Le "violeur de la Sambre", parcours d'un prédateur sexuel

En trois décennies, Dino Scala, celui que la presse a baptisé le "violeur de la Sambre", du nom de la rivière le long de laquelle il sévissait, a eu le temps de faire des dizaines de victimes en France et en Belgique. La fin de sa traque a finalement eu lieu en 2018. Reconnu coupable de 56 viols, tentatives de viol et agressions sexuelles, il a écopé de 20 ans de prison.

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dino scala

Dino Scala, un "homme comme tout le monde", entraîneur du club de foot local, ouvrier, a été condamné pour 56 viols et agressions sexuelles en juillet 2022, aujourd'hui une série télévisée Sambre retrace le parcours de ce prédateur sexuel.

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"Je l’ai saisie au cou", "je lui ai fait une clé de bras", "je l’ai attrapée par derrière et je l’ai mise par terre" ... Le mode opératoire et le surnom de ce "chasseur" sexuel seront désormais connu de tous. Une fiction, largement inspirée des faits, retrace à l'écran le terrible drame vécu par les jeunes femmes qui, un matin d'hiver brumeux, ont eu le malheur de croiser la route du "violeur de la Sambre", Dino Scala (rebaptisé Enzo Sadina dans la série diffusée sur France 2, ndlr).

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Diffusée à quelques jours du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, et alors que la France a enregistré les plaintes de 220 000 femmes victimes de violences en 2022, la série Sambre trouve un bien sombre écho et a su toucher un très large public. Cette fiction de six épisodes a réuni près de 3,46 millions de téléspectateurs lors de la diffusion de ses deux premiers épisodes et son replay affiche plus d'un million de vues sur la plateforme france.tv.

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20 ans de réclusion, "une fois libre le cauchemar reviendra"

Acquitté d'un viol et d'une tentative de viol, l'accusé a été jugé en juillet 2022. Dino Scala a été reconnu coupable des 56 faits pour lesquels il était jugé, dont 16 viols. Sept des tentatives de viol qui lui étaient reprochées ont été requalifiées en atteintes sexuelles. Vingt ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté des deux tiers : le violeur en série a finalement été condamné à la peine maximale encourue, jugée insuffisante par les victimes et même le parquet.

Est-il normal qu'on touche un plafond de verre, qu'avec 10 ou 50 victimes, on encourt la même peine ? C'est une question à poser à nos députés.
Me Caty Richard

"Je me sens libérée d'un poids mais seulement pour une dizaine d'années, jusqu'à ce qu'il sorte", a réagi au verdict une des victimes, agressée à l'âge de 14 ans. "On sait que le cauchemar reviendra quand il sortira", a-t-elle ajouté.

"Est-il normal qu'on touche un plafond de verre, qu'avec 10 ou 50 victimes, on encourt la même peine ? C'est une question à poser à nos députés", s'est émue une des avocate des victimes, Me Caty Richard. L'un des avocats généraux, Annelise Cau, avait elle-même estimé dans ses réquisitions que la peine encourue était "trop faible". Elle avait appelé à une réflexion sur la prise en compte du caractère sériel des crimes sexuels et de leur préméditation, qui n'a à ce stade "aucune conséquence juridique".

"Je vais présenter mes excuses aux victimes", a déclaré laconiquement, Dino Scala, au dernier jour de son procès, chemise noire et cheveux gris ras, laissant paraître peu d'émotion.

L'instinct du prédateur

"Vous vous sentiez fort ?", demande une avocate à Dino Scala: "oui, fort, je prenais le dessus", répond-il. Au président de la cour qui rappelle que selon l'enquête de personnalité, il n'est "pas spécialement porté sur le sexe", il lance : "oui, c'est bizarre""A côté de ça (...) de ce que j'ai pu accomplir comme méfaits, j'ai toujours eu une vie normale". 

Invoquant un instinct "prédateur, chasseur", l'accusé évoque une adolescence, marquée par de "la violence" intrafamiliale, mais aussi des "soupçons, (...) sur des actes que mon père aurait commis sur mes soeurs""Dans la famille, j'étais le bon à rien", à l'école, "c'était moyen""c'était très compliqué" aussi dans la vie intime, et professionnelle, égrène-t-il. 

Une première plainte en 1996

La toute première plainte remonte à décembre 1996, celle d'une femme de 28 ans, violée le long d'une voie rapide à Maubeuge, ville du nord de la France, non loin de la frontière belge. Un homme est sorti de l'ombre, raconte-t-elle, lui a demandé s'il lui "avait fait peur", avant de l'étrangler et l'entraîner dans un taillis. Son sperme sera trouvé dans l'herbe.

Très vite, d'autres agressions suivent dans la même zone, dans la vallée industrieuse de la Sambre, rivière franco-belge. Des adolescentes sont notamment violées sur le chemin de l'école. En deux ans à peine, une quinzaine de victimes sont recensées.

Elles sont presque systématiquement agressées dans l'ombre des petits matins d'hiver, généralement sur la voie publique. Le mode opératoire est similaire : l'homme les saisit par derrière, les étrangle avec l'avant-bras ou un lien, pour les traîner à l'écart. Il les menace, souvent à l'aide d'un couteau, pour leur attacher mains et pieds ou leur bander les yeux. Il leur demande parfois de "compter", pendant qu'il fuit. Durablement traumatisées, plusieurs diront avoir "vu la mort".

Pendant des années, la police poursuit les investigations, mais l'enquête piétine, avec son lot d'erreurs et de négligences, notamment concernant les recherches d'ADN. Sans succès, au point qu'un premier non-lieu est prononcé en 2003. L'affaire rebondit en 2006 après une série d'agressions en Belgique. D'autres plaintes plus anciennes sont alors rapprochées du dossier. Mais le coupable demeure introuvable.

"Gentil, serviable"

Jusqu'à l'agression d'une adolescente en février 2018 à Erquelinnes (Belgique). Une Peugeot 206 est filmée par la vidéosurveillance, à proximité. Son conducteur est identifié. Dino Scala sera arrêté quelques semaines plus tard devant son domicile situé dans la localité de Pont-sur-Sambre, de l'autre côté de la frontière.

L'arrestation de ce père de cinq enfants, ancien ouvrier et entraîneur de clubs locaux de football, abasourdit son entourage qui le décrit largement comme "gentil", "serviable". Mais deux ex-belles-sœurs dénoncent des comportements déplacés. Sa première fille évoque des souvenirs imprécis d'attouchements, accusant successivement son père et son grand-père.

Couteau, cordelettes, gants sont retrouvés lors des perquisitions. Son ADN est présent sur plusieurs scènes de crime. En garde à vue, il avoue une quarantaine d'agressions, invoquant des "pulsions" incontrôlables. Plus tard, il dira "en vouloir" aux femmes et s'être toujours senti insuffisamment reconnu, "éternel second" dans sa vie professionnelle comme intime.

Lui-même a invoqué, lors du premier jour de son procès, un "instinct chasseur, prédateur". Calme et volubile à la barre, il reconnaît avoir "commis des agressions sexuelles et des viols", comme il l'avait fait pendant l'enquête, sur "la majorité des faits", selon son avocate.

L'enquête dessine le profil d'un "prédateur" à la vie "organisée autour" de ces crimes. Avant d'aller au travail, il "rôdait" pour trouver des victimes et repérer leurs habitudes. Selon des experts psychologues, sa jouissance provenait plus de la "domination d'autrui" que de l'acte sexuel.

Une enquête négligée, des victimes peu (ou pas) écoutées

La traque du "violeur en série" aura donc duré près de trente ans et aura mobilisé les services de la police locale, côté français comme belge. Comment expliquer que ce violeur en série ait pu passer au travers des mailles du filet et poursuivre ses agressions si longtemps ?

Mélanie n'avait que 14 ans lorsqu'elle a été violée par Dino Scala, en février 1997. "Il me serre la gorge, j'ai la tête qui bascule en arrière, j'ai le temps de voir son visage", déclare-t-elle, en larmes, interrogée sur France2. Seule victime à avoir vu le visage du violeur, elle permet d'établir un portrait-robot très ressemblant. Personne ne fait le lien avec Dino Scala.

La police détient pourtant le profil génétique du violeur de la Sambre puisque le même ADN a été retrouvé dans plusieurs affaires. Mais le profil n’a jamais "matché" avec les millions de profils contenus dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG). Dino Scala n’était pas connu des services de police et son ADN n’avait jamais été prélevé. 

portrait robot violeur sambre
Portrait robot du "violeur de la Sambre" établi par la police scientifique. 
©capture d'écran

Type européen, brun, taille moyenne : "on avait un signalement banal, une voiture banale", et surtout "un ADN qui ne matchait pas", commente Romuald Muller, directeur zonal de la police judiciaire de Lille qui a suivi l'enquête dès le départ. Autre difficulté : "une zone géographique d'action assez étendue, sans logique apparente", et le "manque de régularité" des faits, par rapport aux autres affaires sérielles, ajoute l'enquêteur. L'agresseur pouvait agir une dizaine de fois un même hiver, puis rester inactif des mois, voire des années. 

L'ancienne maire de Louvroil, Annick Mattighello, se souvient pourtant avoir tiré la sonnette d'alarme : "Trois victimes en quelques semaines, dont une salariée de la ville. (...) J'ai compris qu'un prédateur rôdait ; j'ai organisé une conférence de presse pour alerter la population". Mais police et parquet "m'ont accusée d'entraver l'enquête", assurant que "j'allais le faire fuir", déplore-t-elle."Personne n'avait fait le lien" avec l'instruction de 1996, estime-t-elle, regrettant que "plusieurs portraits robots existants" n'aient "jamais été diffusés".

Certaines se sont senties "pas crues".
Me Fanny Bruyerre, avocate de neuf parties civiles

Quand l'agresseur fuyait sans parvenir à ses fins, certaines plaintes "restaient au niveau du commissariat", observe une avocate, Me Sandrine Billard, dont deux clientes estiment avoir été mal prises en charge. 

"Les moyens n'étaient pas non plus les mêmes à l'époque et on n'accordait pas forcément autant de crédit à la parole des victimes qu'aujourd'hui", relève aussi Me Fanny Bruyerre, avocate de neuf parties civiles. "Certaines se sont senties pas crues", pointe-t-elle. Pour Me Emmanuel Riglaire, conseil de deux plaignantes, "l'organisation à l'époque du système judiciaire n'a pas aidé" à établir des liens ; les affaires étant traitées par des magistrats non-spécialisés, changeant régulièrement, dans un territoire "divisé en plusieurs zones de compétences".

Selon Me Caty Richard, l'avocate de trois femmes, Dino Scala a "bénéficié du fait que la mentalité française, au début des années 2000, n'était pas prête à l'idée qu'il existait des criminels en série". Exemple : le logiciel d'analyse criminelle SALVAC (système d'analyse des liens de la violence associée aux crimes), dont l'équivalent américain existe depuis 1985, n'a "été implanté en France qu'en 2003".

Une cinquantaine de victimes en trente ans

Ses premières agressions remontent à 1988. Parmi ses victimes, la plus jeune avait 13 ans, la plus âgée 48. Beaucoup d'entre elles, qui ne croyaient plus à une issue judiciaire, ont été recontactées après son arrestation.

Quand son visage passe à la télé, je tourne la tête. Clara, une victime

"Ça a été un tsunami. Dans la foulée, il a fallu se dépêcher de redéposer plainte, retourner sur le lieu d’agression… On s’est replongé dans notre histoire. Et il a fallu encore se justifier", explique Clara, une des victimes de Dino Scala, dans La Voix Du Nord. Comme beaucoup d’autres, elle peut voir pour la première fois Dino Scala en face : "Quand son visage passe à la télé, je tourne la tête. Aujourd’hui, je n’en ai pas la force." 

Le traumatisme, malgré les années reste intact. Comme le rapporte l'une des avocates : "Elles ne peuvent pas marcher seules et ne supportent pas que quelqu’un marche derrière elles".