On pourrait presque parler de révolution en Allemagne ! Certes, les citoyens allemands sont déjà habitués à avoir une femme à la tête de l'exécutif, puisque la chancelière Angela Merkel, forte de la victoire des conservateurs de la CDU/CSU, son parti, aux élections de novembre dernier, va entamer un troisième mandat. Mais après une alliance avec les libéraux, évincés du scrutin de septembre par les électeurs, elle dirigera, pour la deuxième fois, une coalition alliant conservateurs et sociaux-démocrates. Or ces derniers ont posé des conditions pour intégrer l'équipe au pouvoir. Parmi celles-ci, un quota de 30% de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises allemandes d'ici 2016 (le quota avait été porté à 40% à l'horizon 2020 dans leur programme électoral pour les législatives de septembre 2013). Un changement de taille ! En effet, jusqu'à présent, les conservateurs, y compris Angela Merkel, refusaient un tel dispositif, coercitif, lui préférant un système basé sur le volontariat des entreprises. Mais voilà, celles-là ne jouent pas le jeu, au point que l& chancelière elle-même s'est impatientée face au manque de représentation des femmes dans les affaires. Elle ne sont que 17,4% à siéger dans les conseils d'administration des grandes entreprises cotées, et seulement 6,1% à appartenir à leur comité exécutif. « Cherchez la femme » L'excuse est toujours la même : il n'y aurait pas de candidates qualifiées... Désormais, les entreprises devront pourtant les trouver, puisqu'en vertu de l'accord passé entre partis, celles qui n'auront pas assez de recrues pour atteindre le quota d'au moins 30% de représentation féminine dans leur conseil devront - au lieu d'y nommer des hommes - laisser ces sièges vacants. De quoi les pousser à détecter la « perle rare ».... En outre, au delà des quotas, les sociétés cotées devront s'engager, selon des objectifs rendus publics, à accroître le nombre de femmes aux postes de hautes responsabilités. Une façon de créer une réserve de talents féminins pour l'avenir et les conseils d'administration... Alors que plusieurs pays européens, de la Norvège à la France en passant par l'Espagne, ont édicté des lois sur la féminisation des conseils d'administration, et largement accru la représentation des femmes en conséquence, l'Allemagne (ainsi que le Royaume Uni, entre autres) s'y était toujours refusée - jusqu'à maintenant. Si les raisons du Royaume Uni se fondent essentiellement sur une pensée libérale, privilégiant la liberté d'agir des entreprises, l'aversion allemande est plus complexe. Un contexte anti-travail féminin En fait, historiquement et structurellement, les Allemandes n'ont jamais été encouragées à travailler, et encore moins à faire carrière, que ce soit sous le régime nazi, lorsqu'elles devaient avant tout enfanter - et se voyaient d'ailleurs récompensées d'une « croix d'honneur » si elles mettaient au monde au moins quatre enfants, ou après la guerre, lorsque le « miracle économique allemand » permettait à la famille de s'appuyer sur un seul salaire, celui de l'homme, évidemment. Et aujourd'hui encore, malgré des évolutions économiques qui enjoignent les foyers à avoir deux salaires, ces traditions ont la vie dure. Mentalité selon laquelle une femme qui travaille est forcément une « mauvaise mère », manque de crèches, écart salarial marqué : les éléments sont nombreux à contribuer au fait que seules 41% des Allemandes ont un emploi à plein temps outre-Rhin, contre une moyenne de 48% en Europe. Les mères de famille sont encore plus nombreuses dans ce cas, le taux atteignant près de 70%. Enfin, conséquence du travail partiel, le fossé salarial hommes/femmes, à conditions égales, est de 22%, l'un des plus élevés en Europe. De quoi rebuter les femmes... Les nouvelles dispositions mises en place par la coalition favoriseront-elles un changement radical dans l'emploi féminin, voire dans les mentalités outre-Rhin ? Peut-être. C'est en tout cas ce qu'espère Ursula von der Leyen, la nouvelle ministre de la Défense - et première femme en Allemagne à occuper ce poste. Ancienne ministre du Travail et des Affaires sociales, Ursula von der Leyen, considérée par les observateurs de la vie politique allemande comme la dauphine de Angela Merkel, a été l'une des rares conservatrices à se prononcer en faveur des quotas pour les femmes dans les conseils d'administration lorsque son parti s'y opposait. « Nos plus grandes entreprises n'ont quasiment aucune femme dans les sphères décisionnelles, regrettait-elle à l'époque. Avec ce genre de paysage, l'Allemagne ne pourra pas survivre longtemps à l'international ». A défaut de révolution, les quotas pourraient donc bien marquer le début d'une nouvelle ère outre-Rhin, pour les Allemandes comme pour les entreprises. Du reste, le gouvernement allemand proposait dès sa constitution (le 17 décembre) le nom de Sabine Lautenschläger, vice-présidente de la banque centrale allemande (et très libérale) pour succéder à Jörg Asmussen (social-démocrate) au sein du directoire de la BCE, lui même appelé dans l'équipe gouvernementale d'Angle Merkel au poste de secrétaire d'Etat au travail.