La comédienne et auteure Carole Thibaut se met en scène dans « Fantaisies », un spectacle dans lequel elle (dé)montre que « l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était ». Ou comment et pourquoi les femmes ne veulent plus se soumettre aux stéréotypes véhiculés par la société, …et les hommes. Une performance artistique sous le signe du féminisme au théâtre de la Maison des métallos à Paris. Rencontre.
« Je suis la femme idéale. Je suis la femme idéale…» Cette phrase susurrée habite la scène plongée dans le noir du théâtre de la Maison des métallos à Paris. Comme pour se convaincre, se persuader qu’elle - et nous aussi spectatrices - pouvons devenir cette femme idéale à laquelle sont attachés tant de stéréotypes véhiculés par la(es) société(s), certains médias et certains hommes. Dans cette « espèce de "chose" entre le spectacle, la performance et le solo », la comédienne, auteure, et metteure en scène démonte cet « idéal féminin qui n’est plus ce qu’il était ». « Une projection qui n’existe pas. Des formes d’idéaux de nous-même, souligne Carole Thibaut qu’on nous a inculqués que l’on soit d’ailleurs homme ou femme. Mais, les femmes se construisent encore plus à partir de ces représentations qu’on leur donne comme modèles et vers lesquelles elles doivent tendre. »
Femme parfaite ? Des modèles parfaits mais fabriqués de toute pièce. Afficher un teint frais dès le réveil. Garder la ligne. Arborer un corps toujours bien épilé. Apparaître bien maquillée. Autant d’injonctions qui envahissent la scène des Métallos. « Sous forme de boucles sonores répétitives, c’est très puissant », témoigne Chloé une spectatrice de 31 ans. Cette scène a trouvé son écho parmi le public (très) féminin de la salle ce soir-là. « La femme doit être une mère parfaite, aimer ses enfants de manière absolue, être en même temps belle, intelligente mais pas trop quand même », nous raconte la comédienne. Car comme elle le dit dans son spectacle le « "trop" tue la femme idéale ». Pas question pour elle d'être intellectuelle. Trop belle et trop intelligente ne vont pas de pair. « Est-ce qu’on est vraiment une femme si l’on n’est pas mère ? » Carole Thibaut s’attaque aussi à l’instinct maternel dans une scène d'accouchement qui vire au cauchemar. Alors qu'elle panique à la vue de son nouveau né et veut le jeter par la fenêtre, une infirmière imaginaire lui assène « Mais c’est à vous de vous occuper de votre bébé ! ».
« La femme procrée, l’homme la crée » Par des jeux de miroirs et sonores, la comédienne devient multiple. Ainsi, les hommes s'invitent-ils dans son spectacle quand Carole Thibaut arrive en costume noir parée d’une barbe. Elle s'en prend à la phallocratie (« la femme procrée, l’homme la crée ») qui oppresse les femmes. Puis, la comédienne se lance dans une « colère féministe » s'attaque aux religions : « Toutes les formes de religions ont été écrites par les hommes, ceux qui ont le pouvoir. On trimballe des injonctions aux femmes terribles pour limiter leurs libertés… Si ce n’est de les opprimer carrément que ce soit à travers le fait que la femme ne peut être que tentatrice, faite pour détourner l’homme de ses objectifs transcendantaux. Elle est reconnue avant tout en tant que mère ou jeune fille vierge, souligne Carole Thibaut. Toutes ces injonctions (religieuses, ndlr) finalement dépendent moins d’un rapport à la foi ou d’une croyance en un Dieu qu’à des constructions culturelles très fortes, très traditionalistes qui permettent au pouvoir en place de maîtriser et d’enserrer la femme dans le rôle que l’on veut qu’elle tienne c’est-à-dire celle qui donne des enfants et qui sert l’homme dans ses grandes ambitions intellectuelles ou autres. »
Artiste et féministe Féministe Carole Thibaut ? « Je le suis et je le revendique totalement dans mon engagement citoyen ainsi que dans mes positionnements politiques mais je ne suis pas qu’une artiste féministe. » Depuis six ans, elle se produit en tournée dans "Fantaisies", dont elle livre la quatrième et dernière version sur la scène des Métallos. La question du genre reste au centre de sa réflexion artistique. « Je me suis dit que si j’enlevais de moi toutes ces formes de construction d’une image sociale et culturelle… qu’est-ce qui existait encore de moi en tant que femme ? Est-ce que le fait d’être femme n’est pas simplement une multitude de représentations d’idéaux que la société m’a inculqués et m’a collés sur la peau. C’est un peu l’idée de l’oignon. J’enlève, j’enlève, j’épluche. Et au bout du compte, est-ce qu’il y a un noyau ou est-ce qu’il n’y a rien ? Est ce-que ce n’est pas simplement un être humain ? » Seule en scène, Carole Thibaut se prend pour sujet et s’attache donc à démonter pendant plus d’une heure tous ces stéréotypes concernant les femmes déjà éculés bien que servis ici par une intéressante mise en scène. « C’est bien fait, intéressant mais cela ne va pas assez loin. C’est un peu évident », témoigne Camille, une spectatrice de 35 ans. Pour d’autres comme Dorothée, 34 ans, ce spectacle a été « bon et jubilatoire ». Chacun(e) y pioche ce qu'elle (il) veut.
Femme en scène Une chose est certaine, Carole Thibaut dénote parmi les femmes (souvent trentenaires) à l'affiche des one-woman-show qui fleurissent sur les scènes françaises. En consultant un site de réservation en ligne, on constate que 161 spectacles mettent actuellement seule en scène une femme contre 375 avec un homme. Un constat amer que fait aussi Carole Thibaut pour le monde du spectacle dès l’ouverture de ses « Fantaisies » quand elle livre une charge contre le milieu de la culture qui ne déroge pas au sexisme : « Dans les salles de théâtre il y a en moyenne 75% de femmes alors que la plupart des spectacles sont faits par les hommes et que les artistes hommes ont beaucoup plus de financement que les artistes femmes, explique Carole Thibaut. Je crois que 85% des textes que vous entendez sur scène sont écrits par des hommes (selon le rapport de Reine Prat publié en 2006 sur l’égalité hommes/femmes dans les arts du spectacle). Voyez la dichotomie totale entre la présence des spectatrices et ce qu’on leur fait manger, c’est-à-dire une vision du monde très masculine dans laquelle la femme y est souvent dépeinte de façon très stéréotypée à travers le regard de l’homme qui la considère toujours un peu comme l’autre. Celle qui ne fait pas trop partie de la donnée universelle. » Et représente tout de même (un peu plus de) la moitié de l'humanité.
“Je suis mon propre objet/sujet de travail“
29.05.2014
Interview via skype avec la comédienne Carole Thibaut
Carole Thibaut collectionne les talents. Comédienne, auteure, metteure en scène et directrice de théâtre, elle a endossé tous ces rôles depuis qu'elle dirige sa Compagnie Sambre en Île-de-France depuis 1996. Elle reçoit de nombreux prix pour son travail d'auteure et également pour son spectacle Été créé en 2010. Depuis 2013, elle est directrice artistique de l'association Confluences, un lieu d'engagement artistique à Paris. C'est d'ailleurs dans cet espace qu'elle créé le première version de Fantaisies en 2009. Pour en savoir plus sur Carole Thibaut : le site de la Maison des métallos.
Ses projets
Après Fantaisies jusqu'au 1er juin à la Maison des métallos à Paris, Carole Thibaut prépare "installation immersive numérique sans acteur" qui "interroge les nouvelles formes de relations que créent les nouveaux médias". Une réflexion sur les forme de présences /absences générées par l'usage des mails, des SMS ou de Facebook. Cette installation sera visible au Festival des Bains numériques d'Enghien en Île-de-France les 14 et 15 juin.