Les femmes prennent la tête du mouvement social contre l’austérité en Italie
Organisée par le comité de « Se non ora quando » (si ce n'est pas maintenant, ce sera quand?), la manifestation du 11 décembre qui a vu défiler des milliers d’Italiennes dans les rues de tout le pays, et en particulier sur la place del Popolo à Rome, est la première grande manifestation depuis la chute de Berlusconi. La première sous le nouveau gouvernement Monti. Elle s’est déroulée à la veille d’une manœuvre économique caractérisée par des coupes budgétaires, pénalisant une fois encore les femmes Italiennes.
Des manifestantes au milieu de la foule du 11 décembre 2011.
Cette manifestation du 11 décembre 2011 a mis en exergue les trois grandes questions que sont : le travail, les garanties sociales (qui en Italie sont rassemblées sous la définition anglaise de Welfare), et enfin la représentation faussée, stéréotypée et donc discriminatoire des femmes dans les médias. Un mélange entre archaïsme et globalisation mal gérée qui entraine le manque de modernité, de croissance démographique et économique du pays.
Neuf mois auparavant, la déferlante « Se non ora quando » du 13 février 2011 avait rassemblé environ un million de personnes, femmes et hommes de tous âges, classes sociales confondues, réunis sous l’étendard des droits et du respect des femmes, dans toutes les rues italiennes. Des manifestants révoltés par les scandales sexuels à répétition du Premier ministre d’alors, et indignés par le recyclage de ses maîtresses dans la classe politique ainsi que par l’image honteuse donnée aux femmes sur les chaînes de télévision dont il est le propriétaire.
De surcroît, alors que son gouvernement, pendant ce temps, délaissait les questions les plus importantes comme par exemple les garanties sociales qui permettraient la conciliation entre le travail et la maternité. Et tout cela dans une période de tapage politique main stream concernant l’avortement et la pilule ru486 de plus en plus bannie, parfois même objet de débat pendant des campagnes électorales, menées par des hommes évidemment.
Sur scène, le 11 décembre 2011, Marina Rei et Paola Turci chantent “ People have the power”, devenant à la fin “ Women have the power”.
A cette misère culturelle correspond une misère économique
En Italie seulement 46 % des femmes ont un emploi, bien en deçà de la moyenne européenne qui est de 60%. Presque quatre millions d’entre elles ne travaillent pas, en raison aussi d’une absence de services sociaux d’aide à la petite enfance. 800 000 femmes par an sont licenciées ou démissionnent en cas de maternité. Deux millions de jeunes gens découragés de ne pas trouver, ne cherchent même plus de travail. La majorité d’entre eux est féminine. De plus en plus de jeunes filles se mettent donc à penser à tarifer leur corps.
Tout cela n’est pas la priorité du gouvernement Monti, obsédé par la remise de l'économie italienne sur les rails grâce à un plan d’austérité. Mais cette entreprise sera difficile sans les femmes. Voilà le grand message que les rues Italiennes du 11 décembre ont transmis aux palais romains. Et on a pu entendre un nouveau slogan, ajouté à « se non ora quando » : « Se non le donne chi ? » (Qui sinon les femmes ?).
Un mannequin, “porte slogans“, dans la manifestation du 11 décembre 2011.
Comment fait-on pour sortir de la crise sans nous ?
Les foules de la Piazza del Popolo du 11 décembre et des rues des autres villes italiennes n’étaient pas les mêmes que celles du 13 février. Désormais, il s’agit surtout de montrer que les énergies ne se sont pas dispersées au contraire, et qu’il n’y aura d’ apaisement que suite à des changements concrets. Après l’indignation vient le temps des propositions.
La sociologue Chiara Saraceno une des intervenantes présentes sur la scène de la piazza del Popolo, explique : « Le gouvernement Monti n’a rien changé, puisque, malgré ses belles paroles il délaisse les vraies questions. La hausse de l’âge de la retraite pour les femmes nous a été demandée par l’Europe. Et je suis en accord avec ça. Seulement il fallait que des investissements sur les services familiaux soient faits ainsi que sur l’équité des salaires entre hommes et femmes. Or, ceci est la véritable ‘dépense budgétaire’ que l’Etat aurait dû faire, parce qu’ étant la plus productive elle permettrait de générer travail et cohésion sociale , et entrainerait alors la croissance. »
Les femmes dans les médias
Ces manifestations, parfois accusées d’être plus médiatiques que politiques, ont le grand avantage de maintenir une présence continue sur le débat de la condition féminine dans la société Italienne.
De plus, elles ont mis en évidence le décalage entre la réalité et l’image jusqu’ici donné des femmes, représentation faussée et irréelle. Ainsi sur la place on pouvait percevoir une communion très forte entre participants et spectateurs.
Dans ce cadre aussi « Giulia » est née. Il ne s’agit pas de la dernière née des Sarkozy mais d’une association des femmes journalistes ayant pour but d’exercer une pression et d’ avoir un impact sur les dirigeants éditoriaux.
Alessandra Mancuso, l’une des intervenantes, journaliste de la Rai Uno (la première chaîne publique) a évoqué la mort de quatre femmes à Barletta, dans les Pouilles, qui travaillaient pour trois euros de l’heure. Une sorte d’esclavage moderne.
Ce drame s’est déroulé dans des conditions d’insécurité maximales : « nos journaux télévisés ont attendu la dernière minute pour passer la nouvelle. Non seulement, le président du conseil Berlusconi n’a pas réagi, mais en plus ce jour là il a proposé de fonder un nouveau parti s’intitulant « forza gnocca ». C'est-à-dire : Allez la minette !. Nous avons alors éprouvé de la douleur et de l’embarras à devoir répéter cela, en imaginant les corps des trois femmes sous les débris d’un établissement sans aucune règle de sécurité. Jamais plus cela ne doit se produire. Jamais.»
Et pourtant, malgré les forces déployées par le comité « Se non ora quando », et des buts communs, cette fois, plusieurs associations de féministes n’ont pas voulu donner leur adhésion. Les raisons en sont diverses. L’une d’entre elles a été l’accaparement de la problématique par le comité le manque d’écoute consécutif aux autres. De même, des milliers de femmes très actives sur le web ont souvent accusé le comité Se non ora quando d’être des « féministes caviar », et ont lancé un alternatif « feminist blog camp » de Turin à la fin du mois d’Octobre. Une occasion manquée de faire l’unité.