Les femmes fières de leur sexe, au propre comme au figuré

La génération Y, de celles et ceux née entre les années 1980 et 2000, veut faire du vagin un organe sans tabou. Le sexe féminin est ainsi devenu l’étendard de la nouvelle lutte féministe. Avec humour
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vulve
Parce qu'elles en avaient assez de ne voir que des représentations de pénis et jamais de vulve, le collectif  "Vagina Guerilla" appelle à réinventer la représentation graphique du sexe féminin
@VaginaGuerilla
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« Nous devons toutes apprendre à connaître notre vagin », clame une féministe d’obédience New Age à un parterre de mères au foyer dans L’Ordre divin, le film multi-primé de Petra Volpe qui retrace les débuts de l’émancipation féminine et la lutte pour le droit de vote dans l’Appenzell des années 70. Chuchotements outrés dans l’assistance. Une participante parle de « blasphème ». Peu d’entre elles ont osé aller voir « là-bas », comprenez sous leurs jupes…

Bond spatio-temporel avec la série Girls, de la réalisatrice, actrice et féministe Lena Dunham, soit l’épopée humoristico-existentielle de quatre vingtenaires d’aujourd’hui, à Brooklyn. Dans un épisode de la saison 6, diffusé en avril, la comédienne fait prendre un bain de soleil à son vagin: un « secret de beauté » pour « rayonner de l’intérieur », dixit l’héroïne. Sans hésiter, elle se filme sur un balcon, en plan large, pubis sous l’astre au zénith. Sa pilosité vaut même une réplique de son personnage, un peu plus tard, à un amant qui s’étonne de son triangle fourni: « Pour information, c’est ce à quoi ressemblent les femmes adultes quand elles utilisent leurs poils pubiens de la manière dont le Seigneur l’a voulu. C’est-à-dire pour protéger leur vagin. Merci d’avoir évoqué le sujet. »

Vulves : des siècles et des siècles de tabou

Après des siècles de tabou, les femmes de la génération Y partent en croisade pour briser celui du simple mot vagin (« l’œil de Dieu », selon la féministe New Age de L’Ordre divin), et assumer fièrement leur vérité anatomique. Il faut dire qu’au XXIe siècle, l’intimité féminine reste encore sulfureuse pour certains. En 2011, Facebook avait ainsi censuré le compte d’un respectable professeur, parce qu’il avait posté L’Origine du monde, le célèbre tableau de Gustave Courbet, dans le seul but de signaler la diffusion d’un documentaire dédié à cette œuvre sur la chaîne Arte. Il avait porté l’affaire en justice…

En 2016, Amazon censurait à son tour la reproduction de la toile sur la couverture du livre de l’historien Thierry Savatier, un ouvrage également dédié à l’art du peintre français. Contre ces dernières scories de diabolisation du sexe féminin, les néoféministes opposent un sexpowerment (contraction de sexualité et de empowerment: acquérir du pouvoir) décomplexé. A l’occasion de la journée du préservatif féminin, en 2016, l’artiste anglaise Emma Crews avait ainsi réalisé un vagin géant, 100% réaliste, à base d’emballages de préservatifs, et l’avait exposé sur un campus universitaire français, dans le but d’informer sur les violences sexuelles telles que l’excision. Le compte Instagram Club Clitoris de l’artiste texane Meredith Grace White, 137 000 abonnés, présente également le sexe féminin sous sa multitude de formes, au travers de dessins, T-shirts et tatouages, pour «encourager chacun à célébrer les vagins, les vulves et les lèvres, les poils pubiens, les règles, la confiance sexuelle, l’amour de soi», peut-on lire sur la page d’accueil.

En 2015, le collectif Vagina Guerilla décidait de passer à l'assaut du web pour contrer la surexposition du sexe masculin et "populariser la représentation graphique du sexe féminin". Avec au bout des crayons et du manifeste, là aussi, une "Vagina Guerilla store".


Sur les réseaux sociaux, les hashtags « #Vmagic » (vagin magique), « #vulva », « #viginaart » (art du vagin), et autres slogans 2.0 dédiés à la représentation positive de la zone intime fleurissent également. "J'ai de merveilleux amis qui m’offrent de si belles choses comme cet #vulve en peluche", s'enthousiasme une sexologue/psychologue de Madrid...

La sexualité féminine a longtemps été niée. On est passé d’une représentation honteuse, sale, immature, basée sur une méconnaissance totale, à une visibilisation positive
Caroline Dayer, Université de Genève

En 1748, Denis Diderot publiait sous le manteau Les Bijoux indiscrets, un conte libertin dans lequel un sultan se voit offrir une bague magique qu’il suffit de tourner vers les femmes pour faire parler leur sexe. A leur corps défendant. Les organes féminins s’y expriment avec une voix d’homme; ils racontent qu’ils sont « parfumés », « mal servis », « ennuyés »… Pire, ils semblent prêts à toutes les roueries, désespérant le héros de jamais leur faire confiance ou satisfaire leur avidité. Deux siècles et demi plus tard, en 1996, Eve Ensler préfère recueillir des vrais témoignages de femmes pour aborder la dimension la plus intime de leur sexualité. Sa pièce, Les Monologues du vagin, est traduite en 46 langues et toujours jouée. « La sexualité féminine a longtemps été niée. On est passé d’une représentation honteuse, sale, immature, basée sur une méconnaissance totale, à une visibilisation positive, constate Caroline Dayer, experte des questions de discrimination et de violence, de genre et d’égalité à l’Université de Genève. Dès les années 70, les féministes ont commencé à utiliser un triangle fait avec les mains comme sigle, et à lancer des ateliers pour découvrir son corps. Aujourd’hui, la nouveauté est que l’on montre le vagin et le clitoris dans toute leur diversité, sur une multitude de supports. Avec, souvent, une manière ludique et créative d’en parler. »

Car plus question de représenter le sexe féminin au travers de fruits, fleurs, pistils, ou de montrer des règles bleues comme dans les pubs pudibondes pour tampons hygiéniques. Le combat passe à présent par la présentation d’images authentiques. Les plus frondeuses peuvent même s’acheter en ligne moult tote bags (sacs en tissu) avec dessins de vagins imprimés ou messages politico-humoristiques: « I love my vagina », « Awesome vagina », « vagitarian »…

Le Wikipedia du vagin

Chez les humoristes aussi, évoquer son vagin devient un passage obligé. Comme pour l’Américaine Amy Schumer, qui l’évoque crûment dans tous ses spectacles, films ou dès qu’on lui tend un micro. Son ironie rentre-dedans en froisse certains, mais après tout, les hommes font bien des blagues paillardes depuis des siècles. Les comédiennes françaises Maud Bettina-Marie et Juliette Tresanini ont également monté une chaîne YouTube entièrement dédiée à l’intimité: Parlons peu, parlons cul. Et leurs vidéos décomplexantes (« Règles et tabous », « Le consentement mutuel », « Le papillomavirus », « Masturbation féminine »…) deviennent une mine d’or pour les adolescentes n’osant pas aborder les questions intimes avec leurs mères.

Une enseignante américaine a également lancé Gynopedia, une plateforme collaborative façon Wikipédia du vagin, où chacun(e) peut trouver des réponses et adresses utiles un peu partout dans le monde. « La sexualité féminine est, hélas, encore victime de dénigrement. Entre les stéréotypes de la frigide ou de la putain, il n’est pas toujours facile de naviguer pour les femmes, observe Caroline Dayer. Cette nouvelle affirmation positive et collective est une façon de s’émanciper du sexisme. » Freud prétendait que les femmes souffrent d’un complexe de castration à l’égard de leur sexe. Mais ça, c’était avant les sacs à main « vagina warrior »…

Article original à retrouver sur le site de notre partenaire Le Temps > ici