Plus personne n'en doute à quelques mois de la COP21, Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris : la "guerre" pour la préservation de la terre et de ses ressources ne sera pas gagnée sans les femmes, aux avant-postes des catastrophes naturelles. Leur imagination rend optimiste, telle celle de Scarlette Le Corre reconvertie en alguealguocultrice.
Il fait beau et froid en cette matinée de janvier sur la plage du Lenn Ar Joa, près du port de Saint-Guénolé dans le Finistère. Bottes aux pieds, polaire sur le dos et paire de ciseaux dans les mains, Scarlette Le Corre, 60 ans, ramasse de longues algues bordeaux. Sur le sable, les kombus bretons ou kombus royaux forment avec les wakamés un canevas pourpre, bordeaux, rehaussé de petites touches vertes.
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Regarde-moi celle-là, elle est magnifique", lance Scarlette qui a le tutoiement facile. Elle tient dans ses mains un long kombu royal. Elle coupe l'algue aux deux extrémités en laissant le pied sur le rocher.
Quand on voit le produit brut, on a du mal à imaginer la saveur d'un tartare d'algues dégusté sur du pain aux céréales à l'apéritif. On imagine encore moins le wakamé (cette algue verte qui ressemble à de la laitue) en rillettes de maquereaux ou cuisiné avec du foi de lotte.
Vers 13h, un coup de téléphone de son mari sonne la fin de la récolte. "
Il a faim et il faut aussi que je m'occupe de lui", sourit l'alguocultrice à l'incroyable débit de paroles. Malgré cela, elle n'a pas l'air décidée à arrêter son ramassage.
Les algues ont façonné la vie de cette femme à l'énergie palpable, basée au Guilvinec. Comme Obélix, elle est tombée dedans toute petite. Son père était goémonier, un pêcheur spécialisé dans les algues. "Mes premiers souvenirs d'algues remontent à l'âge de quatre ans, se souvient-elle. A cette époque, nos parents travaillaient comme des forçats !"
Je te raconte pas la tête qu'ILS faisaient quand ils ont vu que j'étais admise
Avant de s'orienter vers ce qui semble une vocation familiale, cette mère de trois enfants a exercé mille métiers : ouvrière dans une usine de poissons, tenancière de bar en gérance, esthéticienne à domicile. Elle a également pris le temps de naviguer avec son mari sur les mers du monde, à la fin des années 70. Début des années 80, Scarlette passe son diplôme de mécanicien à la pêche. Tout sauf une évidence pour un milieu très masculin. Seule femme sur les 27 personnes de sa promotion, elle finit sa formation et obtient le diplôme. Ils ne sont que sept à l'obtenir dans la promo : "je te raconte pas la tête qu'ils faisaient quand ils ont vu que j'étais admise".
Femme, patron, pêcheur
Ainsi va Scarlette, un mélange détonant de fort caractère, de gouaille et de détermination. A l'époque, elle devient la première femme patron pêcheur de pêche côtière et acquiert à la force de son travail la reconnaissance de ses confrères.
En 1992, cette fille de la mer se forme à l'alguoculture sans abandonner son activité première. "Tout sert dans la vie, répète-t-elle. Mes différentes expériences professionnelles m'ont énormément apporté".
Pour vendre ses wakamés, kombus bretons et autres dulses, elle comprend vite qu'il faut les transformer, les faire connaître et s'adapter à des clients curieux, parfois un peu réticents. Il y a plus de 10 ans, juste avant le passage à l'euro, ses premiers pas au Salon de l'agriculture se concluent par un échec. "
Une catastrophe, se remémore-t-elle
aujourd'hui, j'ai fait 2000 francs en 10 jours de vente".
L'époque a changé et les mentalités aussi. Mais il y a encore beaucoup à faire pour que les algues trouvent leur place dans les assiettes. Des ateliers culinaires sont organisés dans le magasin du Guilvinec où travaille sa soeur Maryline. Malgré la clientèle acquise au fil des années, Scarlette, sexagénaire officiellement retraitée depuis quatre ans, se bat chaque jour pour pérenniser sa petite entreprise. Le fait de lui trouver un repreneur est devenu son nouveau combat…