C’est un laïus martelé régulièrement au cours de ces derniers mois, et au cours de ces dernières semaines, alors que s’enchaînent campagne présidentielle et campagne pour les législatives : "Oui, il y aura plus de femmes candidates, plus de femmes députées ! Oui, nous voulons arriver à la parité en politique !".
Des promesses à l’épreuve des actes. Nous voici à j moins quelques jours du 11 juin 2017, date du premier tour du scrutin législatif en France. Voici les chiffres publiés sur la base des données du ministère de l'Intérieur.
7 882 candidats participeront aux élections législatives. Les partis ont investi 3344 candidates pour les élections des 11 et 18 juin, soit 42,4%" de candidates contre 40% en 2012 et 41,6% en 2007. "Le compte n'y est toujours pas", regrette le HCE (Haut Conseil pour l’Egalité).
La République en marche a investi 50,3% de candidates, le FN 49,2%, la France insoumise 47,5% et le PS 44,2%. LR (38,9%) et l'UDI (39,2%).
Pour la présidente du Haut Conseil de l'Egalité femmes-hommes, Danielle Bousquet, "la parité est un outil autant qu'une fin visant le partage à égalité du pouvoir de représentation et de décision entre les femmes et les hommes". "Avec ces nouvelles élections, nous avons encore la preuve que le partage du pouvoir n'est pas naturel", dit-elle, estimant qu'il "revient aux pouvoirs publics de renforcer les contraintes paritaires et aux partis politiques de faire preuve de volontarisme et d'exemplarité".
Car la France ne brille pas en terme de parité politique, se classant au "pas très glorieux" 64e rang mondial sur 191 pays. En 2012, 26,9% de députées (155 sur 577) ont été élues, alors un record. Il avait fallu attendre 1997 pour dépasser 10%, après les 33 pionnières de 1945 (5,6%).
"Pourtant, deux évolutions législatives avaient renforcé les contraintes", commente encore le HCE, "le doublement des pénalités financières pour les partis n'ayant pas 50% de candidates et la loi sur le non cumul des mandats, alors qu'une étude de 2013 avait montré que 80% des parlementaires en situation de cumul étaient des hommes". Le Conseil déplore d'autant plus la situation que la proportion "ne concerne que les candidates, et non les élues, et ne rend donc pas compte du nombre de femmes investies dans des circonscriptions réputées non-gagnables".
Payer la note plutôt que d’avoir des candidates
Depuis le 4 août 2014, la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes précise que lorsque l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe dépasse 2 % du nombre total de ces candidats, le montant de la première fraction de l'aide publique est diminué d'un pourcentage égal à 150% de cet écart rapporté au nombre total de ses candidats.
Pour ceux qui auraient oublié leur calculette, un mémento publié par le ministère de l'Intérieur à l'intention des candidats,
relayé ici dans un article des Echos, nous explique le procédé : "Si un parti politique investit 200 candidats, dont 130 hommes et 70 femmes, il verra son aide publique amputée de 45%". l'écart entre le nombre d'hommes et de femmes. Ici, il est de 60 (130 - 70), donc supérieur à 2% du nombre de candidats. Ce qui donne l'équation suivante : [60 x (150%)] / 200 =45% de cette fraction de l'aide publique."
Cette loi sur la parité est seulement incitative. Certains partis préfèrent payer plutôt que de la respecter. Et parfois la note est lourde : 22,9 millions d'euros depuis 2012, tous partis confondus. Durant ces 5 années, c'est le parti Les Républicains qui bat le record de l'amende la plus forte, il s'est vu amputé de 18 millions d'euros, 6,4 millions d'euros pour le Parti socialiste. Seuls Europe-Ecologie-Les-Verts, et le Parti communiste ont été exemptés, chacun ayant présenté plus de 49% de candidates. Pour rendre cette pratique plus rare, les sanctions financières ont été doublées depuis 2014, ce qui n’empêchent pas les partis épinglés de récidiver.
Cuisine interne
"La République En Marche !" le parti d’Emmanuel Macron se présente donc comme la seule formation respectant sur le papier ses engagements paritaires, ce qui n’est pas le cas au niveau du gouvernement Philippe, notons-le.
Relire notre article La parité tempérée, selon Emmanuel Macron et Edouard Philippe. « On peut quand même émettre la petite réserve qu’il est d’autant plus facile pour eux de présenter autant de femmes que d’hommes qu’ils n’ont peu ou pas de sortants », explique Réjane Sénac, chercheuse au CNRS, à l'AFP.
Des sortants qui ne veulent pas ... sortir. C'est bien souvent le problème comme l'explique Laura Slimani, ex-présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) : « Il y a des candidats sortants qui se représentent depuis trop longtemps ». Ex-présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), celle qui fut en charge de l'égalité femmes-hommes durant la campagne présidentielle de Benoit Hamon note toutefois "une petite amélioration" depuis 2012 (le parti présentait alors 42,5% de femmes) mais "on ne devrait pas pouvoir avoir moins de 50% de femmes, c'est la loi".
Pour la France Insoumise, le problème ne vient pas de candidats immuables, mais de défections de dernière minute, et notamment de femmes. Martine Billard, la coordinatrice du comité électoral, plaide le mauvais concours de circonstances : « au moment des dépôts de candidatures, on a perdu des candidates ». Mais pour la présidente des effronté-e-s et ex-militante du Front de gauche, Fatima Benomar, les formations « dites progressistes , n’échappent pas à la misogynie (..) à la France insoumise, les figures féminines se comptent sur les doigts de la main ».
Olga Trostiansky, présidente du Laboratoire égalité, confie à l'AFP qu'elle a « l'intuition qu'on ne devrait pas dépasser les 30%" d'élues, car il faut préciser que ce sont des hommes qui sont généralement "aux manettes » des investitures au sein des partis. Selon Claire Serre-Combe, porte-parole d'Osez le féminisme, les partis réalisent qu'en 2017, ne pas respecter la parité, « c'est être ringard », mais il faut compter avec les petits arrangements avec la loi, « les partis traditionnels ayant tendance à placer les femmes dans des circonscriptions ingagnables ».
Et c'est bien la question soulevée par
franceinfo, dans un article intitulé "Alors les femmes sont-elles envoyées au casse-pipe aux législatives ?". Cette enquête relève que Les Républicains et le Front national ont majoritairement investi des candidates dans les circonscriptions dans lesquelles François Fillon et Marine Le Pen ont enregistré leurs moins bons scores au premier tour de l'élection présidentielle. A l'inverse, les candidats sont largement majoritaires dans les circonscriptions les plus favorables.
Sur les 100 circonscriptions où il a enregistré ses meilleurs scores, le Front National n’a investi que 31 % de femmes. Du côté des circonscriptions où il a enregistré ses moins bons scores, le parti a investi 62 % de femmes.
Quand Nicolas Bay, le porte-parole du Front National déclare haut et fort que le Front National est le parti qui respecte "le mieux la parité", c’est exact sur le papier, mais sur les chances des candidates Frontistes d’êtres élues, rendez-vous au soir du scrutin.
Parité quantitative ou égalitaire ?
Dans une
Tribune parue dans Libération, l’essayiste Martine Storti nous livre son analyse : « Obligés par la Constitution de capituler sur le quantitatif, la plupart des hommes résistent encore sur le qualitatif, ultime mais farouche résistance face à laquelle la parité n’est peut-être pas – plus – ni le mot juste ni l’outil adéquat. »
C’est en effet une parité pervertie qui nous est proposée, réduite à une conception quantitative. La parité constitutionnalisée a produit du chiffre, mais elle n’a pas, en tout cas pas assez, produit de l’égalité de pouvoir. Martine Storti
Pour ces élues qui auront réussi à franchir ce parcours de combattante, une autre bataille les attend, et pas des moindres : il s'agira pour elles de faire entendre leur voix, et leurs voix, parfois au milieu de caquetages de poules ou de sifflets sexistes en raison d'une robe un peu trop courte ou trop fleurie.
Marlène Coulomb-Gully, professeure et auteure de "Femmes en politique : en finir avec les seconds rôles" nous livre son analyse à la veille de ce scrutin en France.Terriennes: Comment réagissez-vous à ce taux de 42 % de candidates aux législatives ?C’est très décevant bien-sur car on nous annonçait une sorte de big bang qui allait nous permettre éventuellement d’atteindre la parité entre les femmes et les hommes à l’Assemblée nationale. Cette avancée de 2 points relativise nettement nos espoirs.
Comment expliquer cette situation ?Evidemment ça ne suffit pas. Il faut prendre le problème dans sa globalité. Premièrement, en matière de politique, quand il n’y a aucune mesure légale, il n’y a pas de parité ! C’est le cas aujourd’hui, dans les intercommunalités, qui ne sont régies par aucune règle en matière de parité. Dans ce secteur la massivité de la présence des hommes est considérable. Deuxièmement, quand il y a des incitations il y a eu des progrès par rapport à la période où il n’y avait absolument rien, mais ces progrès sont extrêmement faibles, ors c’est précisément ce qui se passe pour au niveau des élections législatives. Les amendes ne sont qu’une incitation à la parité, et on voit bien qu’on a beau augmenter le plafond des amendes ça ne suffit pas. Troisièmement, ce qui a été mis en place au niveau des conseils départementaux et régionaux, où l’on exige une parité sur les listes qui associent des binômes homme/femme, et c’est le seul moyen grâce auquel on peut atteindre une parité réelle. Conclusion il faut harmoniser par le haut les dispositifs paritaires sans quoi on n’y arrivera pas.
Comment réaliser cette harmonisation ?Le problème n’est pas du tout le dispositif technique qui est tout à fait envisageable, mais celui de la résistance d’un certain nombre de partis ou d’individus à ce type de proposition.
Quand on parle de parité quantitative mais pas qualitative , vous en pensez quoi ?Je me retiens de hurler de rire par rapport à ce genre de propos! Ca veut dire quoi ? Que les femmes seraient qualitativement moins satisfaisantes que les candidatures d’hommes ? C’est une plaisanterie !
Certains partis sont accusés d’avoir placé des candidates dans des circonscriptions où elles n’ont aucune chance de gagner… des femmes au casse-pipe ?Cela a toujours fonctionné ainsi . Depuis le début des exigences de parité, les partis ont fait semblant d’integrer des femmes en le plaçant dans des secteurs ingagnables pour leur reprocher ensuite de ne pas avoir su gagner ces circonscriptions.
Ces candidates devraient-elles alors refuser d’y aller ?Je crois qu’il ne faut jamais y aller, et il faut noter que l’on a eu parfois un certain nombre de surprises. Il y a eu par le passé, des cas où des femmes ont été envoyées sur des circonscriptions réputées ingagnables, et qu’elles l’ont finalement emporté ! Cela demande aussi de régler le problème des sortants qui refusent de ne pas se représenter et qui se disent sacrifiés au nom de la parité à travers ce type de mécanisme de régulation. Il y a surtout un travail d’explication pédagogique à faire pour dire tout simplement qu’on n’obtiendra pas de représentation satisfaisante sans en passer par là.
Les difficultés ne s’arrêtent pas là pour celles qui seront élues, il faudra aussi affronter certaines attitudes sexistes au sein de l’Assemblée. Qu’est-ce-qui peut faire la différence ?L’union fait la force et je pense qu’il faut atteindre une masse critique, c’est ce que semblent démontrer des travaux qui ont été menés sur cette question. On estime qu’à partir de 30% de femmes, il y a un effet masse critique qui facilite d’une part l’intégration des femmes, et d’autre part tendrait à résorber ce genre de réaction machiste ou sexiste encore trop nombreuses à l’Assemblée nationale. Je crois aussi qu’il ne faut pas hésiter à jouer de la solidarité féminine qui se fait assez peu dans notre assemblée, contrairement à ce qui se passe ailleurs, dans d’autres chambres basses, je pense notamment à l’Allemagne où il y a des courants féminins, féministes trans-partis.
Un parti des femmes, il y a déjà eu des tentatives, cela pourrait faire avancer les choses ?Pourquoi pas mais comme un moyen et non comme une fin, je crois profondément à la mixité.