Fil d'Ariane
En 1966, Jean-Luc Godard a fait sa connaissance dans un ciné-club universitaire à Grenoble. Il lui confie un petit rôle l'année suivante dans Deux ou trois choses que je sais d'elle puis un rôle important dans La Chinoise (1967). A cause des nombreuses références à l’université de Nanterre et au maoïsme, beaucoup y voient un film anticipateur des événements à venir.
Juliet Berto y interprête Yvonne, jeune fille fraichement débarquée de sa province qui partage un appartement occupé par un groupe d’étudiants imbibés de pensées marxistes-léninistes. Godard la fait se déguiser en Vietnamienne martyrisée par les tirs américains.
La France "intello" s'emballe pour Juliet Berto.
Yves Simon lui dédie une chanson-hommage en 1973 :
Sur les vieux écrans de soixante huit
Vous étiez Chinoise mangeuse de frites
Ferdinand Godard vous avait alpaguée
De l'autre côté du miroir d'un café
(Au pays des merveilles de Juliet)
évoque sa propre dérive.
Les pages suintent d'un mal de vivre flamboyant teinté d'une lucidité acide.
Elle présente ainsi son ouvrage : "juste une petite musique de mots joués « Intra-muros » de soi dans ces périodes où je n’ai plus la force de « l’extérieur ». Un exorcisme pour moi d’affronter noir sur blanc ce blues decomposé au cours d’un des ces passages de vie –à vide- où j’ai chaviré mon image brouillée dans le miroir éclaté de la “grande histoire”, où seuls les mots et les images survolent et s’impriment sur le papier. Il faut garder en mémoire la couleur de sa blessure pour l’irradier au soleil".
Sa prose, fiévreuse, rappelle celle d'une adolescente révoltée et déçue. Le livre est une collision d'images fortes.
Elle soumet le manuscrit au printemps 82 et le livre, édité l'année suivante, reçoit un accueil mitigé. Dans La quinzaine littéraire on peut lire : "L'auteur a senti quelque chose et elle a des difficultés à l'exprimer. Ne voulant noter que des temps forts, Juliet Berto n'a pu maîtriser son sujet, son livre a éclaté entre ses mains. "
Sa spontanéité et sa sensibilité séduisent Claude Berri, Nadine Trintignant et Jacques Rivette qui tournera avec elle Out one (1971), un film de 12h40, Céline et Julie vont en bateau (1974), oeuvre dont elle est scénariste et Duelle (1976). On la remarque aussi dans l'époustouflant Monsieur Klein, de Joseph Losey (1976).
Juliet Berto, passe à la réalisation cinématographique avec Jean-Henri Roger en 1981 avec "Neige", production indépendante, (comprendre : film fauché) dont l'action se déroule entièrement en décors naturels entre Barbès et la place Blanche, célèbres quartiers "populaires" du Nord de Paris où les paumés de Pigalle sont à l'honneur et où, on l'aura compris, il est question de drogue dure, d'héroïne, de "neige", son surnom argotique.
Elle explique sa démarche au magazine Jeune Afrique : " Nous avons voulu montrer un coin de Paris où il existe une vie multiraciale. "...
Le film est présenté en sélection officielle au Festival de Cannes. Il décroche le Prix du cinéma contemporain.
Son film suivant, Cap Canaille (1982), est construit sur un schéma policier avec ses bas-fonds et sa mafia de l'immobilier. Elle en est également l'auteure avec Jean-Henri Roger et l'interprète puis, elle réalise seule, en 1986, une fable poétique "Havre".
Atteinte d'un cancer du sein, elle fait une apparition dans Un amour à Paris (1986) de Merzak Allouache, tourne un documentaire sur "Damia "la chanteuse réaliste et s'éteint, à l'âge de 42 ans, le 10 janvier 1990.
Serge Toubiana, à l'occasion d'une rétrospective de son oeuvre à la cinémathèque, lui rend un hommage vibrant. Il écrit : "Cette femme, belle avec sa moue, sa bouche enfantine, sa voix rauque et ses tonalités « blues », était un trait d’union entre l’univers romantique des vieilles chansons de Damia (Juliet venait de terminer un film sur elle) ou Piaf, et les musiques africaines, brésiliennes ou antillaises d’aujourd’hui qu’elle avait dans la peau. Elle était le voyage même, une figure d’astre émanant d’un corps minéral, que Rivette sans doute avait le mieux captée (Céline et Julie vont en bateau). Du sang d’ailleurs coulait dans ses veines, qui faisait qu’elle était réceptive à toutes les douleurs, les révoltes ou les cris de ce monde, sans en faire une « pétroleuse » ou une militante au discours figé. Car ce qui dominait en elle, c’était une capacité d’écoute, un goût inné pour le trip, une façon de rendre poétique le langage de tous les jours, une énergie farouche, une ironie grave qui lui permettait d’étouffer en elle les cris, les coups de griffes qu’elle aurait jetés instinctivement contre les faux-semblants, la tentation morbide et les mystifications."