Fil d'Ariane
Iranienne, photographe et enseignante, Shadafarin Ghadirian ou « Shadi » bouscule les frontières de l’histoire et des lieux autour de la femme. Avec sa série « Domestic Life/ Like every day » réalisée en 2002, elle nous interpelle à sa façon avec la sempiternelle rengaine « vois-tu la femme (voilée) comme un objet (domestique) ? » A travers une série de tchadors dont le visage est objet de notre quotidien : fer à repasser, passoire, théière, balai, la série interroge les fonctions assignées traditionnellement aux femmes dans l’univers domestique. L’artiste utilise des voiles aux motifs colorés tels que les femmes peuvent les porter chez elles. Nous sommes ici dans la sphère privée où la femme est une simple tâche ménagère.
Tel un reportage, la série de photographies vient interroger notre regard, nos représentations, nos projections et la façon dont nous nous enfermons à l’intérieur. En effet, pour l’anecdote, Shadi a bénéficié d’une enfance privilégiée où sa mère l’a épargnée des tâches domestiques. C’est lors de son mariage, que la jeune femme a découvert les joies de ses nouvelles fonctions : en plus de photographe, elle serait aussi épouse et femme de ménage. L’ensemble des cadeaux qu’elle a reçus à cette occasion concernait des objets de ménage.
Ce travail sur le voile est le fil directeur de tout son travail mais aussi de toute une génération et d’un pays. Shadi est attachée à l’Iran et malgré de nombreuses sollicitations, elle poursuit son œuvre en questionnant sans fin les frontières du voile, de la femme, de soi avec toujours beaucoup d’humour et de pertinence. Un peu à l’image de sa première série Qajar, réalisée en 1990 alors qu’elle était jeune diplômée. Alors assistante de son professeur Bahman Jalali au Musée de la Photographie d’Iran, elle plonge dans les archives d’un Chah d’Iran : Nasser al-Din Shah Qajar. A partir des poses et mises en scènes de l’époque (fin XIXeme), elle recrée entièrement un studio où les canettes et les guitares côtoient les tapisseries, où les femmes lisent la presse étrangère, écoutent du hip hop en vêtements traditionnels. C’est minutieux, décalé, intelligent… déjà très féminin et très iranien.
Il y a de ces artistes, dont la vie est déjà une œuvre. Asma Ahled Shikoh est de celles-là. Pakistanaise immigrée au Etats-Unis, elle s’est mariée par webcam avec un consultant new yorkais et s’est installée en 2002 là-bas. En arrivant sur le sol américain, une de ses premières œuvres est un autoportrait dans le « costume » de la Statue de la Liberté. Vêtues de bijoux traditionnels et d’un voile, la statue mythique prend figure humaine et non sans humour avec un double ADN : américain et pakistanais.
Cette œuvre s’inscrit dans le droit fil des séries « Invasion » peintes par l’artiste alors encore au Pakistan. Là aussi, l’artiste utilisait un symbole : le fast-food pour mettre en scène un événement, l’invasion américaine. Si la peinture était sombre et à l’image du mal-être, de l’oppression ressentie, on y trouve déjà en tout cas, les thèmes chers à Asma : l’identité, l’émigration, l’immigration, le syncrétisme.
Exister en tant qu’individu, en tant qu’Asma… pour l’artiste c’est un combat et même un questionnement de tous les jours. L’artiste raconte qu’elle n’a jamais été aussi proche du rite musulman, que depuis qu’elle est sur le sol américain. La raison ? Un besoin de se rapprocher de ceux et celles qui lui ressemblent pour ne pas renier son passé… sans pour autant refuser son présent. La série Liberated à ce titre est particulièrement intéressante. En mêlant hijab et costumes de super héros, elle interroge le rôle des pratiques individuelles dans la construction de l’identité. Elle retranscrira aussi la carte du métro en Urdu, mais aussi des quartiers, boulevards…
Pour son œuvre « la ruche », elle a demandé à plusieurs centaines de femmes dans toute l’Amérique de lui envoyer leur hijab en lui racontant une histoire liée à son port. « Je l’ai porté le jour de ma remise de diplôme pour tous mes amis qui résistaient en Turquie… » dit l’une, d’autres rappelleront des situations plus personnelles… Au final tous ces témoignages et histoires de femmes autour du port du voile, viennent se nicher dans une ruche symbole ô combien engageant et féminin des lieux où tout s’accorde et concorde.
Née en 1977 à Istanbul, Nilbar Güres partage sa vie entre la Turquie et l’Autriche. Depuis ses études jusqu’à sa carrière, tout se passe entre ses deux pays. Un point commun, ou pourrait-on dire un pont relie ces deux pays : l’œuvre de Nilbar autour de l’identité, des histoires, des trajectoires… et bien sûr autour de la femme, de sa place et accessoirement de son voile aussi.
Racisme ordinaire dans les transports en commun ou espaces publics, discrimination… le matériau de Nilbar c’est le quotidien, les personnes, les femmes, leurs histoires.
Avec « Undressing », l’artiste se filme en train d’enlever un par un des voiles tandis qu’elle énumère des noms de femmes de sa famille. Les femmes sont des tissus, les tissus sont chargés d’affects, de petites histoires et de grandes histoires.
Avec « Trabzone », son travail photographique questionne les genres, les compositions narratives, symboliques, politiques. Le voile est utilisé comme le lieu de dévoilement d’univers inattendus, surprenants. Avec la série « çirçir », nous sommes aux frontières du/des réels pour plonger le temps « d’une pose photo » dans des vies qui rêvent, s’échappent, se cachent, se cherchent. Ici Nilbar plonge dans la mémoire, les souvenirs, les inconscients pour donner vie à des tableaux vivants.
Nilbar Güres est une artiste multidisciplinaire, mais son travail de photographe, dont l’exigence de mise en scène et l’intensité des éléments ne sont pas sans rappeler l’art théâtral, est très puissant. C’est une artiste à suivre définitivement.