Fil d'Ariane
Les élèves ont rangé leurs cahiers, posé les mains sur leurs genoux et fermé les yeux. Pendant 45 minutes, Mirna Ali remplace la professeure de cette école privée de Naplouse. Elle débute par des exercices de respiration.
« Des études menées à San Francisco ont montré que le yoga permet de diminuer le niveau de violence chez les enfants et d’améliorer leur capacité de mémorisation, explique-t-elle. Pourquoi ne pas introduire cette technique en Palestine où nous vivons dans un contexte extraordinaire ? »
Encore inaccessible au plus grand nombre il y a quelques années, le yoga se développe en Cisjordanie. Mirna, la cinquantaine enjouée, est l’une des pionnières de cette discipline.
Une fois par semaine, elle donne un cours dans une salle de sports de Naplouse. À cette heure de l’après-midi, les locaux de Tri-Fitness sont réservés aux femmes. Elles sont une quinzaine ce mardi, dont près de la moitié pratiquent le yoga pour la première fois.
Naplouse, seconde ville de Cisjordanie, compte aujourd’hui trois professeures certifiées. Mirna a été la première à donner des cours, dans des écoles publiques et des associations. Elle a participé en 2010 à la formation de formateurs animée par l’organisation américaine Anahata International.
Pendant dix jours, des Palestiniennes de Ramallah, Naplouse, Bethléem, Jenine, Nilin et Zatara ont participé à ce stage. À leur tour, dans leurs villes et villages, ces femmes initient d’autres femmes mais aussi des personnes âgées, des patients atteints du cancer, des réfugiés…
Le studio Farashe, fondé en 2010 à Ramallah, a été à l’origine de cette formation et de celles qui ont suivies. « Nous avons réalisé que les femmes n’avaient pas beaucoup d’espace pour respirer, explique Maha Al-Shawreb, co-fondatrice du lieu. Elles doivent faire face à énormément de difficultés, liées à la situation politique et à l’occupation israélienne mais aussi à leur vie familiale. Nous avons voulu répondre à ce besoin. »
Les Palestinienness pourraient nous apprendre beaucoup quant à la façon de gérer le stress
Le studio est installé dans un appartement situé en plein centre ville de Ramallah. Le centre fonctionne grâce à huit professeurs palestiniens et des enseignants étrangers, tous bénévoles. Des cours sont proposés six jours par semaine.
« Les Palestiniens pourraient nous apprendre beaucoup quant à la façon de gérer le stress, remarque Maha. Ils font preuve d’une capacité de résilience. Mais dans un contexte où il y a tant de restrictions de mouvements et d’espace, le yoga peut être un outil supplémentaire pour respirer. »
Les bienfaits du yoga sur la santé physique et mentale ont été démontrés par de nombreux travaux scientifiques. Dans la bande de Gaza, le Croissant rouge a proposé des séances de yoga aux victimes du conflit de l’été 2014.
« Des femmes m’ont dit qu’elles avaient des douleurs dans le cou ou à l’épaule qui ont disparu avec le yoga, témoigne Mirna. D’autres avaient du diabète et leur taux de sucre dans le sang a diminué. D’autres réussissent à se mettre à genou pour prier. Une femme m’a même dit que grâce au yoga, elle s’entend mieux avec sa belle-mère ! »
En Cisjordanie, le yoga reste une nouveauté, pas toujours bien acceptée. « Quand on en parle, beaucoup pensent au bouddha et donc à une religion, raconte Mirna. J’explique que ce n’est pas contraire à l’islam. Je suis musulmane et voilée. Mais certains ne sont pas convaincus. »
« Dans notre culture, les femmes sont censées être à la maison et s’occuper de leur famille, remarque aussi Nahed Bandak, professeure à Bethléem. Elles ne considèrent pas encore que prendre du temps pour elles est essentiel. »
Cette mère de quatre enfants, qui vit à quelques mètres du mur de séparation, a découvert le yoga avec une professeure étrangère en 1982. Elle a longtemps pratiqué seule, avant de commencer à enseigner il y a 10 ans. « Le yoga affecte mon équilibre, ma paix intérieure, mon énergie, assure-t-elle. Cela a vraiment changé ma vie. »
Cinq fois par semaine, elle donne des cours dans un studio lumineux de Bethléem. Ici aucune femme n’est voilée et la séance est mixte. Ils sont six ce soir, dont plusieurs étrangers. Nahed Bandak donne les instructions en anglais. « Au premier cours, je n’arrivais pas à tenir sur un pied, raconte Mariam Michel 40 ans. Le yoga m’a apporté de l’équilibre, de la concentration, du calme intérieur. La vie est difficile, j’encourage tout le monde à en faire ! »
Comme à Naplouse, à peine la séance de relaxation terminée, une autre professeure lance la musique à fond dans la salle de sports. Après le yoga, place à la zumba…