Le tennis féminin invisibilisé faute de stars : un argument hors jeu

Les joueuses enchainent les coups droits et pas seulement sur les courts du tournoi 2025 de Roland-Garros. Plusieurs n'ont pas hésité à montrer leur colère et à dénoncer leur invisibilisation. La faute à qui ? La faute "au manque de stars dans le tennis féminin", selon certains commentateurs. Ces mots prononcés sur un plateau de télévision ont choqué et embrasé la Toile.

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Loïs, superstar !

Un jeune supporter soutient la Française Loïs Boisson contre la Russe Mirra Andreeva en quart de finale des Internationaux de France de tennis au stade Roland-Garros à Paris, le 4 juin 2025. 

© AP Photo/Aurelien Morissard
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Le tennis féminin pas assez valorisé à Roland-Garros ? La polémique de cette quinzaine dépasse désormais la sphère des réseaux sociaux et secoue le milieu tennistique tout entier, l'appellant à une remise en question nécessaire. 

En cause, les night sessions, formule utilisée pour désigner les matchs programmés en soirée, en prime time. Aucun match féminin n'a eu cet honneur cette année... Ce qui a fait enfler la colère des joueuses. À l'instar de la N.1 mondiale, Aryna Sabalenka, déplorant de se retrouver face à des gradins vides, parce que son match est programmé à 11 h du matin. 

Et ce n'est pas la seule à vivre ces moments de grande solitude. Ce fut le cas pour bien d'autres joueuses, en première semaine comme en seconde semaine du tournoi. Exemple lors de la 8e de finale opposant Loïs Boisson à la N.3 mondiale. Les balles résonnent sur le court Chatrier, renvoyant l'écho d'un grand vide. Du moins pendant les premiers sets car, au fil du match, la tension grimpe et le duel se révèle plus disputé que les pronostics l'annoncaient. Le bouche-à-oreilles dans les artères de Roland-Garros fonctionne. C'est finalement devant des tribunes quasi pleines que la Française réalise l'exploit, renouvelé deux jours plus tard en quart de finale, cette fois sous les hourras d'un stade comble. 

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"Les fans regardent surtout les hommes"

L'ancienne numéro 2 mondiale, la Tunisienne Ons Jabeur, elle aussi, est apparue très remontée contre le peu de matchs féminins programmés en nocturne à Roland-Garros. "Beaucoup de grandes joueuses méritent d'être là. L'un des matchs de lundi opposait Naomi Osaka et Paula Badosa. Un match incroyable. Elles auraient dû jouer en session de nuit. Comme l'année dernière pour le match entre Iga Swiatek et Naomi Osaka. Beaucoup de grands matchs auraient dû être programmés en session de nuit", lance-t-elle lors d'une conférence de presse.   

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Sur X, Ons Jabeur s'est longuement exprimée sur le tennis féminin et sur le récit, "injuste", selon elle, qui en est fait à l'heure actuelle. "C'est dommage pour le sport féminin en général, pas seulement pour le tennis. Je ne pense pas que ceux qui prennent ces décisions ont des filles, je ne crois pas qu'ils les traiteraient comme ça. C'est un peu ironique. Ils ne montrent pas le sport féminin, ils ne montrent pas le tennis féminin et puis ils disent : 'Oui, mais les fans regardent surtout les hommes.''' 

Un coup raté fait les gros titres. Les centaines qui sont brillants ? Oubliés. Et pourtant elles viennent jouer, et pourtant elles font des matchs, et pourtant elles portent leur sport sur leurs épaules. Ons Jabeur, joueuse de tennis tunisienne

"On a répété à de nombreuses athlètes incroyables les mêmes choses, encore et encore, écrit-elle. Que personne ne regarde. Que tout le monde s'en moque. Que le sport féminin n'attire pas les foules. Les jugements viennent vite de la part de ceux qui n'ont jamais regardé un match en entier. Un stade vide est présenté comme une preuve. Quand les stades sont remplis ? Commodément ignorés. Un coup raté fait les gros titres. Les centaines qui sont brillants ? Oubliés. Et pourtant elles viennent jouer, et pourtant elles font des matchs, et pourtant elles portent leur sport sur leurs épaules", poursuit la joueuse, éliminée au premier tour cette année par la Polonaise Magdalena Frch en deux sets.

"Personne ne nie la grandeur du tennis masculin. La férocité des batailles, l'héritage, la magie sous la pression. Mais honorer un pan de ce sport ne devrait pas dire ignorer l'autre. Le tennis féminin écrit sa propre histoire, brillamment, et depuis trop longtemps sans reconnaissance."

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Un grand vide  

Il n'y a pas que les joueuses à afficher leur colère. Exemple : le coup de gueule de l'ancien champion française Henri Leconte. Alors que Varvara Gracheva jouait en match d’ouverture sur le cour Philippe Chatrier, le mardi 27 mai 2025, le public est aux abonnés absents. 

"Moi, j'ai un coup de gueule à pousser ce matin, parce que encore une fois pour le premier match, les gradins étaient vides, il n'y avait personne dans les loges, ils étaient tous en train de se sustenter de penser à autre chose qu'au tennis. Et à chaque fois, ils critiquent le tennis féminin en disant qu'on n'a pas de résultat, mais pour une fois qu'on a une Française qui joue en premier match, il n'y avait personne".

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De la durée des matchs féminins vs masculins ... 

Venue faire le point sur la première semaine de Roland-Garros, la directrice du tournoi Amélie Mauresmo va tenter - sans vraiment convaincre - de répondre aux attaques concernant l'absence de matchs féminins lors des night sessions. "Moi, ce que je peux vous dire, c'est que le temps de jeu est évidemment pris en compte lorsqu'on a qu'un seul match. Ou le temps potentiel de jeu, puisqu'on ne peut ni prévoir pour un match féminin, ni pour un match masculin, le temps que ça va durer, justifie-t-elle Mais en tout cas, c'est quelque chose qu'on doit prendre en compte. Notamment par rapport aux 15 000 personnes qui sont dans le stade pour le match du soir. Et donc, évidemment, du fait que les matchs des hommes se jouent au meilleur des cinq manches, il y a trois sets minimum qui seront joués. C'est compliqué pour nous de faire autrement". 

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Cet argument du temps ne tient pas selon l'ex-joueuse professionnelle française, Alizé Cornet : "Ça a été un choix du tournoi, probablement en accord avec les droits télévisuels. Si c'est une question de temps ce n'est pas forcément justifié". Pour preuve les derniers matchs de Jannik Sinner et de Carlos Alcaraz, tous deux ayant gagné en night session en seulement un peu plus d'une heure, appuie-t-elle. "Pour la qualité de jeu, j'ai trouvé que les huitièmes et les quarts de finale féminins étaient extraordinaires. Donc ce n'est peut-être pas une excuse, la qualité du tennis féminin. On aimerait bien avoir des réponses. Moi je trouve qu'on en a pas forcément et c'est contrariant".

Difficile, cependant, pour la consultante, de tenir tête aux quatre hommes qui se trouvent avec elle sur le plateau de France.TV. 

"Pas de stars"

"Ça ne dépend pas de l'organisation du tournoi", "c'est une question liée à la diffusion sur les plates-formes," "ce sont elles qui décident", "c'est le public qui choisit" etc, etc... Chacun se renvoie la balle. Pour l'ancien entraîneur de Serena Williams, Patrick Mouratoglou - précisant qu'il "adore le tennis féminin" - "Les directeurs de tournoi ont des contraintes aussi. Ce n'est pas aussi simple, ils ont des stades à remplir, ils ont à satisfaire des gens qui ne sont pas des grands fans de tennis." Pour lui, les spectateurs "veulent voir des stars", affirmant qu'"il n'y a pas de stars dans le tennis féminin". 

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Alizé Cornet, la mine déconfite, se pince les lèvres, ne sachant plus quoi répondre, mais ne lâche pas pour autant l'affaire "Laissez-nous juste faire nos trucs... Il y en a assez de comparer le tennis masculin et le tennis féminin, ce n'est pas ça le débat." Face à autant de justifications "bidon" avancées par les décideurs en matière de tennis depuis des années, la jeune femme se retire en fond de court gardant le silence.

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Sur le chat en direct sur le site internet de France.TV, les premiers commentaires fusent comme des aces pour soutenir Alizé Cornet. Discours misogyne, héritage patriarcal ... Sur X, les internautes relaient très vite la scène, beaucoup clouent au pilori cet exercice de mansplaining en direct à la télévision. 

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La revanche viendra du court Philippe-Chatrier deux heures plus tard via la "perf" historique d'une joueuse alors encore classée 361e mondiale face à une 6e mondiale au terme d'un formidable spectacle, qui pourraient rendre envieux bien des joueurs du circuit. D'ailleurs, sur le même chat, lors du match suivant entre le N.1 Mondial, l'Américain Sinner face au Kazakh Bublik, on peut lire "mais qu'est-ce-qu'on s'ennuie", "alors on en reparle du tennis féminin ?" 

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