"La révolution du sourire" en Algérie a gagné une première bataille : le retrait d'Abdelaziz Bouteflika et des élections anticipées le 4 juillet prochain. Pourtant les Algériens et les Algériennes sont toujours dans la rue. Les féministes aussi, n'en déplaise à leurs détracteurs et en dépit des menaces. Reportage.
« Vendredir » : nouveau verbe inventé par les Algérien.ne.s en référence au vendredi, jour de mobilisation générale pour protester contre le système politique algérien. Les femmes du carré féministe se mêlent à la foule de millions de manifestant.e.s qui se déverse dans les rues d’Alger, le vendredi 4 avril, septième journée de manifestations massives du peuple algérien. Toutes sont là pour « vendredir ».
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Elles ont hésité, se sont interrogées, ont envisagé un temps à renoncer. « J
e n’ai pas dormi de la nuit et j’ai pleuré toute la matinée. Je pensais que nous allions reculer », souffle l’une des membres du collectif féministe à l’origine du carré. Elle est soulagée de finalement s’exprimer aux côtés de ses camarades.
Et on peut comprendre leur angoisse. Le vendredi de mobilisation précédent, les militantes féministes ont été violemment agressées verbalement et physiquement. Dans la semaine, un Algérien qui réside au Royaume-Uni lance un appel à jeter de l’acide sur ces femmes qui osent revendiquer l’égalité dans les rues de la capitale algérienne. Malgré une vague de soutien à leur endroit, Lila, membre du collectif elle aussi, affirme «
avoir baigné pendant une semaine, avant ce rassemblement, dans la haine ».
"Pas d’Algérie libre et démocratique sans liberté des femmes"
Il en fallait plus pour les décourager. Fières, debout, elles se tiennent là, en carré bien visible, dans la rue Didouche-Mourad, entre la place Audin et la Grande Poste, épicentres du séisme contestataire algérois. Poings levés, elles scandent «
Algérie libre et démocratique » et «
Pas de pardon », slogans emblématiques des manifestations algériennes. Sur une grande banderole jaune canari, on peut lire, en arabe, «
Pas d’Algérie libre et démocratique sans liberté des femmes ». Sans cette banderole, difficile au bout d’une heure de reconnaître le carré féministe, tant les hommes s'y mêlent. Quelques agités les invectivent. D'autres leur témoignent au contraire leur soutien. Des amis les encerclent pour assurer leur sécurité. Le ton monte avec quelques manifestants qui se sont arrêtés à la vue de leur pancarte. Mais, cette fois, il n’y aura pas d’agression, seulement quelques menaces isolées.
Certains leur reprochent de diviser le mouvement, pensent que leurs revendications passent après la chute du régime, cause pour laquelle tous se battent. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes les accusent de tous les maux, jusqu’aux théories du complot. Elles seraient des envoyées du système, ou de l’étranger, pour détruire la contestation de l’intérieur.
Les droits humains, et donc ceux des femmes ne peuvent pas attendre.
Amel, 25 ans
Ces rumeurs n'ont pas prise sur elles. «
Les droits humains, et donc ceux des femmes ne peuvent pas attendre. Une contestation qui ne prend pas en compte les différences et l’importance des revendications spécifiques de chaque citoyen et citoyenne c’est une contestation qui ne sait pas où elle va », explique Amel, 25 ans. Elle tient une pancarte à la main, sur laquelle est inscrite, en français, « égalité = respect ».
A la mi-journée, le ciel se dégage pour laisser place à un soleil éclatant. Le carré féministe rejoint en rang serré le reste du cortège qui se dirige vers la Grande Poste. Seuls quelques mètres les séparent du bâtiment, devenu point de ralliement, mais l’exercice se révèle vite impossible. Alger-Centre est noire de monde. La foule, extrêmement compacte, quasiment étouffante, empêche presque tout mouvement. Peu importe. Leurs cordes vocales, elles, ne sont pas compressées. Rangées derrière un grand drapeau algérien, elles crient à pleins poumons : «
Hommes, femmes, nous construirons le pays ensemble ». Si fort que l’on n’entend plus le bruit des hélicoptères qui tournoient sans relâche au-dessus de la ville depuis le matin.
Nous demandons aussi l’égalité et la suppression du Code de la famille, qui est une grande violence faite aux femmes et qui nie tout ce que la femme a fait pour l’Algérie par le passé.
Lila, membre du collectif féministe
«
Il n’est pas question de se dissocier du mouvement de masse », explique Lila, membre du collectif féministe. «
On demande une Algérie libre et démocratique, un changement profond pour notre pays, comme le reste de nos compatriotes. Mais nous demandons aussi l’égalité et la suppression du Code de la famille, qui est une grande violence faite aux femmes et qui nie tout ce que la femme a fait pour l’Algérie par le passé. Certains dans la foule aujourd’hui sont tout à fait réceptifs aux revendications féministes. La menace, pour tout le monde, c’est le recul. Elle guette la question du droit des femmes mais aussi le mouvement dans son intégralité ». Une mixité retrouvée
Femmes et hommes manifestent côte à côte, sans heurts. Une scène encore difficile à imaginer il y a quelques semaines seulement, dans un espace public jusqu'alors presque exclusivement masculin. «
C’est rassurant de voir toute cette mixité », sourit Amal, alors qu’elle quitte la manifestation. La foule et la chaleur ont eu raison d’elles. Les féministes préfèrent se mettre un peu à l’écart du cortège pour «
pouvoir respirer un peu ».
«
C’est le plus beau jour de ma vie, on a réussi ! », s’exclame Faikha en regardant la foule défiler. Un jeune homme passe avec un flacon de parfum au musc type « roll-on », qu’il applique sur les poignets de tous ceux qui se trouvent sur son chemin pour leur porter chance.
On nous a fait peur, on nous a menacées avec de l’acide mais nous sommes sorties quand même.
Fatma, manifestante
Fatma poursuit : «
On nous a fait peur, on nous a menacées avec de l’acide mais nous sommes sorties quand même. Nous sommes là, nous avons poussé nos cris au milieu de la foule, en carré, en bonnes féministes. C’est une étape de notre combat. Nous n’avons pas d’illusions immodérées, nous sommes très conscientes des conditions dans lesquelles nous nous battons, mais c’est un pas important ». Les membres du collectif féministe se serrent dans leurs bras, se congratulent, souriantes et satisfaites. Elles se donnent rendez-vous pour le vendredi suivant. Et Lila l'affirme : «
On va continuer, c’est certain. Il faut que l’on obtienne nos droits. On ne va pas baisser les bras ».