Fil d'Ariane
Les récents scrutins ont confirmé cette tendance : en France, il y a désormais autant, voire plus, de femmes que d'hommes à mettre un bulletin Rassemblement national dans l'urne. Un virage du vote féminin vers l'extrême droite qui ne se constate pas ailleurs au sein de l'Union européenne.
Dans un bureau de vote, lors du premier tour des législatives, le 30 juin 2024 à Paris.
Des millions de Françaises votent désormais pour l'extrême droite. Un rubicon franchi par beaucoup récemment. Pour les législatives, une récente enquête d'opinion donnait 36% d'intentions de vote pour le RN. Dont 35% pour les hommes et 37% pour les femmes.
A titre de comparaison, Jean-Marie Le Pen, le père de la figure du RN Marine Le Pen, avait recueilli 26% des suffrages masculins lors de la présidentielle de 2002. Contre 11% des suffrages féminins.
Le genre n'a plus d’impact sur le vote RN. Anja Durovic, chercheuse CNRS
"La France a longtemps été un parfait exemple du 'radical right gender gap'" (rejet plus fort de l'extrême droite par les femmes), observe Anja Durovic, chercheuse en sciences politiques au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). "Mais ce temps est révolu, le genre n'a plus d’impact sur le vote RN".
(Re)lire Les femmes de plus en plus nombreuses à voter pour le Rassemblement national
La parité d'aujourd'hui est une "spécificité" française, observe l'Autrichienne Stefanie Buzaniuk, de la fondation Robert Schuman.
Dans les autres pays (d'Europe), il reste un écart de genre à l'extrême droite. Stefanie Buzaniuk, Fondation Robert Schuman
"Dans les autres pays (d'Europe), il reste un écart" de genre à l'extrême droite. Et de citer l'AfD en Allemagne, qui a réuni les suffrages de 12% des femmes contre 17% des hommes aux élections européennes. En Espagne, 11,4% des hommes, mais seulement 5,3% des femmes, pensaient voter Vox à ce même scrutin. Les bons résultats du RN en France s'expliquent "surtout grâce à Marine Le Pen, qui a réussi à féminiser le discours du RN par rapport à son père, plutôt sexiste", note Stefanie Buzaniuk.
La candidate malheureuse aux deux dernières présidentielles fait "un usage stratégique de son genre" en disant "Moi aussi je suis une femme, je lutte, j'ai des enfants à élever, je suis divorcée", estime Mariette Sineau. Une tactique "payante" notamment chez les femmes précaires, selon cette sociologue.
Jour de vote dans la commune de Soultz-Les-Bains, dans l'est de la France, le 30 juin 2024.
Néammoins, pour le sociologue Nicola Maggini, de l'université de Bologne, avoir une femme pour leader ne garantit pas pour autant le vote féminin. En Italie, la présidente du conseil Giorgia Meloni séduit plus d'électeurs que d'électrices, note-t-il. Et le vote féminin s'y structure surtout autour de facteurs tels que l'âge et le niveau éducatif.
Les femmes actives sont plus enclines à voter à gauche et les femmes au foyer, à faible instruction, pour Matteo Salvini. Nicola Maggini, Université de Bologne
"Les femmes actives sont plus enclines à voter à gauche" et les "femmes au foyer, à faible instruction, pour Matteo Salvini", l'autre tenant de l'extrême droite italienne, ajoute le sociologue.
Giorgia Meloni et Matteo Salvini, chef de la Ligue du nord, parti d'extrême droite italien, ici lors d'un vote de confiance au Parlement italien, le 25 octobre 2022. La cheffe du parti néofasciste est la première femme à occuper le fauteuil de Présidente du Conseil italien.
Les déterminants électoraux sont similaires au Royaume-Uni, où les femmes ont aussi "historiquement moins soutenu le parti UKIP" (pro-Brexit) et où "elles soutiennent moins Reform" (extrême droite) que les hommes, remarque la sociologue politique d'Oxford Ceri Fowler. "On sait que les femmes sont découragées lorsqu'un parti est considéré comme socialement inacceptable", rappelle-t-elle. Ce qui pourrait expliquer le vote féminin d'extrême droite en France, où les partis traditionnels ont connu "une chute de leur soutien", mais où le vote RN est devenu "plus admis".
Depuis des années, le RN joue ainsi la carte de la "normalisation", après des décennies d'outrances sous la bannière du Front national, son ancien nom. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux durant la campagne pour les législatives, Jordan Bardella répéte qu'il se pose en protecteur des femmes, dont il affirme vouloir "garantir" les droits, notamment en "réglant la question de l'immigration pour mieux (les) protéger dans l'espace public".
Un argumentaire de "défense des femmes dans une perspective antimusulmane" que le RN a en commun avec le Parti pour les libertés néerlandais (extrême droite dirigée par Geert Wilders arrivé en tête des élections de novembre 2023, ndlr), membre d'une coalition gouvernant les Pays-Bas, souligne Nicola Maggini.
Vaena, une salariée du Planning familial, y voit une "instrumentalisation des luttes féministes". Et de pointer l'ambiguïté d'une formation qui a majoritairement soutenu en mars l'inscription dans la Constitution française de l'avortement, mais dont les eurodéputés n'ont pas voté en avril une résolution visant à inclure ce même droit dans la Charte européenne des droits fondamentaux.
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