En Asie, c’est un phénomène connu depuis des décennies. La préférence sociale pour les garçons conduit les familles à faire plus souvent le choix de l’avortement dès que le fœtus s’avère, par échographie, de sexe féminin. En Inde et en Chine, les poids lourds de la population mondiale, la pratique a pris une telle ampleur qu’il manque respectivement dans ces deux pays 15 millions et 35 millions de femmes. Aujourd’hui, ce phénomène ne se cantonne plus à un seul continent. Il tend à se développer dans d’autres parties du monde. D’abord à travers la diaspora asiatique en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Mais aussi, de manière plus surprenante, au sein de populations européennes en Caucase du Sud et aux Balkans.
117 garçons pour 100 filles Sous l’égide du
Centre population et développement (CEPED) basé à Paris, des démographes ont révélé des chiffres saisissants. Alors que le ratio naturel est de 105 garçons pour 100 filles, il s’élève en Azerbaïdjan à 117 garçons pour 100 filles, en Arménie il est de 116 garçons et de 112 en Géorgie. Dans plusieurs pays des Balkans, la tendance est similaire. En Albanie, le ratio à la naissance est de 115 garçons pour 100 filles, au Kosovo de 112, au Monténégro de 109,7 et en Macédoine de 106,4. Pour tous ces pays, musulmans ou chrétiens, les démographes apportent les mêmes explications : les garçons sont préférés aux filles parce qu’ils perpétuent le nom de famille et sont pour les parents la promesse d’un soutien plus solide. « Il ne faut pas voir ces pays - et notamment l’Albanie - comme plus arriérés et patriarcaux que leurs voisins, relativise Albert Doja, anthropologue albanais installé en France. Dans cette zone culturelle, la préférence mâle a toujours existé. Mais aujourd’hui ce qui fait la différence, c’est l’arrivée de moyens techniques qui permettent la mise en œuvre de cette préférence. Si le Caucase du Nord, qui appartient à la Fédération de Russie, était aussi développé que le Caucase du Sud, on y verrait, je pense, le même phénomène. » En Albanie, une échographie ne coûte pas plus de 15 euros et « est à la portée de tous », estime la journaliste Briseida Mema, correspondante de l’AFP à Tirana. Quant à l’avortement, dans cet ancien pays socialiste (modèle chinois) ouvert à un libéralisme sauvage, il est facilement pratiqué en clinique privée pour 150 euros. Il est autorisé jusqu’à la 12e semaine de grossesse et plus tardivement encore s’il est reconnu comme thérapeutique. Une souplesse législative qui dans les faits permet de contourner, très facilement, la loi de 2002 interdisant officiellement la sélection prénatale en fonction du sexe.