Fil d'Ariane
Écrire une histoire du cinéma au féminin ? La Française Jackie Buet en a fait l'œuvre de sa vie. Rencontre avec la cofondatrice du FIFF, le Festival international de films des femmes, qui se tient à Créteil en région parisienne. Un évènement dont Terriennes est partenaire.
Depuis 1989, les affiches du Festival de films de femmes de Créteil sont créées par la danseuse et chorégraphe Karine Saporta.
"Je crois qu'on peut dire qu'on a eu le nez creux", se félicite Jackie Buet, cofondatrice du Festival international de films de femmes. Depuis sa première édition, en 1979 – bien avant le mouvement #Metoo – ce rendez-vous du cinéma au féminin, où se pressent désormais réalisatrices et actrices, a vu se succéder la Française Agnès Varda, la Franco-Américaine Tonie Marshall (seule réalisatrice avec Justine Triet à avoir reçu le César du meilleur film, les récompenses du cinéma français), l'Allemande Margarethe vonTrotta ou la Polonaise Agnieszka Holland.
D'année en année, ce festival, dont la 46e édition se tient à Créteil jusqu'au 24 mars 2024, gagne en pertinence et son originalité, cette année plus que jamais dans le contexte de la libération de la parole dans le milieu du 7e art en France, portée par l'actrice Judith Godrèche.
Jackie Buet, fondatrice et directrice du Festival international de films de femmes de Créteil.
Née en 1947 à Saint-Malo, dans l'ouest de la France, Jackie Buet découvre la "magie" du 7e art enfant, à Caen, en Normandie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les évacuations sont quotidiennes à cause des bombes non explosées qui jonchent sa ville. Lorsque cela arrivait, "on nous mettait dans un espace où il y avait un ciné club", se remémore-t-elle. Le cinéma ne la quittera plus. Elle devient institutrice et milite au MLAC, le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception.
Un jour, elle assiste à une rencontre avec l'écrivaine et réalisatrice française Marguerite Duras et la cinéaste belge Chantal Akerman dans un cinéma qui "faisait venir des cinéastes marginaux, se rappelle-t-elle. Là, je me dis : il y a des femmes qui font des films, elles existent !"
Après cette révélation, elle décide d'agir en compagnie d'Élisabeth Tréhard, avec qui elle travaille au théâtre des Gémeaux à Sceaux, en région parisienne, et qui quittera l'aventure après dix ans pour retourner au théâtre. "On a cherché des lieux où il y avait des réalisatrices et on a découvert qu'à Berlin, pas à Cannes, à Berlin, il y avait une ouverture beaucoup plus grande", confie-t-elle.
Les réalisatrices étaient aussi frileuses. L'étiquette féministe faisait peur. Jackie Buet
Une révélation en entraînant une autre, elle découvre qu'il existe, aux côtés des cinéastes allemands Wim Wenders ou Rainer Werner Fassbinder, des équivalents féminins dont Helma Sanders-Brahms ou Margarethe von Trotta. Problème : leurs films sont "oubliés" des distributeurs. C'est cette "invisibilisation" qu'elle a voulu combattre.
Lors des premières années, le festival essuie des critiques. "On nous disait qu'on créait un ghetto", se remémore Jackie Buet. "Les réalisatrices étaient aussi frileuses. L'étiquette féministe faisait peur". C'est Tonie Marshall qui ouvre la voie. "Après elle, elles sont toutes venues".
Très vite, Jackie Buet comprend qu'il faut ouvrir le festival aux actrices, aux productrices, ainsi qu'aux techniciennes. Viendront Catherine Deneuve, l'actrice et réalisatrice Delphine Seyrig, mais aussi des écrivaines dont la Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, l'avocate Gisèle Halimi...
Au fil des ans, Jackie Bluet se lance dans un travail d'archives. Objectif : entreprendre ce que les historiens n'ont pas fait. Année après année, elle enregistre des entretiens avec les intervenantes. Plus de 500 d'entre eux, d'abord sonores, aujourd'hui en vidéo, ont été enregistrés et remis à l'INA (l'Institut national de l'audiovisuel).
La preuve que "les femmes ont bien contribué à l'histoire du cinéma mondial".
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