« L’empreinte des femmes », une exposition sur la place des Québécoises dans la région de Charlevoix entre 1860 et 1960

Au Nord de Québec, entre deux rives, à La Malbaie, le Musée de Charlevoix replace les femmes au cœur de l’histoire de « la belle Province ». Un autre récit social, culturel et politique, à travers témoignages, archives, tableaux et photos. 
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Femmes de Charlevoix tabliers
Un mur de tabliers est proposé aux visiteur.se.s, parce que toutes les femmes en portaient un chaque jour afin d'assumer le lot de tâches domestiques quotidiennes... 
(c) Catherine François
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La région de Charlevoix s’étire paresseusement au bord du fleuve St-Laurent du nord de Québec, la capitale, jusqu’à Tadoussac, à l’embouchure de la rivière Saguenay. Une des plus belles régions du Québec bordée par ce fleuve majestueux et des forêts montagneuses en arrière-décor. C’est là que se cache le Musée de Charlevoix, situé à La Malbaie, qui a eu envie, cet été, de présenter une exposition pour retracer le rôle des femmes dans la société de la région au siècle dernier, entre 1860 et 1960,  juste avant la Révolution tranquille qui va chambouler l’ensemble de la société québécoise.

Un rôle traditionnel, pilier de la société

« On a voulu rendre hommage à ces femmes-là, explique Annie Breton, directrice du Musée, et on voulait aussi expliquer aux jeunes générations quel rôle elles ont joué pour en arriver à la situation actuelle »
 
Femmes de Charlevoix Annie Breton
Annie Breton est la directrice du Musée de Charlevoix, à l'initiative de cette exposition rare qui raconte l'histoire selon et par les femmes
(c) Catherine François

L’exposition présente donc des centaines de photos d’archives de ces Charlevoisiennes – récoltées auprès des habitants de la région après un appel à tous -, de nombreuses citations ainsi que les témoignages de douze de ces femmes, maintenant âgées de plus de 80 ans, dont certaines ont été carrément des pionnières dans leur domaine.

La femme à l’époque pouvait être qualifiée de « superwoman » : elle veillait au bien-être des enfants, qu’elles avaient en grand nombre puisque l’Église catholique, alors omniprésente et toute puissante, interdisait toute contraception…. Elle s’occupait de toutes les tâches domestiques possibles et imaginables, le ménage du foyer, faire à manger, le lavage, coudre et repriser des vêtements, tricoter, cultiver le jardin… Et elle travaillait aussi dans les champs – la région de Charlevoix est une terre agricole depuis les débuts de la colonie. Bref, des journées bien occupées vous vous en doutez, que l’on peut s’imaginer en parcourant cette exposition et en lisant les témoignages de ces femmes.

Témoignage :

Mon dieu, quelle maladie que j’ai là ?

"J’avais 12 ans. Je suis dans le champ en haut puis je saigne, rouge. Je ne sais pas ce que j’ai. « Mon dieu, quelle maladie que j’ai là? » Je m’éponge comme je peux, je mets mes bobettes sous mon matelas puis je m’éponge avec des laizes pis du vieux linge puis là, j’me dis « ça va-tu passer? » Au bout de quelques jours ça a fini par passer. Deuxième mois, c’est pareil, troisième mois encore pareil. Maman venait dans ma chambre puis elle a trouvé ça sous le matelas. Elle n’était pas pour me disputer. Elle a demandé à ma sœur de m’expliquer ce que j’avais là, qu’elle m'y enverrait après l’école.
J’arrive chez mon beau-frère et ma sœur, fraîchement mariés. Ma sœur me demande si j’ai mes règles, je lui dis « Mais oui, sont dans mon sac! » Ma sœur et mon beau-frère partent à rire. Ma sœur finit par m’expliquer que ce sont mes menstruations. Ça, c’était ma mère. Elle était bonne mais ça, elle voulait pas en parler. Pourquoi, c’était-tu la mode du temps? Puis elle m’avait donné des petites bandes en flanelle piquées. Pas de Kotex là! J’avais une petite ceinture puis je plaçais ça de même."

Des femmes fortes et pionnières

Et on comprend alors la force de caractère qui caractérisait toutes ces femmes, que ce soit celles qui se pliaient aux codes nombreux et astreignants de la société de l’époque sans rechigner ou celles qui au contraire les contestaient en faisant notamment des études pour pouvoir travailler. Les métiers se limitaient alors à secrétaire, enseignante, infirmière.
Femmes de Charlevoix portraits1

Portraits de femmes de Charlevoix - récoltés auprès de la population locale après un appel à tous, ils sont les témoignages émouvants des vies passées de ces femmes admirables

(c) Catherine François

Certaines ont toutefois été des pionnières, comme Marie-Louise Félicité Angers, née à la Malbaie en 1845, qui a été la première romancière canadienne-française, ou la syndicaliste Laure Gaudreault, née elle aussi à La Malbaie en 1889, qui a fait beaucoup pour la reconnaissance du travail des enseignantes, notamment au niveau salarial. « Jusque dans les années 30-40, dans les contrats, un homme enseignant gagnait trois fois plus qu’une femme pour exactement le même travail, le même emploi, tout simplement parce qu’il était un homme, précise Annie Breton. Laure Gaudreault a travaillé pour mettre fin à cette injustice et elle a créé le premier syndicat des enseignants du Québec ».

Elles faisaient beaucoup avec peu, ça a d’ailleurs failli être le titre de l’exposition ça, faire beaucoup avec peu !
Annie Breton

« Force de caractère, ça c’est sûr ! s’exclame Annie Breton. La vie était dure à l’époque pour toutes ces femmes, les familles en général n’avaient pas beaucoup d’argent, le travail de la terre était difficile et si l’homme n’aimait pas ça, c’était la responsabilité de la femme de l’aider à aimer ça, donc une charge de responsabilité morale supplémentaire en plus de toutes les autres. Elles faisaient beaucoup avec peu, ça a d’ailleurs failli être le titre de l’exposition ça, faire beaucoup avec peu ! Et l’autre titre qu’on a failli donner, c’est « fortes et fières » Parce que ces femmes-là étaient fortes et fières ».

L’exposition présente aussi de nombreux tableaux de femmes artistes peintres de la région ou représentant des femmes de Charlevoix, une région où vit d’ailleurs une importante communauté artistique.

Femmes de Charlevoix tableau noir
Le tableau sur lequel le visiteur, la visiteuse, est invité.e à écrire le prénom ou le nom d'une femme qui l'inspire. Beaucoup écrivent le nom de leurs mamans, ce que j'ai fait moi aussi...
(c) Catherine François

Les mères plébiscitées

« Les visiteurs nous disent que cette exposition est une expérience émouvante pour eux, déclare Annie Breton. On a aussi voulu les impliquer lors de leur visite avec deux éléments interactifs : on a mis en place un tableau dans lequel on demande au visiteur d’inscrire le nom d’une femme qui l’inspire, on prend une photo dès que le tableau est rempli et on l’efface pour recommencer le processus. On l’a pris souvent en photo ce tableau-là… On retrouve beaucoup le nom des mamans, il y en a aussi qui écrivent le nom de leurs filles, ce qui est  très émouvant également. Et on a aussi le livre des ambitions où on demande au visiteur d’écrire ce qu’il voulait être quand il était enfant et ce qu’il est devenu adulte, ce qu’il a fait finalement comme carrière. Ce qui est intéressant c’est de constater l’évolution dans les ambitions des femmes : dans les années 50-60, elles voulaient être secrétaire, enseignante, infirmière, hôtesse de l’air pour les plus aventurières, alors que celles qui sont nées dans les années 80 voulaient être pilote de ligne, mécanicienne, médecin, etc… donc le potentiel de carrières pour la femme a complètement explosé ces dernières décennies ».

Annie Breton précise également que le message à retenir avec cette exposition, c’est le respect à avoir envers ces femmes, mais aussi l’importance d’écouter nos aînés, de leur poser des questions sur leur vie, ce que l’on ne fait pas assez souvent d’ailleurs.

Témoignage

Je me demandais d’où ça venait, cet enfant-là qu’on allait avoir

"J’connaissais rien. Dans ce temps-là, les gens étaient secrets. Ça ne nous expliquait rien. Quand je me suis mariée, je n’étais pas au courant. Je me demandais d’où ça venait, cet enfant-là qu’on allait avoir. C’est ma voisine qui me l’avait expliqué. Mais maman ne me disait rien."

Parce que le passé, c’est bien connu, est garant de l’avenir. Parce que ces femmes ont tracé à cette époque des sillons dans lesquels les générations suivantes ont pu semer les graines de la Liberté, l’Indépendance, l’Autonomie, ce qui a donné lieu au jardin dans lequel nous, femmes d’aujourd’hui, déambulons maintenant. Bien sûr, comme tout jardin, il y a des mauvaises herbes à arracher régulièrement, et de nouvelles graines à semer, mais nous pouvons effectivement saluer la mémoire de ces femmes fortes et fières, de Charlevoix ou d’ailleurs, sans qui nous ne serions pas ce que nous sommes…

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Cette exposition a failli s'appeler "fortes et fières" ou "faire beaucoup avec peu"

(c) Catherine François