
A New York, ils sont alors une poignée à chausser leurs baskets pour parcourir les rues du quartier du Bronx. Alors que cette activité est jugée dégradante, certains profitent de la nuit pour passer inaperçus et éviter les médisances.
De la professionnalisation de ce loisir, à la naissance et l'essor commercial du marathon de New York en passant par la mercantilisation de ce sport, Pierre Morath retrace une partie de l’histoire de cette discipline aujourd’hui si populaire dans son film "Free to run" ('Libre de courir').
« Ton utérus va se décrocher »
Autant d’inepties montrées grâce aux images d'archives. Elles choquent d'autant plus un public aujourd'hui bercé par les médias et le corps médical de tous les bienfaits que la course, et l’activité physique en général, est censée procurer à chacun.

Mais dans les années 1960/1970, la donne est différente. La médecine du sport en est à ses balbutiements. Les femmes luttent pour leur liberté sexuelle (pilule contraceptive, avortement) en Europe mais aussi aux Etats-Unis.
Interdiction alors pour les femmes de courir plus de 800 mêtres. Une discrimination qui entrave les femmes en quête d’émancipation. La lutte contre les préjugés et le patriarcat passe alors par la course à pied, véritable « miroir sociétal », comme l’explique Pierre Morath, également historien du sport.
Pionnière de la course à pied
« En Suisse les femmes n’avaient ni le droit de vote, ni le droit de courir », raconte scandalisée l’une des intervenantes clés du documentaire : l’Américaine Kathrine Switzer. Les Suissesses, bonnes dernières en Europe, n'obtiendront le droit de vote qu'en 1971.
Kathrine Switzer a marqué l’histoire de ce sport en étant la première à participer officiellement au marathon de Boston en 1967. Et ce, grâce à un malentendu sur son nom confondu avec celui d’un homme.
Parée d’un pull à capuche, elle court aux côtés de son entraîneur et de son petit ami. Mais en tombant, sa capuche révèle sa chevelure. Elle est démasquée. Le directeur de la course la remarque et tente de l’arrêter en la poussant hors de la route. Mais son copain l’écarte d'un coup d'épaule. La scène est alors photographiée, filmée, montrée dans le monde entier. Kathrine Switzer conclut le marathon mais est radiée à vie de la fédération américaine d’athlétisme.

A l'issue de la compétition, des journalistes lui assènent : « mais vous voulez prouver quoi ? » Qu’elle pouvait, comme les hommes, finir un marathon de 42 km et courir tout en étant féminine. Tout simplement...
Aux Etats-Unis, cette journée marque le début d'une forte médiatisation de la jeune femme dont elle va se servir ensuite. Sa « première expérience de discrimination » va se transformer en combat d’une vie visant à obtenir la liberté de courir pour toutes les femmes.
Les courses organisées par Avon ont permis de désacraliser, de décomplexer totalement la pratique féminine.
Pierre Morath, réalisateur de "Free to run".
Jusqu’au début des années 1980, la distance maximum autorisée par la Fédération américaine pour les femmes est de 1500 m. Kathrine Switzer profite de sa notoriété pour faire pression sur les instances sportives.

C’est l’Américaine Joan Benoit qui remporte le premier marathon féminin à des Jeux olympiques. A Los Angeles en 1984. « Un jour historique » pour Kathrine Switzer qui commente la compétition à la télévision.
Course 100% féminine

Ces courses 100% féminines permettent aux femmes de s’approprier ce sport. En France, il a fallu attendre 1997 pour que la course appelée La Parisienne voit le jour. « A l’époque je m’occupais du marathon de Paris que j’ai dirigé pendant 10 ans, explique à TV5MONDE son créateur et directeur, Patrick Aknin. Et on ne parlait jamais de l’élite des femmes. » Aujourd’hui, cette course rassemble plus de 39 000 participantes qui ont en moyenne 37 ans. De ces courses se dégage un tout autre état d’esprit, souligne Patrick Aknin : « Il y a une notion de convivialité, de solidarité plus forte chez les femmes que chez les hommes. »