guerre invisible) est en compétition au festival du cinéma indépendant, qui se tient jusqu'au dimanche 29 janvier 2012 à Park City (Utah, ouest).
Son réalisateur, l'Américain Kirby Dick, est un habitué du festival, où son film "Twist of Faith", sur la pédophilie dans l'Eglise catholique, avait été présenté en 2005, avant d'être nommé à l'Oscar du meilleur documentaire.
Aucun film n'avait jamais été réalisé sur les violences sexuelles envers les femmes soldats dans leurs propres rangs.
"Les militaires ont toujours maintenu le secret sur le sujet, qui a été étouffé pendant des générations", explique Kirby Dick à l'AFP. "Ils connaissaient l'ampleur du problème, mais ils n'ont rien fait pour le résoudre ou pour informer le public, ce qui était de leur responsabilité".
Violences et silence, la double peine des victimes
Le documentaire, construit autour des témoignages poignants de femmes - et d'un homme - victimes de viols, montre que le traumatisme ne vit pas seulement de l'agression, mais aussi de l'indifférence - voire de l'hostilité - de l'armée lorsque les victimes réclament justice.
"On peut comparer cela à une forme d'inceste, car (l'armée) inculque (à ses soldats l'idée) qu'ils sont comme des frères et soeurs", observe Kirby Dick, reprenant un argumentaire développé dans le film par une psychologue. "Et quand vous êtes violée par votre +frère+, l'effet est dévastateur".
Outre un manque total de prévention sérieuse sur les abus sexuels dans les rangs de l'armée, le problème majeur reste l'absence quasi-systématique de poursuites, dont l'opportunité est entre les mains des supérieurs de la victime et de son bourreau. Dans 25% des cas d'abus sexuels, le gradé qui a le dernier mot sur l'ouverture d'une enquête n'est autre que le violeur lui-même.
"C'est évidemment la chose la plus problématique. Il y a clairement un conflit d'intérêts, et c'est ce qui a permis d'enterrer le problème", note M. Dick.
Des victimes montrées du doigt
Et le cauchemar des victimes ne s'arrête pas là. Après avoir porté plainte, elles sont souvent mises de côté et voient leur carrière stoppée net - quand elles ne sont pas elles-mêmes poursuivies, comme cette femme dont la plainte pour viol a été classée, mais qui a été condamnée pour adultère.
La désillusion des victimes est d'autant plus douloureuse qu'elles avaient souvent choisi l'armée par vocation et s'en faisaient une très haute idée. "Il y a un vrai idéal" dans cet engagement, remarque M. Dick, qui se défend d'avoir voulu faire un film contre l'armée.
"De très nombreuses femmes nous ont dit que lorsqu'elles étaient dans des unités avec des supérieurs de qualité, intraitables sur les agressions, il n'y avait aucun problème. C'était même mieux que dans la vie civile", dit-il encore. "Je sais que de nombreux militaires sont horrifiés par tout ça. Mais comme il n'y a pas de moyens efficaces pour enquêter sur ces crimes et engager des poursuites, le problème ne fait qu'empirer".
Le combat d'une décennie
Selon lui, c'est sur le terrain judiciaire que les changements doivent être opérés, en retirant aux militaires l'instruction sur les affaires de viols, pour les confier à la justice civile.
Réunies en association, plusieurs victimes écument les bureaux parlementaires au Congrès des Etats-Unis pour obtenir une loi sur le sujet.
Mais "cela va être un vrai combat", prédit M. Dick, car outre les élus, il va falloir convaincre les militaires. "", observe-t-il. Tous ces officiers ont été élevés dans l'idée qu'ils étaient Dieu dans leur unité, et ils décident de tout", observe-t-il. "Je pense que cela va être difficile à changer. Ce sera le combat d'une décennie".