Jeunes talents

Les chercheuses africaines sur le devant de la scène

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Lauréates du prix jeunes talents sciences afrique subsaharienne

30 brillantes scientifiques ont été récompensées le 9 novembre 2023 par le prix Jeunes Afrique Subsaharienne 2023 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science au Botswana.

©Fondation L'Oréal
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Chaque année, le prix Jeunes talents Afrique subsaharienne L'Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense de jeunes femmes africaines pour la qualité de leurs recherches. Pourquoi faut-il encore, en 2023, visibiliser ces talents féminins ? Les sciences, c'est pour les garçons, vraiment ? Des questions que nous avons posées à Alexandra Palt et Lydie Messado Kamga.

"Valoriser les femmes de sciences en Afrique subsaharienne, une responsabilité collective", tel est le leitmotiv porté haut et fort par la directrice de la Fondation L'Oréal Alexandra Palt. 

Pour cette 14ème édition, 25 doctorantes et 5 chercheuses post-doctorantes ont été récompensées lors de la cérémonie annuelle du prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L'Oréal-UNESCO qui s'est tenue le 9 novembre à Kasane, au Botswana.

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Visibiliser les talents au féminin

Depuis 1998, le groupe L’Oréal, puis sa Fondation depuis 2007, œuvrent avec l’UNESCO pour accélérer les carrières des femmes scientifiques. En vingt-quatre ans, le programme Pour les Femmes et la Science a soutenu et mis en lumière plus de 3 900 chercheuses originaires de plus de 110 pays. 

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Le programme Jeunes Talents qui couvre les 47 pays d’Afrique subsaharienne, offre 20 dotations entre 10 000 et 15 000 €. 

Traiter la tuberculose, proposer des solutions pour lutter contre le changement climatique, préserver les colonies d’abeilles, comprendre des interactions chimiques entre humains et moustiques ou, comme pour Lydie, la pollinisation des espèces d'orchidées menacées d'extinction... Autant de domaines traités par les chercheuses récompensées au cours des dernières éditions. 

Terriennes s'est entretenu avec l'une des lauréates du palmarès 2023 ainsi qu'avec la directrice de la Fondation.

Lydie Messado Kamga, parmi les 30 lauréates

En 2021, Lydie Kamga Messado entreprend un doctorat sur le lien entre les pollinisateurs et l’odeur des orchidées au Cameroun. Pour le réaliser, elle a reçu une allocation de recherche pour une thèse au Sud (ARTS) de l’IRD (Institut pour la recherche et le développement, ndlr).

Aujourd’hui, nous avons besoin de réseaux de soutien pour aider les femmes à concilier travail et vie de famille, et d’un changement complet de mentalité chez les hommes. Lydie Messado Kamga, lauréate 2023

Lydie Messado Kamga fait partie des 30 lauréates 2023. Elle est récompensée pour ses recherches sur la conservation des orchidées. Elle n'a pas hésité à arpenter les forêts tropicales du Cameroun pour sa collecte de données, tout en gérant la logistique sur le terrain et le manque de financement, de laboratoires et d’équipement.

"Très souvent, les gens disent que la science, c'est pas pour les filles, mais moi, depuis toute petite, j'ai toujours voulu faire des sciences. Je voulais devenir médecin. Alors, j'ai tout simplement poursuivi mes objectifs, au moment où je devais choisir dans quelle série je devais m'inscrire, j'ai choisi la série scientifique", confie la jeune femme.

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"Je me rappelle très bien quand je suis arrivée à l'école en début d'année. Lorsqu'on a établi le programme, je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas physique-chimie, alors je suis sortie de la classe, et j'ai dit je vais aller m'asseoir dans la classe où il y a physique-chimie", se souvient-elle. Sa mère et sa sœur aînée l’ont également encouragée.

Orchidée, mon amour !

Ses recherches actuelles ont été inspirées par un stage sur les orchidées : "J'aime les fleurs ! J'ai rencontré une doctorante à l'université de Yaoundé qui travaillait sur les orchidées, et j'avais choisi comme thème la répartition des orchidées au Cameroun. Elle m'a dit qu'elle était à la recherche de quelqu'un pouvant l'accompagner dans sa thèse. J'ai pu faire un stage avec elle".

Ma première réaction quand j'ai vu une orchidée pour la première fois, je me suis penchée sur elle, je l'ai sentie, et je ne sais pas trop ce qui s'est passé ! Lydie Messado Kamga, lauréate 2023

"Ma première réaction quand j'ai vu une orchidée : je me suis penchée sur elle, je l'ai sentie, et je ne sais pas trop ce qui s'est passé !", raconte-t-elle avec émotion.

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Son objectif est de sensibiliser à la gestion de la conservation de la biodiversité. Elle travaille à la mise au point de nouveaux systèmes de pollinisation, essentiels pour comprendre la reproduction des orchidées et assurer la survie de ces plantes et de leurs pollinisateurs. "La famille des orchidées, c'est 30 000 espèces menacées qui ont besoin d'être conservées. Il faut savoir quel sont les organismes en milieu naturel qui favorisent leur pollinisation."

Je n'ai jamais entendu 'Non tu ne peux pas'. Par contre, j'ai entendu, 'tu n'as pas de limite, si tu veux étudier la science, tu peux le faire, fonce. 
Lydie Messado Kamga, lauréate 2023

Elle a aussi fourni les premières descriptions d’odeurs florales appartenant à la plupart des orchidées angraecoïdes épiphytes tropicales. Celles-ci peuvent être utilisées dans les secteurs de la cosmétique, de la parfumerie, de la pharmacie, de la thérapeutique, de la médecine et de l’alimentation.

Pas "si" compliqué

Pour elle, devenir femme scientifique n'a pas été "si" compliqué. "Je n'aime pas dire que ça été compliqué, parce que dans mon environnement immédiat, j'ai toujours été encouragée à poursuivre mes rêves. Je n'ai jamais entendu 'Non tu ne peux pas'. Par contre, j'ai entendu, 'tu n'as pas de limite, si tu veux étudier la science, tu peux le faire, fonce, vas-y, ça demande beaucoup d'efforts, tu dois étudier' Et voilà où j'en suis aujourd'hui !"

Si elle avait un conseil à donner aux jeunes femmes qui rêvent de poursuivre une carrière scientifique, ce serait "de regarder s'il y a des femmes modèles autour d'elles auxquelles elles aimeraient ressembler et qu'elles n'hésitent pas à se rapprocher d'elles. Ce sera avec grand plaisir qu'elles vous encourageront", ajoute-t-elle, enthousiaste. 

Pour elle, ce prix représente beaucoup. Elle a pu y rencontrer d'autres femmes scientifiques, "jeunes intelligentes, et focus sur leurs objectifs... Cette bourse est très motivante, c'est venu booster ma confiance en moi, et récompenser tous les efforts que je fournis sur le terrain. Je suis très contente !", conclut la lauréate.  

Entretien avec Alexandra Palt, directrice de la Fondation L'Oréal. 

Terriennes : le grand prix jeunes talents Afrique subsaharienne fête ses 14 ans, pourquoi, aujourd'hui encore, faut-il rendre visibles les femmes scientifiques, et particulièrement sur le continent africain ? 

Alexandra Palt : Il y a du progrès. On sait que les chiffres ont augmenté. Il y a vingt-cinq ans, il y avait entre 22 et 24% de femmes scientifiques. Aujourd'hui, on est plus autour de 33%. On a malheureusement une très faible augmentation dans les postes de pouvoir. Exemple en Europe : seulement 15% des postes à responsabilité sont occupés par des femmes dans le milieu de la recherche. Donc, quand on regarde la situation spécifique de l'Afrique subsaharienne, la recherche a toujours été le parent pauvre de la politique publique.

La population africaine représente 17% de la population mondiale, mais il n'y a seulement que 2,7% de chercheurs africains. Et sur ces 2,7% de chercheurs africains, on a 33% de femmes ! Et donc ça fait un très faible nombre. Et pour les femmes scientifiques africaines, ça ressemble beaucoup à un parcours du combattant. Parce qu'il n'y a pas d'encouragement d'aller vers les sciences, parce que ce sont des études longues, qui ne donnent pas immédiatement les moyens de bien gagner sa vie. Ça ne correspond pas à la réalité africaine pour beaucoup de parents qui ont d'autres enfants, ni aux attentes de la société qui veut que les femmes font des enfants et se marient jeunes. Et il n'y a pas forcément les institutions, la disponibilité des matériaux de recherche etc...

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Donc ces femmes qu'on a la chance d'honorer chaque année sont des femmes qui surmontent des obstacles, qui ont une persévérance incroyable et une force, et un leadership incroyables. Il faut continuer à les soutenir, car je ne vois pas comment on pourrait répondre aux enjeux du continent, mais aussi du monde entier, sans femme scientifique. On a besoin de talent, on a besoin d'intelligence, de compétence.

En Afrique, on sait qu'il y a 600 millions de personnes qui n'ont pas accès à l'électricité, un tiers souffre d'insécurité alimentaire. Il y a aussi le réchauffement climatique. Il y a sur le continent 35 pays parmi les plus vulnérables. On a besoin de la recherche scientifique et n'oublions pas que ça détermine l'avenir du monde. 

Un accent particulier est justement mis sur les chercheuses travaillant sur la protection de l'environnement...

On a plus de 600 candidatures, et 100 experts qui vont évaluer ces dossiers. Sur les 140 meilleures, on choisit les 30 lauréates. Ce qu'on a toujours vu avec les chercheuses africaines, c'est qu'elles veulent contribuer et résoudre des problématiques qui se présentent dans leur communauté. Maintenant, 70% travaillent sur les questions environnementales car elles voient l'impact de ce changement climatique et de la perte de biodiversité sur la vie de leur concitoyens et compatriotes.

On sait aujourd'hui que le changement climatique tue, que la perte de la biodiversité tue. Et elles essayent d'apporter des réponses. Ce n'est pas nous qui décidons, c'est la réalité qui est déjà là, qui détermine quels sont les sujets auxquels elles s'intéressent. 

Qu'est-ce qui va changer pour ces lauréates ?

Ces brillantes chercheuses bénéficieront de quatre jours de formation au leadership, avec pour objectif de se former à la communication assertive, à la négociation, à la réaction face à des situations de harcèlement et à la prise de parole en public ou face aux médias. Réunir ces femmes scientifiques qui ont bien souvent vécu des situations de profonde solitude, c’est aussi libérer leur parole et leur permettre des prises de conscience sur les obstacles qu’elles ont rencontrés.

Les économies qui marchent le mieux, les sociétés qui fonctionnent le mieux, les entreprises qui sont les plus performantes, ce sont celles où il y a un bon équilibre entre hommes et femmes. Alexandra Palt

En un mot : les aider à faire leurs armes pour contribuer à briser le plafond de verre et qu'elles puissent prendre enfin une juste place dans la communauté scientifique. Permettre à de tels talents d’émerger dans le débat public et d’être reconnus à la hauteur de leur travail demande une mobilisation urgente et plurielle.

Les sciences c'est "aussi" pour les filles ?

Aujourd'hui, on sait que c'est l'intérêt de tout le monde que les femmes contribuent à la science. Ce sont les économies qui marchent le mieux, les sociétés qui fonctionnent le mieux, les entreprises qui sont les plus performantes, ce sont celles où il y a un bon équilibre entre hommes et femmes, une vraie diversité. C'est une richesse. C'est pareil pour la recherche. La recherche ne peut pas se priver de ces talents-là. C'est un enjeu, et dans notre propre intérêt. C'est vraiment important à comprendre aussi pour les hommes. Ce n'est pas un sujet d'égalité uniquement, c'est une question de la meilleure science pour la meilleure société possible. 

Et puis après, il y a des milliers d'exemples où les femmes ont prouvé qu'elles avaient beaucoup de talent, de Marie Curie jusqu'aux scientifiques à qui on a volé les découvertes pour donner des prix Nobel aux hommes. On a une histoire avec plein de contre-exemples. Comme le début de l'informatique, les programmateurs étaient des femmes, afro-américaines et donc les plus discriminées. Personne ne croyait alors à l'ordinateur.

Et quand on a compris que c'était l'avenir, et bien comme par hasard, on a dit que les femmes n'avaient pas de talent, pas d'avenir dans ce domaine. Les femmes se sont fait exclure. Et elles ont commencé à se dire elles-mêmes que ça ne les intéressaient pas. C'est le parfait exemple pour montrer comment exclure les femmes des zones de pouvoir, à nous aussi de reconquérir ces espaces-là. 

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