L'écrivaine Colette : scandaleuse, éprise de liberté et féministe paradoxale

Souvent citée en exemple de féminisme, l'autrice française Colette, par son indépendance et sa volonté de vivre sa vie, était pourtant davantage éprise de liberté, celle de choisir et de changer d'avis, que radicale. Portrait d'une femme qui assumait ses paradoxes par l'un de ses grands admirateurs et spécialiste,  Frédéric Maget. 
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Disparue le 3 août 1954, Colette était une femme libre, indépendante, scandaleuse, qui n'acceptait pas les règles de la société ni ne fuyait ses contradictions. Elle dénonçait le mariage, mais s'est mariée trois fois ; elle promettait aux suffragettes "le fouet et le harem" et se moquait de la prétention politique des femmes, mais ses articles défendaient l'avortement et dénonçaient les violences faites aux femmes. Et lorsqu'elle devint mère, elle n'était pas sûre de pouvoir aimer son enfant et l'écrivait dans la presse.

Pour Frédéric Maget, président de la Société des amis de Colette et directeur de la Maison de Colette, ce sont justement ces paradoxes et ambiguités qui font la force de l'écrivaine scandaleuse, parce qu'elle les assumait pleinement, et même avec une pointe de provocation.

maison de colette
La Maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye. 
©www.maisondecolette.fr

Entretien avec Frédéric Maget.

Propos recueillis par Claude Vittiglio.


Comment Colette a-t-elle évolué dans sa conscience de la femme ?

La question du féminisme de Colette est compliquée. De son temps, mais surtout de façon posthume, elle a été perçue comme une figure de l'émancipation, de la libération des femmes. Lorsque Simone de Beauvoir écrit Le deuxième sexe, l'auteur le plus cité dans le livre, c'est  Colette. Puis lorsque le Mouvement de libération des femmes est créé, il va également revendiquer la figure de Colette. Depuis quelques années, pourtant, Colette dérange un certain féminisme par ses paradoxes.

Quels sont ces paradoxes ?

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Cosmétique vendu par Colette.

On les retrouve dans toute son oeuvre, dans tout ce qu'elle est - elle qui a professé une extrême liberté dans ses choix de vie et de carrière. Mariée trois fois, elle a eu des amants, plus jeunes, plus vieux, des femmes.... Elle a été scénariste, mime, publicitaire, journaliste, machande de produits de beauté...

A l'époque, cela lui était reprochée, y compris par ses collègues. Cantonnée au rôle de romancière, elle n'aurait pas dû en sortir, considère-t-on. Elle a dû se battre tout sa vie pour faire ce qu'elle voulait. Ce sont les paradoxes qui font à la fois la richesse et la modernité de son féminisme. Un féminisme qui embrasse tous les paradoxes des femmes.

Frédéric Maget pendant son entretien avec Claude Vittiglio
Frédéric Maget dans la chambre de Colette, Maison de Colette.
©TV5MONDE

Quelles étaient ses positions en matière sociale ou politique ?

Elles étaient loin d'être avancées à une époque où les suffragettes étaient sur le point d'obtenir le droit de vote - même si la Première Guerre mondiale allait balayer leurs acquis. Colette a les mêmes réserves que George Sand, cinquante ans plus tôt. Elle ne souhaite pas vraiment que les femmes aient le droit de vote et se montre très méfiante à l'égard de de ce que Simone de Beauvoir va nommer "l'universalisme". Aux suffragettes, elle promet "le fouet et le harem". Une citation qu'il faut remettre en contexte, car comme sa mère Sido, elle cultivait volontiers la provocation. 
Colette sera l'une des rares romancières de son temps à décrire, dans ses articles de presse, la vie des femmes à l'arrière pendant la Première Guerre mondiale. Elle livre un témoignage unique : elle voit leurs vêtement évoluer, leur langage, leur attitude, leur caractère. Mais elle n'en est pas satisfaite pour autant. 

Colette renverse avec beaucoup de finesse les stéréotypes de genre que le XIXe siècle avait livré à la littérature.
Frédéric Maget

Alors quel féminisme représente Colette ?

colette chapeau

Elle cultive le féminisme "différencialiste" plutôt qu'"universaliste". Elle cultive la différence entre le féminin et le masculin. Ce qui est très intéressant, c'est ce qu'elle en fait : chez Colette, la femme est forte, indépendante, volontaire, libre, alors que l'homme est volontiers faible, sensible, et qu'il pleure facilement. Une subversion des assignations de genre extrêmement moderne.

Dans Le blé en herbe, Colette renverse avec beaucoup de finesse les stéréotypes de genre que le XIXe siècle avait livrés à la littérature. Vinca est une jeune femme qui, dès qu'elle n'est pas contente, donne des coups de poing - elle frappe Phil quand elle n'obtient pas satisfaction. Elle va à la recherche du désir, elle veut être initiée sensuellement par lui et elle va y parvenir. Phil est, en fait, la victime des femmes. Et quand il est angoissé, il tombe en pamoison.
 

Elle n'est pas en acier, elle est en femme. C'est bien plus solide !

Colette, à propos de la force de son héroïne Renée Nérée

Cette ambiguïté définit-elle sa conception des femmes et du féminisme ?

la vagabonde

C'est ce qui en fait toute la richesse, en tout cas. Prenez deux livres qu'elle a écrit, l'un en 1910, l'autre en 1913 : La Vagabonde, puis L'Entrave. Dans le premier, elle se met en scène sous le nom de Renée Nérée, une femme de lettres qui a abandonné la littérature pour la scène, et surtout une femme qui décide vivre seule après un mariage malheureux. Puis elle fait une rencontre, un homme assez beau et riche, qui est prêt à l'épouser. Mais elle se dit : "Est-ce que je ne vaut pas plus que cet amour qui passe par le mariage et qui, finalement, est un asservissement ?" C'est un message résolument féministe qu'elle livre, là : "Vous pouvez être pleinement une femme, pleinement libre en l'absence d'un homme". Et quand l'on s'étonne de la force de son héroïne, elle répond : "Non, elle n'est pas en acier, elle est en femme. C'est bien plus solide !"

Et puis trois ans plus tard, elle écrit L'Entrave et l'on retrouve le même personnage qui, cette fois, tombe amoureuse d'un prototype de macho, cultivant une virilité presque caricaturale. Et elle accepte les chaînes de cette nouvelle union. Colette assume le paradoxe : je peux être une femme qui aspire à l'indépendance et à la liberté, et en même temps, j'ai le droit, quand j'en ai envie, d'accepter les chaînes du mariage.

Quelle était sa position face à la maternité ?

Colette a eu une fille unique alors qu'elle avait 40 ans. Elle est la première écrivaine à dire clairement et publiquement qu'elle n'a eu aucun plaisir à être enceinte. "J'avais l'air d'un gros rat qui couve un oeuf," dit-elle. Quand elle est tombée enceinte, elle était journaliste, encore mime. Elle a dû renoncer à tout cela et a mal vécu sa grossesse. Et quand on lui présente l'enfant, elle dit dans Maternité : "Je n'étais pas sûre d'avoir envie de voir cet enfant. Est-ce que je l'aimerai ? A travers elle, est-ce que ce n'est pas le visage de l'homme que j'aime que je chercherai ? Est-ce que je saurai l'aimer pour ce qu'elle est ?" Elle mettait des mots sur un sentiment aujourd'hui bien connu, la non-évidence du sentiment maternel.
 

On voudrait que je sois heureuse, souriante, que j'ai atteint une forme de plénitude parce que je suis mère ? Et bien non, je ne suis pas sûre d'aimer cette enfant.
Colette

Là, comme en tout, elle refuse toute assignation de la société. "On voudrait que je sois heureuse, souriante, que j'ai atteint une forme de plénitude parce que je suis mère ? Et bien non, je ne suis pas sûre d'aimer cette enfant, l'amour n'est pas un sentiment qui se commande. Il faudrait que j'apprenne à la connaitre pour pouvoir l'aimer." C'est une parole qui, aujourd'hui encore, est très libératrice. Combien de femmes ressentent le poids social et familial de ne pas avoir d'enfants ? Colette, elle, assume cette contradiction, d'être mère sans correspondre aux codes maternels. 

Quels sont les autres sujets féministes qu'elle a abordés dans ses textes ?

Son absence d'a priori théorique permet à Colette de voir certaines choses que beaucoup, y compris les féministes de son temps, soit ne voyaient pas, soit n'étaient pas capables de dire. Dans un célèbre texte, Gitanette, elle est aussi la première romancière française à écrire sur l'avortement. Elle est aussi une des rares femmes jouissant d'une grande notoriété à écrire des articles dénonçant les violences faites aux femmes et aux enfants.

La libération des femmes, pour Colette, est une conquête individuelle.
Frédéric Maget

Pour les femmes de son temps, qui n'étaient pas encore prête à la libération qui allait suivre, et même pour celles qui sont venues après, la façon d'être de Colette est très déculpabilisante. Elle leur dit : assumez vos paradoxes, tout en essayant de vous frayer un chemin, celui de votre liberté. La libération des femmes pour Colette est une conquête individuelle, non pas collective. En celà, elle n'est pas féministe, et pourtant elle a été l'une des plus féministes de son temps.