Les combattantes du droit à l'avortement en Pologne récompensées par le prix Simone de Beauvoir

Le prix Simone de Beauvoir 2017 a été décerné, le 9 janvier 2017, à des militantes tenaces et courageuses, ces Polonaises, qui depuis des mois, unissent leurs forces pour sauver ce qui peut l'être, de l'IVG en Pologne.
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Barbara Nowacka
Barbara Nowacka a reçu le prix Simone de Beauvoir pour son rôle majeur avec l'association "Ratujmy Kobiety" (Sauvons les femmes) dans la défense du droit à l'avortement en Pologne
AP Photo/Czarek Sokolowski
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C'est un choix qui va comme un gant au prix international Simone de Beauvoir. L'écrivaine française, auteure du Deuxième sexe, avait rédigé en  1971 le manifeste des 343 salopes qui avait conduit la France, trois ans plus tard, à s'engager sous la houlette de Simone Veil, à inscrire dans la loi française le droit à l'avortement. Et qui exposait dans son deuxième paragraphe : « Avortement. Mot qui semble exprimer  et limiter une fois pour toutes le combat féministe. Être féministe, c’est lutter pour l’avortement libre et gratuit. »

L'une des plus célèbres féministes ne manquait pas de rappeler aussi : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant." Lors de la remise du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, le 9 janvier 2016 à Paris, Sylvie Le Bon, membre du jury, et fille adoptive de Simone de Beauvoir a rappelé que l'écrivaine pensait à l'IVG lorsqu'elle avait énoncé cette vérité.

De ces deux affirmations, en 2016, les Polonaises ont sans doute été conscientes plus que d'autres. L'un des plus grands pays de l'Union européenne est dirigé, en ces temps de crise, économique et politique, depuis novembre 2015 par un parti ultra-conservateur, le PIS (Droit et Justice), qui cherche à interdire totalement le droit à l'avortement (même en cas de risque vital pour la mère) là où il était déjà réduit à la portion congrue, depuis la disparition du bloc soviétique, sous la houlette de la très puissante église polonaise.

Résistantes


Après avoir commencé par des protestations silencieuses, comme de se lever en pleine messe ostensiblement et de quitter l'édifice religieux, des Polonaises, de plus en plus nombreuses entraînées par des associations ou des cheffes de file politiques, sont descendues régulièrement dans les rues pour des marches "en noir" et même une grève nationale qui a presque paralysé le pays. Parmi elles, l'association Ratujmy Kobiety - "Sauvons les femmes" au premier rang desquelles la militante Barbara Nowacka (42 ans, issue d'une lignée politique prestigieuse en Pologne), qui a pris la tête de "la Gauche unie" lors des élections de l'automne 2015. Sans succès électoral.

Le gouvernement polonais a provisoirement reculé face à cette protestation. Mais la vigilance reste de mise, tant ce bannissement de l'IVG tient à coeur de... la cheffe du gouvernement Mme Beata Szydło. Et oui les femmes sont souvent les meilleures ennemies d'elles-mêmes.

Nous ne savons pas nous taire. Nous ne voulons pas nous taire
Barbara Nowacka

Lors de son discours de récipiendaire à la Maison de l’Amérique Latine, au coeur de Paris, Barbara Nowacka, accompagnée virtuellement des milliers de participantes au comité "Sauvons les femmes", a lancé « Nous ne savons pas nous taire. Nous ne voulons pas nous taire », parce que « Chaque agression génère un état de guerre ». Interrogée par le quotidien français Libération, la lauréate explique : « La gronde des femmes de notre pays n’a cessé de grandir. Et finalement, le 3 octobre 2016, nous avons été des milliers de Polonaises et de Polonais, à manifester contre ce durcissement de la loi. Nous étions sous la pluie mais solidaires. Il y avait aussi des jeunes filles dont c’était la première manif. »

Barbara Nowacka évoque aussi la loi en vigueur : « A cause d’elle, la femme qui avorte est une criminelle. Mais dans notre pays, l’éducation sexuelle n’existe pas, les contraceptifs sont chers ; les médecins refusent souvent de les prescrire. La pilule du lendemain est difficilement accessible. On estime qu’il y a entre 80 000 et 100 000 avortements clandestins par an. Les plus aisées vont à l’étranger en Suède, en Ukraine… Récemment une fille de 12 ans a accouché. Le père, un homme de 29 ans, n’a pas été reconnu coupable de viol par le procureur. En cas de pathologie grave et irrémédiable du fœtus, il peut y avoir avortement. Mais il y a de fait très peu d’examens prénataux. Certains médecins évitent d’en faire en invoquant leur clause de conscience

#yaduboulot comme nous disons toujours...

Les féministes ont accueilli par une ovation sur les réseaux sociaux ce prix qui les conforte dans leurs combats.
Sur les page Facebook du "Ratujmy Kobiety", on peut lire : "Ce prix est une récompense pour nous tous, ces  215 215 personnes qui ont signé notre appel, sans oublier toutes celles qui nous appuient et nous manifestent leur discrète solidarité. C’est aussi la preuve que nous devons continuer à résister contre toute tentative de violation de nos droits. Un immense merci de nous tous !"
 

Un travail formidable que fait ce comité, saluent d'autres.

Prochaine étape : que le droit à l'avortement soit enfin inscrit dans la Charte européenne des Droits fondamentaux, ce préambule sur les droits humains, au traité constitutionnel européen. Ce qui était le voeu de certains des ses rédacteurs, dont les Français, lors de son élaboration à la fin du siècle dernier. Resté malheureusement pieu, jusqu'aujourd'hui...

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter @braibant1