Fil d'Ariane
Plus que quelques semaines avant le début des épreuves du baccalauréat 2015. Au programme de terminale littéraire (bac L) cette année : « Les Mains libres » de Paul Éluard, et « Madame Bovary » de Gustave Flaubert. Comme en 2014, et depuis plus de dix ans, aucun ouvrage écrit par des femmes n’a été retenu pour les épreuves de littérature du bac L, contre trente-deux hommes depuis 2001.
En septembre 2014, Ariane Baillon, jeune bachelière bordelaise, avait déjà réclamé plus de figures féminines dans les manuels scolaires, via une pétition adressée à Benoit Hamon, alors ministre de l’Education nationale, qui avait remporté un franc succès. Cette fois-ci, c’est l’illustratrice et auteure de bande dessinée Maureen Wingrove, alias Diglee sur son blog, qui constatait le mois dernier, le manque d’auteures au bac et dans les programmes scolaires.
Sensibilisée à la lecture dès son plus jeune âge, diplômée « logiquement » d’un bac de la filière littéraire, Maureen Wingrove a décidé de rattraper « 10 ans de lecture pour rééquilibrer la balance et ajouter de la mixité aux modèle de (son) adolescence ». Mais ces choix de livres de chevet questionnent, tant dans sa sphère privée que professionnelle. Un « phénomène curieux », qu’elle a aussi observé dans les médias : les références culturelles acceptables sont genrées et de sexe masculin.
Ce que regrette surtout Sophie Ernst, c’est de ne pas aller plus loin dans le débat féministe. « C’est toujours la même question : le manque de reconnaissance symbolique des grandes femmes qui ont émergé dans l'histoire ». Pour elle, le féminisme régresse quand il s’intéresse uniquement aux femmes « dans une logique de têtes du système. On se pose uniquement la question en termes de femmes ministres, de cheffes d’entreprise, de femmes qui commandent et dont les actions sont reconnues par la société. »
Sophie Ernst estime que le féminisme avait d'autres capacité à remettre en cause le partage des fonctions. En s’appuyant sur l’ouvrage « Juive, catholique, protestante. Trois femmes en marge au XVIIe siècle » (Seuil, 1997) de l’historienne américaine Nathalie Zemon Davis, l'enseignante explique que certaines femmes ont pu exprimer leur créativité et acquérir une reconnaissance de pairs, « sur un mode qui ne les mettait pas en concurrence avec eux ».
Par exemple, dans l'ouvrage, la protestante est dessinatrice botanique. « Elle joue ainsi d'un secteur féminin en réalisant des dessins qui ont finalement une réelle portée scientifique pour la botanique. Et ses pairs n'ont pas besoin de la reconnaître comme savante parmi eux ». Finalement, c'est comme si les femmes « ne peuvent pas, et n'ont de toute façon pas le droit, d'être dans des itinéraires de réussite et de reconnaissance considérés comme normaux, donc fatalement masculins ».
Pour Sophie Ernst, rien n’a changé aujourd'hui. Mais réduire les enjeux féministes à cette question du manque de références féminines dans les manuels scolaires est pour elle, très insuffisant. « Les mécanismes de domination masculine et ceux qui attribuent des rôles aux femmes et aux hommes sont extrêmement plus complexes. »