Les dessinatrices de presse sont très “trait libre“

Comment et pourquoi dessiner les femmes ? Etre caricaturiste femme ? Pour sa 2ème édition, “L'Hérault Trait Libre 2014“, le Festival international du dessin de presse qui s'est tenu du 4 au 6 avril 2014 à Montpellier, au Sud de la France, posait ces questions. Inégalités, violences, discriminations, y ont été passées au crible de dessinatrices/teurs de presse venu-e-s du monde entier. Le dessin de presse peut-il améliorer la condition des femmes dans le monde ? Pour Terriennes, quatre de ces artistes-journalistes, représentants de ce média particulier “à responsabilité“, ont répondu à cette question. Rencontres
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Les dessinatrices de presse sont très “trait libre“
L'exposition “Hérault Trait Libre“ à Montpellier jusqu'au 26 juillet 2014
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C'était quelques jours avant l'annonce de la sélection officielle des films présentés au festival de Cannes 2014, présidé cette année par la réalisatrice australienne Jane Campion : "Caricaturistes, fantassins de la démocratie" de la Française Stéphanie Valloatto, consacré à des dessinateurs/trices tous membres de Cartooning for Peace y sera présenté en séance spéciale.

Avant Cannes, quelques un de ces "fous formidables" accompagnés par le documentaire étaient venus dans la métropole méditerranéenne"éviter le politiquement correct ou le consensuel" pour évoquer la condition des femmes. La deuxième édition de "L'Hérault Trait Libre", Festival international du dessin de presse était dédié cette année aux Femmes. Une manifestation organisée par l'association de dessinateurs de presse "Cartooning for peace"(présidée et imaginée par Plantu du Monde et l'ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan), le Département de l'Hérault et le Club de la presse du Languedoc-Roussillon. Au programme, plusieurs conférences "dessinées" et une exposition de dessins de presse intitulée "Elles vident leur sac".

"Elles …", ce sont les dessinateurs/rices de presse. Parmi eux, 18 dessinateurs et dessinatrices de presse, (8 femmes contre 10 hommes !), venus de 10 pays différents, dont l'Iran, la Tunisie, le Vénézuela ou Israël :

Aurel (France), Camille Besse (France), Liza Donnelly (États-Unis), Firoozeh (Iran), Gros (France), Hours (France), Kichka (Israël), MAN (France), Plantu (France), Rayma (Venezuela), Julien Revenu (France), Cristina Sampaio (Portugal), Tignous (France), Vadot (Belgique), Kamilla Wichmann (Danemark), Wilcox (Australie), Willis From Tunis (Tunisie) et Wingz (France).

200 dessins sont exposés, dont ceux des dessinateurs invités, jusqu'au 26 juillet 2014 à Pierrevives dans le bâtiment flambant neuf du Conseil départemental. Petite parenthèse en forme de heureux hasard, ce bâtiment moderne aux abords de Montpellier est l’œuvre d'une (rare) femme architecte, l'anglo-irakienne Zaha Hadid.

"… vident leur sac" ? Enfouies, ignorées, parfois cachées ou encore insidieuses, ce sont les inégalités, les violences subies par les femmes ou au contraire leur courage et leur talent. L'exposition de dessins les classe par thème : la femme et l'homme; les inégalités au travail; le corps féminin; la sensualité, la sexualité; la femme de demain; violences contre les femmes, révolutions ou encore religions.

Autant de réalités qui n'ont pas échappé aux mains et aux regards aiguisés de ces artistes-journalistes. Le résultat est (comme toujours) … corrosif. Leur arme ? Un crayon et un humour ravageur pour dénoncer, déconstruire les injustices ou alors mettre en valeur le talent des femmes en général.

Que peut faire le dessin de presse pour les femmes dans le monde ? Pour Terriennes, quatre dessinateurs de presse, représentants un métier "à responsabilité" jonglant entre art/journalisme/humour, ont répondu à cette question.
 

“L'humour est une main tendue vers le dialogue“

“L'humour est une main tendue vers le dialogue“
©Sémiramis Ide/TV5MONDE
Nadia Khiari alias “WILLIS FROM TUNIS“, réseaux sociaux, Siné Mensuel (TUNISIE)

"En Tunisie, le dessin est important sur les réseaux sociaux, car on est dans l'immédiateté et l'instantané de l'information. Sur internet, l'information va très vite. Les Tunisiens suivent énormément les réseaux sociaux. Des millions de personnes ont des comptes Facebook et Twitter en Tunisie. C'est un excellent outil de diffusion et la lecture d'un dessin est très rapide. Un dessin, ce n'est pas comme lire tout un article. Un dessin se lit et se comprend vite. Il y a un impact direct. Donc ça sert à quelque chose. Dans tout ça, l'humour a une place importante. On peut parler de sujet très sérieux et faire passer un message à quelqu'un qui n'est pas du tout d'accord avec nous.

Si on le dit d'une manière sérieuse, ça peut bloquer, mais si on le dit avec humour, c'est une main tendue vers un dialogue, parce que si on arrive à faire rire quelqu'un sur un sujet, c'est un bon moyen de dialoguer de débattre, peut-être pas de faire changer d'avis, mais d'amener la chose autrement. Donc moi j'essaie d'utiliser ça. Une fois, des manifestants ont imprimé sur une feuille A3, un de mes dessins. Ils l'ont brandi devant l'assemblée nationale à Tunis car ça exprimait ce qu'ils ressentaient. Pour moi, c'est le but ultime, quand je vois ça, je me dis que j'ai gagné, dans le sens où les gens s'emparent des dessins et se les approprié. C'est ma plus grande fierté."

“Les clichés, pourvu qu'ils soient assumés et pourvu qu'au bout du compte ça ne soit pas des clichés contre la personne“

“Les clichés, pourvu qu'ils soient assumés et pourvu qu'au bout du compte ça ne soit pas des clichés contre la personne“
©Stéphane de Sakutin/ AFP
Jean Plantureux, alias "PLANTU", Le Monde, L'Express, et président de "Cartooning for Peace" (FRANCE)

"J'ai choisi le thème de la femme car j'avais besoin d'un sujet qui dérange vraiment. C'est le rôle du dessin de presse de dire des choses, pas pour le plaisir de mettre le doigt là où ça fait mal, ça ne m'intéresse pas. Mais dire des choses qui dérangent et surtout peuvent susciter des débats.

En tant que dessinateur de presse, je revendique la part de clichés que nous avons sur les femmes. Je pense que la femme vit avec ces clichés et je pense qu'elle a raison de vivre avec. Par exemple, si vous avez des boucles d'oreille et que moi je n'en ai pas. Je vous regarde, je trouve ça très beau. Peut-être qu'un jour je dirai à un homme, c'est génial tes boucles d'oreille. Là aussi, on est dans le cliché, pourvu qu'il soit assumé et pourvu qu'au bout du compte ça ne soit pas des clichés contre la personne. Ce qui nous réunit à Cartooning for peace, ce sont les clichés car ils font partie de la vie. On articule des clichés comme on articule des mots, des articles, des verbes, pour faire une phrase. Et bien nous, on fait une syntaxe de graphisme. Autre exemple, Bob l'éponge. Si il a une fiancée, je lui rajoute un nœud rose dans ses cheveux. On saura que c'est une fille jusqu'au jour où on me dira, y'en a marre, pourquoi la fiancée de Bob l'éponge doit avoir forcément un nœud rose dans les cheveux? Je changerai à ce moment là."

“Le dessin éclaircit les choses. Ca m'a donné de la force et de la puissance“

“Le dessin éclaircit les choses. Ca m'a donné de la force et de la puissance“
©Sémiramis Ide/TV5MONDE

Rayma Suprani alias "RAYMA", El Universal (VENEZUELA)
Elle est la seule femme dessinatrice de presse dans son pays.

"Au Venezuela, il n'y a pas de pression spécifique sur les droits des femmes. Le gouvernement se moque que je sois un homme ou une femme. Ce qui l'embête, c'est que je parle. C'est plus une pression politique. Dans ma vie, le dessin m'a beaucoup apporté. Le dessin éclaircit les choses. Quand je dessine, ça ne me permet pas seulement de comprendre le monde extérieur, mais de me comprendre aussi. Je me pose souvent la question : si je ne sais pas le dessiner, c'est parce que que je ne le comprend pas. Et bien le dessin, c'est la compréhension, ça éclaircit. Le fait de dessiner tous les jours pour un journal, de réagir à chaud, ça a beaucoup amplifié ma possibilité de réaction. Ca m'a fortifiée. C'est un sens de plus que j'ai acquis. Maintenant j'ai une espèce de force, le fait de faire ça régulièrement, c'est comme une alerte. Je suis capable de rendre compte très rapidement sur quelque chose qui arrive. Cela m'a donné de la force et de la puissance."

“Être une femme dans le dessin de presse où il y en a peu, ça a été pour moi un atout“

“Être une femme dans le dessin de presse où il y en a peu, ça a été pour moi un atout“
©Sémiramis Ide/TV5MONDE

Camille Besse, alias "BESSE", dans Causette, L'Humanité, Charlie Hebdo, ARTE, etc.(FRANCE)

"Je viens d'une famille engagée politiquement. Je voulais me sentir utile pour la communauté. Et le dessin est venu naturellement avec la maturité. Aujourd'hui, je traite souvent du thème de la femme, car je travaille beaucoup pour l'hebdomadaire Causette (qui s'affiche "plus féminin du cerveau que du capiton !", ndlr). Ce n'était pas un sujet de prédilection, mais quand on est confronté à un thème, on est obligé de s'y intéresser et se demander : quel regard peut-on apporter à ce sujet là ?

A Causette, une rédaction composée en majorité de femmes, c'était un environnement qui m'angoissait avant d'y rentrer.  Quand j'y suis arrivée, j'ai appris que les femmes pouvaient être bienveillantes. Ca m'a permis de m'accepter de plus en plus en tant que femme. C'est vrai que c'est un métier très masculin. Etre une femme, c'est être un statut social que j'ai eu du mal à assumer pendant longtemps. Ce métier m'a permis d'assumer plus ma féminité. Ce qui me plaît dans ce métier, c'est que ce n'est pas un métier féminin. Pour moi, c'est une fierté d'exercer un métier masculin. Etre une femme dans le dessin de presse où il y en a peu, ça a été pour moi un atout. Quand y'en a une, c'est remarqué, on retient plus facilement. Moi j'ai commencé avec le nom "BESSE", je ne voulais pas montrer que je suis une fille, je voulais juste que mes dessins soient publiés."
 


Le Festival “L'Hérault Trait Libre 2014“ en images


    Le Festival en images


    Cartooning for peace au festival de Cannes 2014

    Cartooning for peace au festival de Cannes 2014
    "Caricaturistes, fantassins de la démocratie" de la Française Stéphanie Valloatto, produit par le cinéaste roumain Radu Mihaileanu ("Va, vis et deviens"), consacré à l'association "Cartooning for peace", fondée par le caricaturiste français Plantu et l'ancien secrétaire de l'ONU Kofi Annan sera présenté en séance spéciale lors de la 67ème édition de la plus importante fête du 7ème art.

    En suivant 12 caricaturistes de tous horizons, le film nous plonge de manière drôle, touchante et sans concession, dans le combat de ces artistes du quotidien que sont les dessinateurs de presse. 12 fous formidables, drôles et tragiques, des quatre coins du monde, qui défendent la démocratie en s'amusant et au risque de leurs vies, avec, comme seule arme, un crayon...