Fil d'Ariane
Lee Miller brisa les conventions pour s'imposer comme l'une des plus grandes photojournalistes du XXe siècle. Devenue reporter de guerre dans un monde d'hommes, elle fut un témoin majeur des atrocités nazies. Un film retrace sa vie et son engagement, elle y est incarnée par l'actrice Kate Winslet.
L'actrice américaine Kate Winslet, 48 ans, incarne la photographe Lee Miller dans le film "Lee".
D'ex-mannequin à celle qui photographia les camps de concentration. Le film Lee explore une période charnière de la vie de cette femme puissante (1907-1977). "Lee a vécu plusieurs vies et notre plus gros défi était de savoir quelle période décisive de son parcours mettre en avant", explique, dans le dossier de presse, Kate Winslet, soucieuse d'"éviter le piège du biopic" pour une figure aussi complexe.
Le cliché la montrant, nue, dans la baignoire d'Hitler à Berlin est entré dans la légende. Lee Miller était une pionnière qui préférait "prendre des clichés plutôt que d'en être un".
Née dans une banlieue chic de New York, Lee Miller grandit dans une famille aisée. Sa mère souffrant de dépression, la fillette est souvent confiée à des amis et des parents. A sept ans, elle est victime d’un viol. Son père est ingénieur et photographe amateur. A l'adolescence, elle est photographiée nue par ce dernier.
Adolescente, elle sera marquée par un autre drame, la mort de son petit ami qui se noie devant elle lors d'une promenade en barque. En 1925, elle va à Paris pour suivre des études de théâtre et d'arts plastiques à l'Ecole nationale des Beaux Arts, qu'elle poursuivra ensuite de retour à New York. Repérée par le fondateur de Vogue, elle fera plusieurs fois la couverture du célèbre magazine de mode américain. C'est plus tard à Paris qu'elle fera la rencontre de Man Ray dont elle deviendra la muse et la compagne.
Lee Miller fit ses débuts comme mannequin.
C'est dans l'insouciance bourgeoise et bohème de la Riviera française en 1938, que débute le premier long-métrage de la cheffe-opératrice Ellen Kuras ("Eternal Sunshine of A Spotless Mind". Autour de Lee Miller, l'amour est libre, l'alcool abondant et personne ne daigne voir que l'Europe est au bord du précipice. Sa petite troupe compte le poète Paul Éluard, son épouse Nusch (Noémie Merlant) et la rédactrice de mode Solange d'Aye (Marion Cotillard).
Lee Miller rencontre alors le collectionneur d'art Roland Penrose (Alexander Skarsgår), s'installe à Londres avec lui et se démène pour partir en France en 1944 et rendre compte - appareil Rolleiflex en bandoulière -de l'horreur de la guerre.
Elle était en colère parce que les femmes n'étaient pas officiellement autorisées dans les zones de combat. Antony Penrose, fils de Lee Miller
Les obstacles pour une femme sont légion. Lee Miller, qui travaille pour l'édition britannique de Vogue, doit braver les interdits. "Elle était en colère parce que les femmes n'étaient pas officiellement autorisées dans les zones de combat", se rappelle son fils unique, Antony Penrose.
Lee Miller devient correspondante de guerre pour le Vogue britannique.
Avec son confrère et ami du magazine Life David Scherman (campé à contre-emploi par l'humoriste américain David Samberg), Lee Miller frôle la mort, photographie les mutilés de guerre, les premières épurations en France et parvient jusqu'au front Est, dans une Allemagne tout juste vaincue.
La reporter y photographie des familles de nazis suicidés et, surtout, pénètre dans les camps de concentration de Dachau et Buchenwald,. Elle découvre des convois remplis de cadavres et les survivants décharnés. "Au lieu de prendre des photos de loin, Lee n'a pas hésité à grimper à bord du train rempli de cadavres", souligne Kate Winslet. Des scènes qu'a voulu retranscrire la caméra d'Ellen Kuras. Le film montre des déportés en uniforme rayé et reconstitue l'intérieur des camps nazis.
C'est fou comme on a dissimulé pendant très longtemps des pans entiers de la Shoah. Il y avait une véritable volonté de maquiller les faits mais Lee s'y est refusée catégoriquement. Cela l'a ruinée –totalement. Kate Winslet
À son retour à Londres, Lee Miller, marquée dans sa chair, veut montrer ces atrocités au monde mais se heurte au refus du Vogue britannique. C'est l'édition américaine du magazine qui publiera son photoreportage sous le titre Believe it ("Croyez-le").
"Les gens n'y croyaient pas. C'est fou comme on a dissimulé pendant très longtemps des pans entiers de la Shoah. Il y avait une véritable volonté de maquiller les faits mais Lee s'y est refusée catégoriquement. Cela l'a ruinée –totalement", souligne l'actrice, également productrice du film.
La star de Titanic, du Liseur ou de Noces rebelles va interpréter une Lee Miller vieillissante, accro à la boisson et aux médicaments, qui déroule, de mauvaise grâce, le fil de son existence devant un intrigant journaliste. "Elle était guidée par la compassion et je pense que ça l'a consumée", dit son fils. "Il n'y avait plus rien pour la faire avancer et elle n'arrivait pas à sortir de sa tête toutes les choses qu'elle avait vues".
C’est très intéressant que vous posiez cette question parce que, pardonnez-moi, mais est-ce-que vous poseriez cette même question à un homme, à un comédien ? Kate Winslet, sur France 5
Pour camper cette femme libre, torturée et opiniâtre, l'actrice britannique de 48 ans n'hésite pas à se dénuder, affichant ostensiblement cernes et rides. Ce que ne manquera pas de souligner un journaliste lors d'une émission à la télévision française. Une remarque qui aura le don d'agacer Kate Winslet, invitée sur le plateau : "C’est très intéressant que vous posiez cette question parce que, pardonnez-moi, mais est-ce que vous poseriez cette même question à un homme, à un comédien ?". Voilà une réponse qui n'aurait pas déplu à Lee Miller ...
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