Les féminicides en hausse de 27 % en quatre ans au Canada

184 femmes ont été tuées par un compagnon ou un ex-partenaire en 2022 au Canada. En quatre ans, le nombre de féminicides a augmenté de 27%. Une hausse liée à l'absence de politique publique d'envergure, selon l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilité.
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observatoire féminicides canadien photo rapport

Chaque année, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, l’Observatoire mène une campagne dans les médias en utilisant le mot dièse #SouvenezVousDeMoi. L’image représente toutes les femmes et filles dont l'Observatoire souhaite se souvenir. Chacune d’entre elles est répertoriée sur son site web. L’image d’une flamme remplace une victime autochtone lorsqu’aucune photo d’elle n’était disponible ou lorsque son nom n’a pas été divulgué. 

©Observatoire canadien des feminicides
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Une femme est tuée tous les deux jours au Canada, par un compagnon ou un ex-partenaire. C'est le bilan dressé par l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilité. Au total, en 2022, 184 femmes sont mortes. "En fait, le nombre de femmes tuées par des hommes accusés en 2022 révèle une augmentation de 27% par rapport aux chiffres de 2019, avant le Covid. Et nous continuons à compter", précisent les rapportrices. Cette augmentation signifie, selon elles, que la situation des femmes a regressé, et ce de manière significative, depuis la pandémie.

Nous disons 'au moins' car tous les accusés n'ont pas été traduits en justice. Pour de nombreuses femmes et jeunes filles, aucun accusé n'a encore été identifié, et pour certaines, il ne le sera jamais.
Rapport Observatoire canadien du féminicide  

Cela fait cinq ans que cet organisme a commencé à documenter les meurtres de femmes et de jeunes filles dans tout le pays. Au cours de cette période, 850 femmes, au moins, ont perdu la vie. "Nous disons 'au moins' car tous les accusés n'ont pas été traduits en justice, précise l'Observatoire. Pour de nombreuses femmes et jeunes filles, aucun accusé n'a encore été identifié, et pour certaines, il ne le sera jamais". 

"Cela signifie qu'au moins une femme ou une fille est tuée tous les deux jours", note l'Observatoire, qui précise que "les hommes sont la grande majorité des accusés". Près de 60% des victimes ont été tuées par leur compagnon ou un ancien partenaire, note encore l'Observatoire.

Il faut également reconnaître l'impact que ces décès ont sur les personnes qui restent. Ils se répercutent pendant des décennies sur la vie de ceux qui tentent de survivre, en particulier les enfants.
Myrna Dawson, fondatrice de l'Observatoire canadien du féminicide

"La mort d'une femme devrait être importante en soi, commente Myrna Dawson, fondatrice de l'observatoire et professeure de sociologie à l'université de Guelph (province de l'Ontario). Mais il faut également reconnaître l'impact que ces décès ont sur les personnes qui restent. Ils se répercutent pendant des décennies sur la vie de ceux qui tentent de survivre, en particulier les enfants", ajoute-t-elle.

Femmes autochtones en première ligne

Le rapport pointe également la surreprésentation en la matière des femmes autochtones, qui correspondent à 36% des victimes de féminicide et à seulement 5% de la population canadienne.

Les femmes et les filles tuées par un homme dans les régions non urbaines du pays (42%) étaient exposées à un risque disproportionné par rapport à leur représentation dans la population, tandis que celles tuées dans les centres urbains (58%) étaient sous-représentées par rapport à la population générale, précise l'enquête. Les taux les plus élevés ont été enregistrés aux Nunavut, Saskatchewan et Manitoba.

Nous devons écouter les femmes lorsqu'elles expriment leur peur. Nous devons les prendre au sérieux.
Myrna Dawson

"Nous devons écouter les femmes lorsqu'elles expriment leur peur. Nous devons les prendre au sérieux", estime encore Myrna Dawson, qui rappelle le cas d'une femme noire tuée en 2022 à Toronto malgré le dépôt de plaintes.

L'âge moyen des victimes est de 42 ans. L'âge moyen des hommes accusés de féminicides est de 37 ans. Bien que les informations sur les origines ethniques de la victime ne soient pas disponibles dans de nombreuses affaires, au minimun une femme sur 5 était autochtone, indique le rapport. 

[Un homme du nord de l'Alberta reconnu coupable de meurtre au premier degré dans le meurtre de Roderica Ribbonleg, 15 ans.]

Le Canada à la traîne ?

Les défenseurs des droits humains demandent par ailleurs que le pays reconnaisse les féminicides dans le code pénal, comme cela est le cas dans certains pays.

Le Canada est à la traîne par rapport à d'autres pays dans sa réponse à la violence masculine contre les femmes et les filles.
Myrna Dawson

"Le Canada est à la traîne par rapport à d'autres pays dans sa réponse à la violence masculine contre les femmes et les filles", déplore Myrna Dawson.

Fin mars, une commission chargée d'enquêter sur une tuerie dans l'est du Canada en 2020 avait demandé au gouvernement de reconnaître que la "violence fondées sur le sexe, entre partenaires ou familiale" était une "épidémie" et donc un problème prépondérant et généralisé.

L'Observatoire canadien du féminicide indique avoir néammoins enregistré quelques progrès (limités) dans la reconnaissance du "fémicide" comme un problème social grave."Le Premier ministre Justin Trudeau et la vice-Première ministre Chrystia Freeland ont utilisé ce terme dans divers contextes, tout comme certaines juridictions policières et médias".

code penal femicide canada
©Observatoire du feminicide canadien

"Cela aurait pu être moi"

Sur le site de Ici-Radio Canada, la fondatrice de l’organisme "Briser le silence contre la violence conjugale", Zita Somakoko, estimait déjà en 2021 que cette situation était "le résultat d’un manque de ressources pour venir en aide aux personnes victimes de violence conjugale et familiale".

C'est en 2015 qu'elle a décidé de militer, suite à un féminicide particulièrement sanglant : "Je regardais les nouvelles avec mes enfants. La photo de Camille Runke est venue sur mon écran et on disait qu’elle avait été fusillée par son mari, à Saint-Boniface... C’était juste une nouvelle comme une autre. Sa photo est passée quelques secondes, et puis voilà : j’ai commencé à gémir de façon incontrôlable. Ce qui s’est passé dans ma famille m’est revenu comme un ouragan. Je me disais que cette femme aurait pu être moi", raconte cette militante, qui a elle-même vécu la violence conjugale.

[51 % de Caucasiennes, 30 % de minorités visibles et 19 % de femmes et de filles autochtones assassinées par leurs partenaires intimes au Manitoba en 2018 ! La violence basée sur le genre ou contre les femmes est une pandémie globale, qui frappe une femme sur 3 femmes au cours de sa vie.]

#SouvenezVousDeMoi #CestUnFeminicide

"Ce rapport est dédié à la mémoire de toutes les femmes et filles décédées en raison des violences perpétrées à leur encontre, ainsi qu’aux familles et amis laissés derrière elles, pour à la fois pleurer et célébrer leur vie," tiennent à préciser les autrices du rapport de l'Observatoire canadien du féminicide.

À l’occasion du 25 novembre – la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes – cet organisme a lancé une campagne dans les médias en utilisant le mot-dièse #SouvenezVousDeMoi. L’image utilisée représente toutes les femmes et filles mortes en 2022. Chacune d’entre elles est répertoriée sur son site web. 

feminicides photo

#SouvenezVousDeMoi, une campagne pour ne pas oublier les victimes, une flamme ou une silhouette remplace la photo des femmes autochtones qui n'ont pas été répertoriées ou dont le nom n'a pas été communiqué. 

©Observatoire canadien du féminicide
Les femmes ne sont pas des ordures et ont le droit de vivre à l'abri de la violence et des abus.
Observatoire des féminicides canadien, sur twitter

Sur son compte twitter, au jour de la publication de son rapport, l'Observatoire du féminicide canadien publiait cette information : "Le centre de gestion des ressources de Brady Road a découvert la dépouille de Linda Mary Beardy. Elle semble être la cinquième femme trouvée dans la décharge. Les femmes ne sont pas des ordures et ont le droit de vivre à l'abri de la violence et des abus".

En 2023, il paraît inimaginable et terrible de devoir rappeller ainsi que toute femme a droit à la vie, mais cela semble encore, et plus que jamais, nécessaire.
#Cestunfeminicide