Fil d'Ariane
A voté ! Séoul, le 15 avril 2020.
Le parti féministe compte 10 000 membres, dont les trois quarts sont âgés d'une vingtaine d'années. Pour obtenir un siège à ces élections combinant scrutins proportionnel et majoritaire, il devra rassembler 3 % des voix à la proportionnelle.
Votes for women: South Korea's first feminist party seeks parliament seats https://t.co/vk2bh8xPJT pic.twitter.com/zggvaiO95q
— 24 News HD (@24NewsHD) April 10, 2020
"J'ai signé des pétitions, j'ai participé à des rassemblements contre la violence sexuelle faite aux femmes, mais je me suis aperçue que cela ne suffirait pas. Alors j'ai décidé de me présenter à l'Assemblée nationale", explique Kim Ju-hee, 25 ans, l'une des quatre candidates de cette nouvelle formation. La jeune femme affirme ne pas vouloir se marier ni avoir d'enfants, y voyant un moyen de lutter contre le patriarcat.
Pour beaucoup de femmes, il est difficile de soutenir un parti uniquement parce qu'il défend la cause des femmes.
Kwon Soo-hyun, présidente de Solidarité politique des femmes coréennes
Le défi est grand pour le parti des Femmes : ses chances d'attirer les suffrages masculins étant faibles, il devra obtenir le soutien de près de 6% de l'électorat féminin. Un objectif ambitieux face aux deux grandes formations dominantes, elles bien installées : le Parti démocratique au pouvoir et le Parti du futur uni (opposition conservatrice).
Dépouillement dans un lycée de Séoul, le 15 avril 2020.
"Pour beaucoup de femmes, il est difficile de soutenir un parti uniquement parce qu'il défend la cause des femmes", reconnaît Kwon Soo-hyun, présidente de Solidarité politique des femmes coréennes, une organisation de défense de leurs droits. C'est le cas de cette mère de famille de 33 ans : travaillant à Séoul, elle souhaite voter pour un parti qui défend d'abord l'éducation et s'oppose aux prix élevés des logements. "J'ai trop de responsabilités dans ma vie pour me focaliser uniquement sur les questions de genre", explique-t-elle. Même si la violence sexuelle sur internet lui inspire de la colère, elle se dit "sceptique" sur le fait qu'une députée d'un parti féministe "fasse une vraie différence". Plus encore pour ces législatives maintenues en pleine pandémie où le Covid-19 risque de faire passer un peu plus encore au second plan les revendications féministes.
Presque tous les hommes politiques, qu'ils soient progressistes ou conservateurs, sont traditionalistes en matière de droits des femmes.
Lee Soo-jung, professeur de criminologie à l'université de Kyonggi
Quelques chiffres éloquents : en Corée du Sud, les femmes ne représentent que 3,6% des membres des conseils d'administration des conglomérats. Elles ne sont que 17% au sein du Parlement sortant, soit à la 125e place du classement mondial de l'Union interparlementaire, pas loin derrière la Corée du Nord, qui occupe la 120e place.
"Presque tous les hommes politiques, qu'ils soient progressistes ou conservateurs, sont traditionalistes en matière de droits des femmes", reconnaît Lee Soo-jung, professeur de criminologie à l'université de Kyonggi.
Première brèche dans le patriarcat en 2012, l'élection de Park Geun-hye, première femme à accéder à la présidence, a encouragé les femmes. Les médias se sont aussi mobilisés pour leur défense révélant de sordides affaires. Hong Joon-pyo, l'ex-candidat de l'opposition à la présidentielle pour le Parti du futur uni, a dû confesser avoir fourni, à l'université, un stimulant à un ami en vue de droguer une étudiante et la contraindre à des relations sexuelles. En 2019, un gouverneur de province du Parti démocrate se revendiquant féministe a été condamné et emprisonné pour le viol d'une assistante...
Mais le vrai changement est arrivé avec la vague #Metoo. La Corée du Sud n'a pas échappé au tsunami qu'il a représenté, en libérant la parole des femmes. Et succès pour les jeunes Sud-Coréennes, il y a tout juste un an, la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, jugeait l'interdiction de l'avortement inconstitutionnel.
Etre ouvertement féministe n'est pas sans risque. Egoïstes, extrêmistes, voire irrationnelles, les Coréennes engagées dans la défense de leurs droits sont en butte à tous les quolibets. Une candidate du parti féministe, Lee Ji-won, a ainsi affirmé que certaines de ses camarades ont été menacées de mort sur Internet et que des femmes participant à la campagne ont essuyé des jets de pierres.
Linda Hasunuma, une politologue de l'université Temple, aux Etats-Unis, estime que la problématique féministe est souvent dépeinte comme "ne représentant pas l'opinion majoritaire" mais plutôt comme une "préoccupation de militants radicaux". "Il est difficile pour la condition féminine de gagner du terrain dans une société qui dévalue le statut et le travail des femmes depuis des générations", selon elle.
Mais Kim Ju-hee, l'une des quatre candidates aux législatives, veut croire en une possible victoire : "Des milliers de femmes ont rejoint notre parti dès la première semaine, s'enthousiasme-t-elle. Je crois à l'aspiration des jeunes femmes à vivre dignement".
Have you seen #SouthKorea will launch its first #Feminist Party over the weekend? Here are the #5ThingsToKnow about this big political shift. Join us on March 11th to watch #GirlRising and learn more about women's empowerment around the world. https://t.co/77e2QdH9cq pic.twitter.com/AHe3PA2NNo
— Tim Horgan (@WACNHIVLP) March 5, 2020
Un juste retour à un ordre ancien. Le tout premier parti des Femmes avait vu le jour en 1945, sous la houlette de Im Young-shin (1899-1977), parlementaire et ministre. La nouvelle formation s'appelait le Parti des femmes de Chosun (nom traditionnel de la Corée) et, signe d'un avenir prometteur, elle naissait dans une péninsule tout juste libérée de l'occupant japonais.