Fil d'Ariane
"Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante". Bien plus qu’une simple devise sur le fronton du Panthéon, cette phrase reflète une tradition historique : il n'y aurait donc que des hommes qui ont fait l’Histoire ?
Pourtant, malgré la pression patriarcale qui exhortait les femmes à s’occuper des tâches domestiques et de la reproduction maternelle, les femmes ont joué un rôle primordial dans les avancées de l’humanité, et ce, dans tous les domaines.
L’Histoire, c’est à la fois ce qui s’est passé (et indéniablement les femmes sont présentes), et le récit que l’on en fait. Et c'est là que les femmes sont absentes, oubliée, et ce, jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle.
La première défaillance dans cet oubli historique est presque philosophique. Elle vient de l’essence même de ce que sont les femmes, de la conception que l’on se fait de celles-ci. Contrairement aux hommes, les femmes sont vues comme des objets et non comme des sujets.
Des objets d’admiration comme ont pu l’être la vierge Marie ou certaines martyres chrétiennes, dont l’existence n’est pas toujours certaines… Ou encore, Marianne, symbole républicain. La femme idéale, c’est celle que l’on ne peut toucher, que l’on ne peut atteindre.
Mais ces femmes fantasmées ne sont pas représentatives des autres femmes, celles qui constituent les différentes sociétés. Dans ce cas, qui sont-elles ? Comment en parler lorsque l’Histoire a décidé de les oublier ?
Si certains historiens et certaines historiennes, telles que Michelle Perrot, ont décidé de briser cette politique de l’oubli, leurs travaux restent marginaux. D’ailleurs, lorsque Michelle Perrot était étudiante, elle voulait consacrer son mémoire au féminisme, après avoir été séduite par la pensée de Simone de Beauvoir. Son professeur n’a pas trouvé meilleure idée que de l’en empêcher en l’orientant vers le monde ouvrier… Secteur très féminin comme tout le monde le sait.
Face à cette volonté qui, bien qu’étant de plus en plus importante, reste marginale, certaines femmes ont décidé de s’emparer de sujets liés à la place des femmes dans notre société sur les réseaux sociaux et les nouvelles plateformes de publications visuelles.
Parmi elles, la comédienne Aude Gogny-Goubert a décidé d’ouvrir sa chaîne YouTube, “Virago”. Un nom qui n’a pas été choisi au hasard : “Dans le dictionnaire, Virago est un terme extrêmement péjoratif qui désigne une femme à l’allure masculine. Or dans sa définition originelle, il s’agit d’une femme forte, d’une héroïne, d’une guerrière. C’est cette définition que je veux rétablir”, nous explique Aude Gogny-Goubert.
Je n’ai pas la sensation d’avoir grandi avec des modèles féminins forts. Or je pense que l’identification et les rôles modèles font partie de la construction de toute jeune personne. Aude Gogny-Goubert, comédienne
Avec son co-auteur, Adrien Rebaudo, qui s’occupe de la documentation, elle se réapproprie l’histoire de ces femmes oubliées. Un oubli que la comédienne a vécu comme un manque : “D’un point de vue personnel, je n’ai pas la sensation d’avoir grandi avec des modèles féminins forts. Or je pense que l’identification et les rôles modèles font partie de la construction de toute jeune personne. En mettant en lumière des femmes qui ont fait des choses extraordinaires dans tous les domaines, à toutes les époques et dans tous les pays, on envoie le signal aux jeunes filles que tout est possible”.
Dans la vidéo ci-dessus, on découvre ainsi le destin peu ou mal connu de Bertha von Suttner, aristocrate autrichienne, écrivaine et journaliste, mais surtout pacifiste de l'envergure d'un Jean Jaurès, à la veille de la Première guerre mondiale... Et pourtant négligée.
Une façon, pour Aude Gogny-Goubert, de faire passer ces femmes de l’ombre à la lumière grâce à Youtube. Une plateforme derrière laquelle, pourtant “il n’y a pas que des algorithmes, mais aussi des hommes, et des milliers d’années de conditionnement et de lieux communs sur le corps des femmes”, selon Aude Gogny-Goubert. Il y a donc encore du travail, même pour les algorithmes… Ou plutôt pour les hommes qui les gèrent
Avec l’avènement du mouvement #MeToo, #TimesUP ou encore avec le #BalanceTonPorc, qui a permis à certaines femmes victimes, d’abus sexuels de prendre la parole, cette année 2018 sonne comme le début de la prise en main des femmes de leur propre destin, de leur propre histoire. En espérant que cette fois-ci, l’Histoire, au sens du récit, ne les oubliera pas. En France, les Archives nationales ont d'ores et déjà entrepris une grande collecte afin de replacer les femmes au coeur du récit national...