En Argentine, être mère et prisonnière n’est pas incompatible. Depuis une dizaine d’années, les femmes peuvent purger leurs peines en compagnie de leurs enfants de moins de quatre ans. Près de Buenos Aires, dans un centre pénitentiaire, l’unité 33 accueille des familles monoparentales dans un régime de semi-liberté. Un système qui favorise la relation maternelle, mais qui n'est pas sans risque pour les enfants. Reportage exclusif derrière les barreaux d’une prison où résonnent les rires et les pleurs des mères et de leurs enfants prisonniers mais non coupables.
Diana a quatre ans. Avec son chouchou vert assorti à un joli pull-over tricolore, ses longs cheveux noirs relevés sur ses traits indiens du nord de l’Argentine, cette enfant téméraire et capricieuse ressemble à tous les enfants du monde. Pourtant, elle est née et vit en prison. Sa mère, condamnée avec son mari à six ans de prison ferme pour le rapt d’un mineur, vient tout juste d’accepter de la confier à sa sœur en attendant la fin de sa détention. "Quand Diana a traité une de mes compagnes de cellule "d’infanto" (tueuse d’enfants) parce que cette dernière refusait de lui donner un bonbon, j’ai compris qu’elle devait sortir d’ici au plus vite possible" avoue Paula. À 35 ans, cette métisse afro indienne, connue dans l’unité 33, pour ses violences cyclothymiques, ne permet pas la contradiction. Son caractère et sa large silhouette imposent le respect du groupe.
Dans l’unité de Los Hornos, créée en 1999, les conditions carcérales, bien qu’aménagées pour permettre aux enfants une plus grande liberté, demeurent celles d’une prison classique. La plupart des enfants ne connaissent rien du monde extérieur. Rares sont ceux qui ont la chance de se rendre les week-ends dans la maison d’un membre de leur famille. Ils développent ainsi de sérieux problèmes de retard mental, souffrent d’une perception de la vie extérieure très limitée et développent un langage inadapté et incompréhensible à l’extérieur. Appelé "Tumbero" (la tombe), ce dialecte carcéral invente des mots qui n’ont de sens qu’entre quatre murs. Ainsi, la nourriture se dit "rancho" (gamelle), les sacs de vêtements s’appellent "mono" (singe). Un haut fonctionnaire du ministère de la Justice raconte qu’un enfant de cinq ans, sortant pour la première fois de prison, ne savait pas faire la différence entre un cheval et un chien.
Pour Paula, la décision de sortir sa fille de prison s’est faite dans la douleur. Il lui a fallu quatre longues années : "le plus compliqué, a été pour mon bébé. Elle avait l’habitude de dormir avec moi dans le même lit. Nous n’avions jamais été séparées plus d’un week-end". Sa sœur le confirme : "après la rupture, Diana s’est réfugiée dans le silence et la tristesse. Aujourd’hui, elle évoque souvent avec ses cousins sa vie en prison, ses anciens amis, le jardin maternel. Je tente de lui donner toute l’affection possible mais elle refuse toujours de me parler en implorant sa mère fréquemment".
Un désir d'enfant pour tromper l'angoisse
Dans la cellule de Paula vivent Laura et son fils Augusto. Ce petit bonhomme au teint clair vous fixe en silence sans ciller. Il endure les stigmates de ses années de réclusion. Handicap mental ? En l’absence de diagnostique psychiatrique, nul ne le sait. À quatre ans, il porte des couches et ne parle pas. "Il n’y a pas un médecin qui m’explique ce qu’on pourrait faire pour l’aider" proteste sa mère, incarcérée depuis cinq ans pour avoir prostitué sa fille de 15 ans. Elle n’a pas encore été jugée. Son seul espoir réside dans la libération de sa co-détenue, Paula, seule personne à qui elle accepterait de confier son enfant. Dans cet univers pénible, ces preuves de solidarité et d’aides mutuelles entre les mères recluses permettent heureusement de résoudre quelques situations ponctuelles.
A Los Hornos, 45 mères vivent avec 51 enfants et la moitié d’entre elles attendent un autre bébé. Si la loi argentine les autorise à emmener jusqu’à trois de leurs enfants en cas d’incarcération, elle leur permet aussi d’avoir des relations sexuelles à l’intérieur de la prison. Le sentiment de solitude, le désir de compagnie lié à l’enfermement et la recherche d’un sens dans leur vie carcérale, poussent beaucoup d’entre elles à désirer un enfant. Ainsi Monica, une jolie brune de 20 ans, incarcérée depuis un an dans l’attente d’un procès pour vol à main armée, confesse avec sincérité : "mon fils m’a fait oublier la tôle, c’est mon compagnon. Il est tout pour moi". Le petit Pablo est encore un poupon bien joufflu. Il est né entre quatre murs il y a deux mois et demi. Monica compte sur sa famille pour l’emmener chez un psychologue le week-end.
Ce n’est pas le cas de Nidia. Accusée de trafic de drogue, elle ne voulait pas emmener sa fille en détention en attendant son procès : "la prison n’est pas un endroit approprié pour élever un enfant mais Carolina n’avait pas la possibilité de rester avec ma famille, qui la maltraitait. Mon mari est emprisonné pour homicide. Je n’avais donc pas d’autre choix". Dans sa cellule comme dans le reste de l’établissement, le taux d’humidité fait pousser des champignons sur les murs. Nidia a beau nettoyer tous les jours, ils reviennent systématiquement. Carolina est une petite blonde aux yeux bleus, coquette, turbulente et joyeuse. Si ce n’était les séances quotidiennes de respiration dans un inhalateur pour lui dégager les bronches, elle ne semblerait pas marquée par ses quelques mois d’emprisonnement.
“Il faudrait plus de sorties : à 4 ans, certains enfants ne savent pas distinguer un cheval d'un chien“
propos recueillis par Sylvie Braibant
"Je me suis demandé comment ces enfants pouvaient vivre en prison". Jean Jérôme Destouches raconte, via skype, les coulisses, les écueils de son enquête et les questions qui restent en suspens...
"Ici, nous manquons de tout"
Malgré les efforts des mères pour peindre les murs de leurs cellules et des parties communes, le centre, composé de plusieurs pavillons fermés, est en très mauvais état. Les femmes vivent à deux par cellule avec leurs enfants et partagent une cuisine, une salle à manger et une cour extérieure dans lesquelles les enfants jouent sur un toboggan, au tourniquet ou dans un bac à sable. L’école n’est pas obligatoire. La "cumbia", musique latino créée en Argentine dans les bidonvilles, les cris et les bousculades des enfants rythment la vie de l’unité 33. Les moyens font cruellement défaut dans ce centre qui est pourtant le mieux adapté à la vie familiale carcérale.
En septembre 2006, les mères ont réussi à obtenir quelques améliorations après une grève générale. Depuis, des pédiatres et des gynécologues sont apparus. Une salle médicale a été créée mais elle n’est toujours pas chauffée en hiver. "Ici, nous manquons de tout, déplore une des trois pédiatres de l’unité. Nous n’avons pas assez d’analgésiques, d’antibiotiques ni même de traitements contre les problèmes digestifs. Nous n’avons pas d’ambulance et certains médecins refusent de venir, de peur d’être agressés par les détenues".
Tendresse des mères, dureté de la prison, équation insolubleAu delà des conditions de détentions, emprisonner des enfants aux côtés de leurs mères est un sujet qui oppose de nombreux professionnels et soulèvent de multiples questions. Comment accepter d’incarcérer une personne innocente ? Comment juger de la capacité psychologique de certaines mères à élever leur enfant ? La plupart d’entre elles ont en effet été condamnées pour trafic de stupéfiants et certaines continuent à présenter des problèmes de dépendances notamment à la marijuana et au
"pajarito" (alcool de riz artisanal aux fruits). Une équation insoluble. D’un côté, les enfants incarcérés développent des retards mentaux et des problèmes psychologiques, de l’autre, ils sont confrontés à l’extérieur à un manque élémentaire d’affection et d’attention maternelle. Afin de limiter les conséquences psychologiques, Florencia Der Torossian, une psychologue argentine suggère que la séparation entre la mère et l’enfant se fasse dans la tranche des 18 à 24 mois :
"Avant, le calendrier biologique de l’évolution de l’enfant est plus important pour leur comportement psychologique que les déterminants ambiants. Au delà, ils commencent à s’adapter à la vie carcérale en l’intégrant".
C’est la solution adoptée notamment par la
France qui permet aux mères de garder leurs enfants jusqu’à 18 mois. En Argentine, certaines associations proposent d’alterner la vie en prison et la vie à l’extérieur par le biais de famille d’accueil, une semaine sur deux. D’autres militent pour mettre en place une procédure de résidence surveillée au domicile des mères comme c’est le cas pour les prisonniers de plus de 70 ans et les malades en phase terminale. Un projet de loi en ce sens, quelque peu oublié depuis l’élection de Cristina Fernandez de Kirchner, est à nouveau sur le bureau des députés. Au cinéma, le succès de
"La Leonera", le film de Pablo Trapero, nominé au festival de Cannes 2008, raconte l’expérience de la maternité d’une jeune femme paumée et incarcérée. Ce film engagé a jeté une lumière crue sur maternité et incarcération et a relancé le débat an Argentine.