Fil d'Ariane
Le 16 septembre 2022, à Téhéran, Mahsa Amini était arrêtée pour un voile jugé "mal porté". Ses parents ne l'ont pas revue vivante. Dès l'annonce de sa mort se sont élevés les slogans de colère, à commencer par "Femme,vie, liberté". Depuis, la protestation a gagné tout le pays, tous les Iraniens. L'éclairage de Chowra Makaremi, chercheuse en anthropologie et militante féministe.
Chowra Makaremi est née en 1980 à Chiraz, en Iran. Enfant, elle perd sa mère et sa tante, assassinées par le régime, et quitte l'Iran avec sa grand-mère à l'âge de 6 ans.
Chowra Makaremi a grandi en France. Aujourd'hui chercheuse et anthropologue, elle enquête et écrit sur le parcours et l'expérience des migrants dans le monde contemporain, et sur les violences juridiques et ordinaires auxquelles ils sont confrontés.
En 2011, elle publie le Cahier d'Aziz, à partir de lettres et des mémoires de son grand-père. Depuis, elle sait qu'elle ne pourra plus retourner en Iran théocratique : "Soit je retourne dans un pays libre et j'aide à en construire l'avenir. Soit je soutiens l'opposition de loin." Elle a fait son choix.
Au cours de l'hiver de 2004, Chowra Makaremi découvre un cahier contenant les mémoires de son grand-père, Aziz Zarei, disparu dix ans auparavant. Ils retracent le destin de la tante et de la mère de la jeune femme, toutes deux militantes d'un parti d'opposition en Iran : la première, exécutée en 1982 ; la seconde, arrêtée en 1981 et assassinée en 1988 au cours d'exécutions de masse des prisonniers politiques.
Publié en 2011, ce cahier, auquel s'y ajoutent des lettres des deux femmes et de leur père, ainsi qu'un récit retraçant le chemin parcouru à la rencontre du cahier, donne un éclairage poignant sur la révolution iranienne et le régime d'oppression qu'elle a instauré sous le nom de République islamique. Les responsables et exécutants des "massacres des prisons" sont toujours au pouvoir, tandis que la violence continue de frapper l'Iran.
Les Iraniennes ne veulent plus porter le voile, et c'est tout un pays qui s'embrase. De quoi le voile est-il le nom ?
Le voile n’est qu’un élément d’un système beaucoup plus large, d’un réseau qui emmaillote les Iraniennes dans leur quotidien et les maintient dans une citoyenneté de seconde zone. Quand il y a des inégalités flagrantes au niveau de la garde des enfants, de l’accès au travail et à l’espace public, des salaires, de l’héritage, le voile n’est pas la priorité. Les Iraniennes brûlent leur voile, mais ne descendent pas dans la rue pour demander de ne plus le porter. Elles sont dans la rue pour demander la chute de la théocratie.
Le voile sur la tête des femmes est un moyen d’inscrire le contrôle de l’Etat sur le corps des citoyens.
Chowra Makaremi
Et pourtant, ce voile obligatoire sur la tête est extrêmement contraignant dans la mesure où il rappelle aux Iraniennes tous les jours et partout dans l’espace public qu’elles sont soumises à un Etat qui garde le contrôle des corps des femmes et des hommes. Eux aussi sont contrôlés s’ils portent des manches courtes ou des coupes de cheveux trop coquettes. Le voile sur la tête des femmes et la présence de la police des moeurs est un moyen d’inscrire le contrôle de l’Etat sur le corps des citoyens, et c’est en tant que tel que les femmes le contestent.
Iran : 8 MARS 1979
— Waleed Al-husseini (@W_Alhusseini) March 8, 2021
Femmes en Iran protestant contre le port obligatoire du voile après la révolution islamique de 1979.
En ce jour international du droit des femmes, nous avons une pensée pour celles qui n’ont pas de voix.
Pour celles qui ne sont pas écoutées. Nous les soutenons. pic.twitter.com/0qvIstKX9o
Contester le port obligatoire du voile en Iran, c'est une vraie rébellion ?
Le voile est une incarnation, le symbole d’un apartheid de genre plus large. S’en prendre au voile est aussi quelque chose de stratégique, puisque le port du voile est un pilier de l’identité de la république islamique. C’est une pratique et une forme de citoyenneté que la république islamique a exporté dans la région et qui a fait son prestige dans le monde musulman.
Venir chercher l’Etat là où l’on sait qu’il ne reculera pas, c’est une façon d’aller à la confrontation.
Chowra Makaremi
Comme le port obligatoire du voile est un pilier de la théocratie, on sait que l’Etat ne reculera pas sur ce point. Et venir chercher l’Etat là où l’on sait qu’il ne reculera pas, c’est une façon d’aller à la confrontation, et c’est ce que font les jeunes dans la rue. C’est ce que font les manifestants quand ils disent "A bas la dictature" : ils disent ce qu’il est absolument interdit de dire. Le voile est une ligne rouge, et là, tous les Iraniens la franchissent ensemble.
Que voulez-vous dire par apartheid de genre ?
Plus de la moitié de la population en Iran est soumise à ce qui a été théorisé par les féministes iraniennes comme un apartheid de genre, c’est-à-dire que la citoyenneté pleine et entière est réservée aux mâles et que la citoyenneté féminine est une citoyenneté de seconde zone. En termes juridiques, en termes de droits civils, toutes les lois sur le mariage, le divorce, l’héritage, la valeur d’un témoignage en cour de justice… Tout renvoie la femme à valoir la moitié de ce que vaut un homme. D’un point de vue politique, économique et social, il y a énormément de discriminations à l’emploi, énormément d’inégalités structurelles et sociales. Le chômage est très élevé chez les femmes, qui composent pourtant la majorité des étudiantes.
Quelle est la part des femmes à l'université ?
Au moment de la révolution, la très grande majorité, à l’université, était des hommes ; aujourd’hui, plus de 60 % des étudiants sont des étudiantes. Elles réussissent si bien que l’Etat iranien a mis en place un système de discrimination positive en faveur des garçons il y a quelques années pour qu’il y ait au moins un semblant d’égalité entre garçons et filles, puisque ces dernières réussissaient massivement mieux.
Comment expliquez-vous que les filles réussissent mieux ?
Au sein des familles de la classe moyenne, les lois qui sont celles de l’Etat ne correspondent peut-être plus à la mentalité de la société. On encourage les filles, on leur apprend très tôt à développer des ressources, à s’éduquer, à compter sur elles-mêmes pour compenser les inégalités auxquelles elles sont confrontées de façon structurelles.
Pour Azadeh Kian, sociologue, chercheuse à l'université de la Cité, les "tensions révolutionnaires" actuelles sont créées par l'écart très important entre le régime islamique "militarisé et moyenâgeux" d'un côté et une société iranienne "très moderne" de l'autre. "Aujourd’hui, des pans entier de la population, une majorité écrasante, ne veut plus de ce régime", affirme la chercheuse sur le plateau du 64' de TV5MONDE :
L'une des spécificités de ces manifestations n'est-elle pas que les hommes sont dans la rue pour soutenir les femmes ?
Les hommes ne soutiennent pas les femmes dans la rue – même s'il y a aussi des Iraniens féministes qui s'engagent pour les droits des femmes, de même que des femmes voilées aussi manifestent contre le port obligatoire de ce voile. Les hommes sont aussi dans la rue pour contester des injustices qu'eux-mêmes vivent dans leur quotidien.
Le système d'apartheid de genre définit la nature politique de toute la société iranienne.
Chowra Makaremi
Le système d'apartheid de genre est une architecture appliquée à d'autres populations que les femmes, qui définit définit la nature politique de la société iranienne toute entière : une société à deux vitesses avec des inégalités fondamentales pour plus de la moitié de la population. Les inégalités et la domination qui touchent les femmes ont leur pendant à l'égard d'une foule de minorités invisibilisées, à commencer par les minorités ethnico-religieuses. Les mécanismes de domination ont été identifiés, nommés, et c'est contre eux que se soulève la population. Ils concernent aussi les hommes, qui réclament plus de libertés.
Mahsa Amini était kurde. Son appartenance à une minorité a-t-elle joué dans sa fin tragique ?
Le fait qu'elle ait été kurde n'était pas anodin. C'est elle, femme kurde, en visite à Téhéran, qui a été tuée, elle qui ne maîtrisait pas les codes pour circuler, filouter avec la police des moeurs, se comporter de la bonne façon une fois arrêtée, savoir qui payer pour échapper aux sanctions...
En Iran, tout ce qui n'est pas un homme blanc chiite est soumis à une violence diffuse de la part de la police et des pouvoirs publics : les minorités azéris, kurdes, baha'is, baloutches, arabophones – ne parlons même pas des LGBT qui, officiellement, n'existent pas, mêmes si deux militantes féministes lesbiennes condamnées le mois dernier sont dans les couloirs de la mort. Tout cela a joué au carré dans ce qu'a subi Mahsa Amini.
Son appartenance à une minorité a-t-elle joué dans l'embrasement en Iran ?
Le fait quelle ait été kurde a aussi joué dans la politisation de l'indignation qui a suivi sa disparition. Ses parents ont refusé d'enterrer leur fille en douce à 3 heures du matin, comme leur demandaient les autorités qui leur ont remis le corps de nuit. Au contraire, la famille a organisé des funérailles. Toute la ville de Saqqez s'est mobilisée pour y assister et prendre la parole. En une nuit, des réseaux militants se sont activés pour dire "stop".
D'où vient le slogan "Femmes, vie, liberté" ?
Jin, Jiyan, Azadî, "Femmes vie liberté", vient des féministes kurdes. Il a été énoncé pour la première fois par des militantes du PKK, le parti autonomiste du Kurdistan turc. Il est enraciné dans la pensée du leader Abdullah Ocalan qui, dans ses cahiers de prison, a écrit sur la libération des femmes, sans laquelle, assure-t-il, la libération des peuples n’est ni pensable, ni possible. En effet, la société kurde étant très patriarcale, les militants réfléchissent aux transformations sociales et politiques nécessaires, et pas seulement en opposition aux Etats centraux qui les oppriment et les répriment, mais aussi aux choix de société dans une perspective d’aspiration démocratique.
Ce slogan a voyagé depuis le Kurdistan turc, puis au Rojava... On l’a entendu en 2013, lors de l’assassinat de trois militantes kurdes du PKK par des agents turcs en plein Paris. Puis il est réapparu en septembre 2022 lors des funérailles de Masah Amini, et repris un peu partout en Iran.
Jin jiyan azadi !
— Osez Le Féminisme 63 ! (@osez63) October 24, 2022
3 mots si chères à nos luttes.
Nos sœurs Iraniennes ont besoin de soutien de la communauté internationale
Partageons, rassemblons nous pour ce peuple en lutte et en colère contre une dictature patriarcale et religieuse !
Demain sera féministe ou ne sera pas! pic.twitter.com/NF5zbKLe56
Il a été repris en choeur par toute une société pourtant peu homogène...
C’est la première fois, en Iran, que l’on a une telle union et une telle solidarité : entre le centre du pays et ses périphéries, jusqu’à présent souvent reléguées à l’arrière-plan, que ce soit des priorités et des ressources de l’Etat, mais aussi de l’intérêt de la population ; entre les classes moyennes, les grandes écoles, les avocats, les enseignants… De même qu'hommes et femmes sont solidaires contre l’apartheid de genre, Iraniens perses, kurdes, baloutches, arabophones montrent une solidarité qui est quelque chose d’assez nouveau dans ce pays.
C'était il y a un mois : Masa Amini était arrêtée en Iran par la police des mœurs pour infraction au port du voile. Son décès a provoqué une colère immense dans le pays.
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 13, 2022
Invitée du journal : Firouzeh Nahavandi, sociologue et spécialiste de l'Iran. pic.twitter.com/J3g6h1jvjU
Comment le slogan "Femmes, vie, liberté" a-t-il fait place à "A bas la dictature" ?
"A bas la dictature" est un slogan que l’on entendait déjà sporadiquement en 2008 au moment où les manifestations viraient à l’émeute. En décembre 2017, et jusqu’aux grandes manifestations des classes populaires de novembre 2019, dont la classe moyenne n'était pas solidaire, et qui ont été très sévèrement réprimées – plus de 1500 morts en quelques jours – on entendait déjà "A bas la dictature !", mais encore timidement, et le slogan n’était pas le cœur des revendications, centrées sur la vie chère. Aujourd’hui, "A bas la dictature !" rassemble les différentes populations et les différents segments de la société iranienne qui, pour la première fois depuis quarante-trois ans, se soulèvent en même temps.
En 1999, il y a eu des mouvements étudiants, très réprimés ; en 2009, c’était plutôt les classes moyennes qui protestaient ; puis de 2017 à 2019, les classes populaires ; il y a eu aussi des soulèvements dans les provinces périphériques, au Kurdistan et au Baloutchistan, mais les luttes ne se rejoignaient pas. Aujourd'hui, pour la première fois, un slogan unificateur s’affirme de façon assez forte pour exprimer la volonté d’un changement de régime. Les Iraniens identifient le pouvoir actuel, la théocratie et le pouvoir en place – non pas le président de la République Ebrahim Raïssi qui, lui, n’est jamais cité, mais le vrai gouvernement, le pouvoir personnifié par le guide suprême Ali Khamenei – comme la cause structurelle des différentes injustices et dominations contre lesquelles les différents segments de la population unissent aujourd’hui leurs soulèvements.
Ce tweet du 27/09/22 avait été supprimé. La sœur de Dina Rad vient de republier sa photo en précisant qu'elle est détenue à Évin, section 209.
— Chowra Makaremi (@chowmak) September 30, 2022
Avant, les familles des prisonnier.e.s se taisaient par peur des représailles et par espoir de faire libérer les leurs. C'était avant. https://t.co/G1j1Wmpabv
Où en est la résistance des femmes actuellement en Iran ?
Le problème, c’est la répression. Selon les derniers chiffres officiels, environ 6000 arrestations ont été recensées depuis mi-septembre ; les chiffres réels sont sûrement bien supérieurs. Les manifestants sont arrêtés, mais des membres de la société civile qui ne vont pas manifester sont arrêtés également : sont arrêtés tous ceux et toutes celles qui pourraient devenir des leaders locaux ou transnationaux ou qui pourraient être des relais de ce qui se passe actuellement. Les arrestations sont illégales, arbitraires, pratiquées par des escadrons dont on ne connaît pas exactement la nature. Les personnes arrêtées sont emmenées dans les lieux tenus secrets ; les familles n’ont pas de nouvelles et, dans plusieurs cas, les dépouilles ont été rendues aux familles visiblement tabassées, torturées, voire violées, dont certaines étaient mineures, comme Nika Shakarami.
Nika Shakarami, 17ans, a disparue lors d'une manifestation contre le régime. Une semaine plus tard, les forces de sécurité ont rendu son cadavre, nez et crâne fracassés @AlinejadMasih pic.twitter.com/L5kSUwlZSI
— L'important (@Limportant_fr) October 4, 2022
C’est une politique de la terreur, dont la république islamique est coutumière. Dans cette configuration, militantes et militants veulent se préserver pour échapper à la brutalité et faire durer le mouvement. Dès lors, il est de la responsabilité de ceux qui travaillent à visage découvert, de l’extérieur, comme moi, de ne pas chercher à entrer en contact avec qui que ce soit à qui pourrait ensuite être reprochés ces contacts.
Alors comment faites-vous ?
Jamais je ne demanderai des vidéos, ou ne serait-ce que des nouvelles, à mes contacts sur place. Ces pratiques se sont mises en place spontanément. Je m’informe plutôt via des réseaux militants moins individualisés, collectifs, moins identifiables grâce à des pratiques de sécurité en ligne.
Pour analyser la situation, je me base sur des éléments qui circulent sur les réseaux sociaux, des médias iraniens qui transmettent à l’étranger aux chaînes telegram ou des groupes signal qui sont beaucoup plus ponctuels. Les enjeux sont immenses et la disproportion de la répression est flagrante. Pour l’heure, il n’y a toujours pas eu de confession forcée à la télévision, mais l’on sait que c’est ce que cherche les pouvoirs publics.
En Iran, malgré une répression violente, la mobilisation pour demander la chute du régime continue. Analyse de la situation avec la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi. pic.twitter.com/m2rGBpfwbw
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 15, 2022
Ces dernières années se sont mis en place des réseaux d’information où les citoyens peuvent, de façon anonyme et sécurisée, envoyer des documents à l’étranger, mais on évite les interactions individualisées et identifiables. L’autre facette de la répression, c’est la dimension militaire : les gardiens de la révolution tirent à l’arme lourde sur les manifestants, mitraillent d’hélicoptère, repèrent les blessés pour les emmener, bombardent les bases des partis d’opposition kurdes. C’est une répression qui essaie de construire les opposants comme des ennemis de l’Etat, une posture qui, aujourd’hui, ne tient plus.
Où en sont les manifestations ?
Les appels à manifestations, aujourd’hui encore, sont suivis dans toutes les villes du pays. Elles prennent peu à peu une forme moins massive, plus éclatée, plus fragmentée, assez locale. La coordination se fait sur Telegram et d’autres réseaux très locaux, puisqu’Internet est empêché, mais pas totalement bloqué. Les chaînes de médias étrangères, comme la BBC en persan ou la chaîne Iran International, qui sont regardées par beaucoup de monde en Iran et sont des chaînes satellites, font passer des messages concernant la logistique et l’organisation des manifestations.
https://t.co/811RPUzmQW pic.twitter.com/3kvK5LR1c9
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 26, 2022
Les grèves viennent durcir la situation ?
Des mouvements de grève ont commencé au Kurdistan il y a trois semaines. D’autres villes ont suivi par des grèves sectorielles, en soutien : les transports à Téhéran, le bazar de Mashad, les ouvriers du secteur pétrochimique, qui est un secteur clé puisque l’Iran est un pays rentier du pétrole. Les grèves sont conçues comme une phase de la transformation des insurrections en un rapport de force plus durable, après les manifestations de rue et les mouvements étudiants.
Si cette troisième phase a du mal à s’installer, c'est aussi du fait que beaucoup d’ouvriers sont des "employés par projet", c’est-à-dire des intermittents, et que les syndicats ont été très réprimés ces dernières années, contrairement à l’image que l’on a parfois d’un Iran héros du socialisme international. Mais le pays en est là : les lycéennes s’insurgent, les manifestations de rue se poursuivent, le mouvement étudiant ne faiblit pas et les grèves s'organisent.
Il n’est pas possible que le rapport de force entre société et Etat revienne à ce qu’il était avant le 16 septembre.
Chowra Makaremi
La société iranienne est-elle vraiment à bout ?
Le système économique est en panne. L'ascenceur social est inexistant. Du fait des sanctions, de la corruption, de la crise du covid, de programmes économiques néolibéraux, qui ont créé un système de prédation économique, la classe moyenne, très importante en Iran, a fondu. Quant aux classes populaires, la base électorale du régime, elles sont asphyxiées et chaque jour en butte à une grande violence sociale : les gens multiplient les emplois pour tenir la tête hors de l'eau, la consommation de drogues explose, comme la prostitution, les MST et d'autres fléaux dont on ne parle pas. Si aujourd'hui la coupe est pleine, c'est le résultat d'un étouffement économique, social, politique qui dure depuis longtemps et que la crise sanitaire a à la fois "congelé" et accentué, avec une répression qui s'est aggravée les dernières années.
Quelle issue entrevoyez-vous ?
C'est un mouvement totalement unique que je vois naître. La rupture avec ce que l’on a connu avant est fondamentale. Le courage et la détermination des manifestants sont extraordinaires. Tout est spontané et inédit. Le simple fait que les gens retournent dans la rue alors même que la répression atteint un tel niveau de terrorisation de la population est très impressionnant.
Les revendications et les slogans, les techniques de manifestations, les pratiques d’insurrection, l’union des différents segments de la population, le mouvement féministe qui est derrière depuis des années – l’alliance de tout cela donne un caractère révolutionnaire à ce mouvement. Que va-t-il advenir ? La situation est floue, tendue, illisible sur le plan international. Impossible de produire une analyse prédictive. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas possible que le rapport de force entre société et Etat revienne à ce qu’il était avant le 16 septembre.
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