Législatives en Israël: des femmes juives ultra-orthodoxes candidates

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Une femme juive ultra-orthodoxe, dans un bureau de vote, aux précédentes élections législatives en janvier 2013 en Israël. AP Photo/Oded Balilty
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Les élections législatives israéliennes du 17 mars 2015 réservent des surprises. La première d'entre elles fut, voilà un mois, la création d’un nouveau parti : Be’Zhutan. Imaginé par huit juives ultra-orthodoxes pour protester contre l’absence des femmes dans les listes de leur communauté religieuse, il est le premier parti à défendre les droits de ces « laissées pour compte ».   

Ce n'est pas vraiment pour siéger qu'elles se sont engagées. Elles savent qu'elles recueilleront peu de suffrages. En témoignent les railleries, et même les menaces, dont elles sont victimes lorsqu'elles font campagne.

« Pas de femmes candidates, pas de votes des femmes ». Tout a commencé par ce slogan en décembre 2014, entonné par des juives ultra-orthodoxes, pour revendiquer leur représentation à la Knesset, le Parlement israélien. 
Elles menaçaient alors de boycotter les élections de mars en cas de refus des partis religieux de les intégrer dans leur liste exclusivement masculine. 

Dans une pétition, et sur une page Facebook aimée par plus de 3000 personnes, elles exigeaient leur place politique, aux partis qui les représentent, Shas et Judaïsme de la Torah unifiée. Elles demandaient aussi le non financement des partis rejetant les femmes.  Leurs revendications restées lettre morte, un mois avant les législatives, naissait le parti Be’Zhutan ("par leur mérite" en hébreu).

« Cela a été comme un coup à l’estomac. Parce que nous (les femmes ultra-orthodoxes) n’avons aucune représentation, personne n’entend notre voix. Nous sommes laissées pour compte », a déclaré lors d’une conférence de presse Ruth Colian, 33 ans et mère de quatre enfants, à l’origine de cette initiative.  

Les Israéliennes sont candidates depuis longtemps dans les autres partis et les pratiquantes juives moins orthodoxes ont gagné leur bataille en 2013 pour pouvoir prier avec les hommes devant le mur des Lamentations à Jérusalem. Elles occupent depuis la création de l'Etat des fonctions politiques au plus haut niveau, de la cheffe de gouvernement travailliste Golda Meir à la centriste Tzpi Livni (à nouveau dans la course et qui fut ministre des Affaires étrangères).

Mais pour les juives ultra-orthodoxes, qui représentent environ 10% de la population israélienne, leur représentation à la Knesset reste faible (une seule femme ultra-orthodoxe a siégé au parlement, de 2008 à 2009, elle était membre du parti laïc de gauche Meretz). Elles sont souvent victimes de discriminations salariales, de violences domestiques et d’oppression de la part des rabbins, selon les candidates. Leur condition a été décrite dans l'éprouvant Kadosh, film du cinéaste Amos Gitaï.

Capture d'écran Ruth Colian
Ruth Colian. Capture d'écran vidéo youtube.

Une représentation à la Knesset pour pouvoir s’émanciper

La tradition veut aussi, que se soit elles qui s’occupent des enfants (elles en ont généralement beaucoup), travaillent et s’occupent des tâches ménagères, tandis que les époux se consacrent entièrement à l’étude des textes religieux. Actives dans la vie publique en tant qu’avocates, journalistes, médecins, leur interdire des postes politiques n’a donc pour elles aucun sens.

Elles aimeraient d’ailleurs en se présentant, pouvoir apporter des solutions à leurs problèmes et revendications comme le refus de divorce ou encore le cancer du sein. Le pourcentage de mortalité pour cette maladie est deux fois plus élevé chez les femmes ultra-orthodoxes que dans le reste de la population  car les examens préventifs sont considérés comme « indécents ». Une situation d'autant plus aiguë que les harédim sont principalement issus des communautés juives d'Europe centrale, et les chercheurs ont mis au jour une propension génétique au cancer du sein parmi les femmes de lignée  ashkénaze, études mises en lumière à l'occasion du spectaculaire geste d'Angelina Jolie qui avait choisi de subir une double mastectomie, en raison de ses origines et des risques qu'elles impliquaient.

Lors d’une réunion de la commission de la santé du Parlement sur ce sujet il y a quelques mois, aucun des 18 députés ultra-orthodoxes (tous des hommes) n’était présent, déplore Ruth Colian. 

« La représentation des femmes ultra-orthodoxes à la Knesset, permettrait aux femmes de ne plus être que des mères, des femmes au foyer mais de prendre leur destin en main, d’acquérir leur émancipation », souligne la jeune femme dans une vidéo de Israël Social TV

Et il n’est pas question pour elles, d’avancer des arguments religieux pour les faire reculer, tel que l’évocation de la « halakha », un texte qui indique les prescriptions, coutumes et traditions de la loi juive. « La réponse classique que nous avons est que les femmes haredis ne veulent pas être candidates et que si elles le souhaitent alors cela veut dire qu’elles ne sont pas assez religieuses à leurs yeux. C’est une réponse que nous rejetons », déclarait à la télé israélienne Esti Shohan, fondatrice de la page Facebook « No female candidates, no female voters ». 

Esti Shohan juive orthodoxe
Esti Shohan, membre du parti Be Zhutan. Capture d'écran vidéo Youtube.

Menacées par certains rabbins

La plupart des rabbins de leur communauté avaient en effet plutôt mal accueilli leur campagne du mois de décembre. Le rabbin Mordechai Blau, l'un des dirigeants du parti de la Torah unifiée avait menacé les femmes d’excommunication si l’une d’elle osait se rebeller contre la politique harédi et contre les autorités religieuses qui les guident. « Toutes les femmes qui vont vers un parti politique qui n’est pas sous la direction des sages de la Torah verront leurs enfants bannis des écoles harédies », peut-on lire dans un article sur le site du grand quotidien Haaretz. 

Dans la presse israélienne, l’annonce du boycott des élections, les critiques des femmes et la création du parti, ont fait également couler beaucoup d’encre. « C’est inhabituel que ces revendications remontent à la surface et encore moins de façon publique et en période électorale. Il y avait ces types de revendications dans le passé mais cela n’était jamais devenu un débat public. Les problèmes se règlent « en famille » d’habitude chez les ultra-orthodoxes », commente Joav Toker, correspondant à Paris de la revue israélienne Koteret. 

La liste Be’Zhutan comprend aujourd’hui neuf candidats dont un homme. Des femmes jeunes, épouses d'hommes qui font de la politique et qui ont souvent été actives dans leur communauté bien avant cette campagne. 
Ruth Colian, estime que son parti pourrait remporter entre cinq et six sièges, sur les 120 que comptent la Knesset. Mais le parti dispose de peu de moyens financiers avec 7500 shekels (soit 1700 euros) de dons privés pour la campagne. Et même si des femmes entendent parler de ce nouveau parti, Ruth Colian reconnaît que cela ne sera pas forcément suffisant pour qu’elles votent en sa faveur : « Les femmes harédies votent en fonction de ce que leurs maris leur disent de faire et eux-mêmes suivent les décisions des rabbins. » 

Une probable défaite avancée également par Joav Toker, qui ne voit pas ce parti bouleverser la carte électorale : « A l’intérieur des partis ils ont fait le nécessaire pour calmer les choses il me semble, car ils étaient très embarrassés. Ce parti est marginal, mais intéressant au niveau des revendications qui ont été faites et sur les rapports hommes femmes. »

A voir, quelques images de Kadosh, Amos Gitaï, 1999