Accueillies en France, les demandeuses d'asile n'en sont pas en sécurité pour autant. Elles apparaissent surexposées aux agressions sexuelles, surtout si elles en ont déjà subies par le passé, si elles arrivent seules et si leurs conditions d'hébergement sont précaires. Décryptage d'une étude publiée dans la revue scientifique The Lancet.
Réfugiées ukrainiennes le 9 mars 2022 à la gare d'Hendaye, dans le sud-ouest de la France, où les autorités leur proposent un hébergement temporaire. Deux millions de personnes, principalement des femmes et des enfants, ont fui les combats en Ukraine au cours des deux semaines qui ont suivi l'invasion russe.
Sur 273 demandeuses d'asile arrivées depuis au moins deux ans en France, pays considéré comme "sûr", 84 – soit plus d'une sur trois – ont été victimes de violences sexuelles au cours des douze derniers mois. Parmi elles, 17 ont été violées et 15 plusieurs reprises. Autrement dit, les nouvelles demandeuses d’asile ont 9 fois plus de risques de subir des violences sexuelles et 18 fois plus d’être victimes de viol que le reste de la population.
La fréquence des violences sexuelles, des viols et des tentatives de viol qui leur sont infligées en France dépend de leur origine géographique, de leur statut de couple et de leur vécu avant l'arrivée en France : une demandeuse d'asile isolée, mal ou pas hébergée, déjà victime de violences sexuelles par le passé, se retrouve plus exposée à de nouvelles violences.
Les mois qui suivent l'arrivée dans un pays d'accueil européen apparaît être une période de risques accrus de violences sexuelles pour ces femmes, établit l'étude publiée par The Lancet. Les enquêteurs dégagent un lien entre modalités d'accueil et violences sexuelles : un accueil sans accompagnement à l'hébergement semble accroître l'exposition aux agressions sexuelles.
Les femmes qui ont subi des violences sexuelles avant leur arrivée en France sont particulièrement exposées aux viols ou tentatives de viol, aux agressions sexuelles et au chantage sexuel après leur arrivée en France. Plus de 75 % des femmes interrogées ont subi ce type de violences avant leur arrivée sur le territoire françaiss, dont près de 70 % ont été violées. "L’étude fait ressortir que la violence sexuelle est un motif de départ, un impondérable du parcours migratoire et un crime dont on ne les protège pas en France," analyse Anne Desrues, sociologue et enquêtrice sur le projet, interrogée par le quotidien Le Monde.
Plus de 40 % des nouvelles demandeuses d'asile, toutes originaires d'Afrique, avaient subi une mutilation génitale avant d'être accueillies en France et plus de 56,3% des femmes africaines participant à l'enquête en avaient été victimes. Une conclusion qui soulève la question d'une protection internationale pour les femmes qui fuient la violence sexuelle. En 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a accepté 26,4 % des demandes d'asile de femmes originaires du continent africain.
Les femmes qui n'ont pas de relation avec un partenaire en France sont plus exposées que celles qui vivent en couple. Plus de 40% des agressions et viols signalés ont eu lieu dans le logement de la victime par un auteur le plus souvent inconnu.
Ces femmes seules sont aussi plus susceptibles d'avoir recours à la prostitution et de subir les violences associées. En ce qui concerne le chantage sexuel, les femmes originaires d'Afrique de l'Ouest semblent surexposées. "Un homme blanc est venu me voir et m’a dit qu’il savait que je n’avais pas de papiers, et que si on ne faisait pas l’amour, il me dénonçait à la police," raconte au Monde une jeune Guinéenne, maman de deux petits enfants.
L'enquête révèle aussi que les femmes originaires d'Afrique de l'Ouest subissent des tentatives de viol plus fréquentes que les femmes issues d'autres régions du monde. Cette surexposition est cohérente avec les réseaux de traite qui touchent les populations nigérianes identifiées par l'OFPRA en France. En revanche, aucun rapport n'est mis en évidence entre l'origine géographique et la prostitution, ce qui s'explique peut-être par la crainte qu'ont les victimes de représailles des réseaux de prostitution.
Dans Le Monde, on découvre le témoignage d'une jeune femme nigériane, qui a quitté son pays et sa famille qui ne tolérait pas son homosexualité. Elle raconte comment "la mafia nigériane" la poursuit : "Ils m’ont mis une arme sur la tempe, ils veulent que je me prostitue ou que je vende de la drogue. C’est encore pire parce que je suis lesbienne, ils disent que je suis une abomination..."
Les demandeuses d'asile victimes d'agressions sexuelles semblent particulièrement démunies face aux autorités françaises. Moins de 10% d'entre elles ont sollicité l'aide de la police ou des soins médicaux au moment des faits, alors que plus de 90 % avaient consulté un médecin au cours de l'année écoulée, selon l'enquête de The Lancet. Et plus de la moitié des femmes victimes de violence n'ont pas demandé d'aide du tout.
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, plus de 82 millions de personnes dans le monde sont contraintes de fuir leur pays (chiffres de 2020) et les femmes représentent 47% de ces déplacés. En France, 18 768 femmes âgées de plus de 18 ans ont déposé leur première demande d'asile en 2021. L'Europe comptait alors 535 000 primo-demandeurs d'asile, dont près de 31 % de femmes.
Les résultats de cette enquête soulève plusieurs questions pour les systèmes de santé des pays d'accueil : comment organiser le dépistage et la prise en charge de ces femmes ? Comment prévenir les conséquences sanitaires connues de ces violences et en limiter les coûts ?
Désormais identifiées et chiffrées, les vulnérabilités spécifiques des nouvelles demandeuses d'asile, et plus encore de celles qui ont déjà subi des violences sexuelles, de celles qui viennent d'Afrique de l'Ouest et de celles qui ne vivent pas en couple dans le pays d'accueil, peuvent servir de socle à l'élaboration de stratégies de prévention et de détection de ces violences.
Comme pour les urgences humanitaires, les violences sexuelles faites aux demandeuses d'asile dans leur pays d'accueil pourraient faire l'objet d'un rapport et d'un plan pour y mettre fin. Au-delà de la légitimité de leur demande d'asile, ces femmes déjà traumatisées par le déracinement et les raisons qui les ont motivées méritent une protection contre de nouvelles agressions, au moins le temps que leur dossier soit traité.